Poutine est en train de gagner son pari

Publié le 26/12/2015 à 10:19

Poutine est en train de gagner son pari

Publié le 26/12/2015 à 10:19

Le président russe Vladimir Poutine (source photo: Bloomberg)

ANALYSE DU RISQUE– Tel un maître d'échecs, Vladimir Poutine avance minutieusement ses pions depuis 15 ans. Aujourd'hui, il récolte les fruits des interventions de Moscou en Europe et au Moyen-Orient: la Russie est en train de redevenir une puissance politique et militaire incontournable sur l'échiquier mondial.

Ainsi, le monde multipolaire qui se met graduellement en place ne comprendra pas uniquement les États-Unis, l'Union européenne, la Chine ou l'Inde. Ce nouvel ordre international comprendra aussi la Russie, affirment des spécialistes en géopolitique.

Pour les investisseurs, un monde multipolaire avec plus d'acteurs se traduira par davantage d'incertitude et d'instabilité, sans parler des risques accrus à gérer. Des risques qui ne seront pas uniquement politiques, car un monde moins stable peut avoir un impact sur le prix des matières premières et les marchés boursiers, par exemple.

Dans une perspective russe, le retour en force de la Russie sur la scène internationale est perçu comme une renaissance diplomatique et une fierté nationale.

Des guerres napoléoniennes (1803-1815) à la Guerre froide (1945-1990) en passant par la Deuxième Guerre mondiale (1939-1945), la Russie avait toujours été une puissance continentale et mondiale, rappellent les historiens.

Or, la chute du mur de Berlin, en 1989, et la dissolution de l'Ex-Union des républiques socialistes soviétiques (URSS), en 1991, ont marqué un recul sans précédent de l'influence russe en Eurasie depuis des siècles.

En revanche, pour les peuples d'Europe centrale et orientale, ce retrait a été plutôt vécu comme une libération.

Depuis 25 ans, l'Union européenne (UE) et l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN) se sont d'ailleurs étendues vers l'est, englobant notamment des anciennes républiques de l'ex-URSS, comme les trois pays Baltes (Estonie, Lettonie, Lituanie).

Moscou a grincé des dents chaque fois que les Occidentaux se sont étendus vers l'est, mais sans pouvoir inverser le cours des choses.

La donne a toutefois changé en 2014, quand l'ours russe blessé a sorti ses griffes.

C'est l'année où le président ukrainien Viktor Ianoukovitch et son régime pro-russe ont été renversés. Moscou est d'ailleurs convaincu que l'Occident a comploté pour installer un régime «ami» pro-occidental en Ukraine, une ancienne république de l'ex-URSS.

Cette crise politique a incité Moscou à intervenir en Crimée (qui est revenue sous le giron russe), et à soutenir militairement les groupes séparatistes pro-russe en Ukraine orientale.

Aux yeux de Vladimir Poutine, les Américains et les Européens sont allés trop loin en interférant ainsi dans la zone d'influence de Moscou.

Voilà pourquoi il a décidé d'intervenir pour défendre les intérêts de la Russie.

Et ce n'était pas une première. En 2008, le maître du Kremlin avait envoyé des soldats russes en Géorgie (une ancienne république de l'URSS), qui voulait à l'époque, elle aussi, comme l'Ukraine, se rapprocher des Américains et des Européens.

Vladimir Poutine a atteint son objectif: l'Ukraine ne fera jamais partie de l'OTAN.

Il n'est pas impossible qu'elle adhère un jour à l'UE. Mais il est plus probable que le pays ait à la fois des liens économiques privilégiés avec l'Europe et la Russie (son principal partenaire commercial), estiment plusieurs analystes.

Ainsi, à défaut de garder l'Ukraine dans sa sphère d'influence directe, elle ne sera pas au moins dans celle des Occidentaux, ce qui constitue une demi-victoire pour Vladimir Poutine.

De leur côté, les Américains et les Européens ont eu leur leçon: ils tiendront désormais davantage compte des intérêts de la Russie en Europe, d'autant plus que le pays a investi ces derniers années pour moderniser son armée et ses armements.

Pourquoi la Russie effectue des bombardements en Syrie

L'autre grand coup d'échec de Vladimir Poutine est l'intervention militaire de Moscou dans la guerre civile en Syrie, depuis le 30 septembre.

Moscou a plusieurs objectifs avec ses bombardements, selon les spécialistes en géopolitique.

- la Russie veut éviter la chute de son indéfectible allié Bachar Al-Assad, ce qui lui permet d'avoir une présence et une influence au Moyen-Orient.

- la Russie veut empêcher une déstabilisation accrue de la région que provoquerait le renversement du régime Al-Assad. Selon Moscou, le renversement de Saddam Hussein en Irak (en 2003) et de Mouammar Kadhafi en Libye (en 2011) montrent que les changements de régime aggravent la situation.

- la Russie affirme vouloir combattre «les terroristes» qui pourraient un jour perpétrer des attaques en territoire russe, ce qui inclut l'organisation État islamique et l'opposition au régime Al-Assad.

- la Russie veut montrer qu'elle est une puissance régionale - même si elle n'a plus la force de l'ex-URSS - avec laquelle l'Occident doit composer.

- la Russie veut avancer ses pions au Moyen-Orient au détriment des États-Unis, en montrant aux pays de la région qu'elle est un allié fiable, contrairement à Washington, dont l'ambivalence et le manque de leadership inquiètent.

Aujourd'hui, une solution pour mettre fin à la guerre civile en Syrie est devenue impensable sans le concours de la Russie. Ce qui n'était pas le cas il y a un an seulement...

De plus, en soutenant le régime alaouite de Bachar Al-Assad (une branche du chiisme), la Russie renforce de facto son alliance avec la nouvelle grande puissance chiite au Moyen-Orient, l'Iran.

On le voit bien, de l'Europe orientale au Moyen-Orient, la Russie est redevenue une puissance influente avec laquelle il faudra désormais compter. Comme durant la Guerre froide, même si la Russie n'a plus la puissance de l'ex-URSS.

Et, dans les prochaines années, il ne faudrait pas non plus se surprendre de voir la Russie défendre davantage ses intérêts dans l'Asie-Pacifique.

Voilà pourquoi on peut dire que le maître du Kremlin est en train de gagner son pari.

 

 

 

 

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand