Pourquoi Xi Jinping ne renoncera jamais au Made in China 2025

Publié le 11/05/2019 à 08:45

Pourquoi Xi Jinping ne renoncera jamais au Made in China 2025

Publié le 11/05/2019 à 08:45

Le président chinois Xi Jinping lors d'un discours à Pékin le 30 avril (source photo: Getty)

ANALYSE GÉOPOLITIQUE – La politique industrielle chinoise Made in China 2025 est au cœur de la guerre commerciale entre Pékin et Washington. Le président Donald Trump veut la démanteler parce qu’elle menace les intérêts américains. Il devra déchanter, car son homologue Xi Jinping ne renoncera jamais à cette politique.

Pourquoi? Parce qu’elle est vitale pour le développement économique et social de la Chine, en plus d’être le projet du président Xi pour faire à nouveau de la Chine une grande superpuissance -il s’est même arrogé la présidence du pays à vie pour y parvenir.

Aussi, à moins que Washington ne réduise ses attentes, la guerre commerciale entre les deux géants du Pacifique -qui vient de s’intensifier avec la hausse de tarifs douaniers de 10% à 25% sur 200 milliards de dollars américains d’importations chinoises- pourrait durer encore très longtemps, disent des spécialistes.

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Les investisseurs et les entreprises canadiennes présentes aux États-Unis dont la chaîne d’approvisionnement est liée à la Chine doivent donc en tenir compte dans leur gestion des risques et leur gestion des opérations.

Pour les États-Unis, le Made in China 2025 n’est rien de moins qu’une stratégie pour acquérir ses technologies, en forçant les entreprises américaines actives en Chine à faire d’importants transferts technologiques pour avoir accès au marché chinois.

Lancée en 2015, cette politique industrielle chinoise vise deux grands objectifs, selon diverses analyses :

  • Faire de la Chine LA puissance manufacturière mondiale en 2049 en termes de qualité, année où le pays célébrera le centenaire de la fondation de la Chine communiste.
  • Accroître l’autosuffisance de la Chine en matière de hautes technologies, en réduisant sa dépendance aux importations des pays occidentaux et en ayant davantage de contenu chinois dans les produits vendus dans le pays (le seuil passera de 40% en 2020 à 70% en 2025).

Le Made in China 2025 met l’emphase sur dix secteurs clés, comme on peut le voir sur cette infographie du site Asia Briefing.

Cette politique vise aussi à stopper la perte de compétitivité de l’industrie chinoise, alors que les salaires en Chine augmentent plus rapidement que les gains de productivité.

Résultat? Le pays devient moins attrayant pour les investisseurs étrangers.

Les investisseurs japonais, chinois et sud-coréens investissent d’ailleurs de plus en plus dans des pays à plus faibles coûts de production en Asie du Sud-Est tels que le Vietnam et le Cambodge, selon le Financial Times de Londres.

Bien entendu, la Chine demeure «l'usine» du monde, mais elle risquait de devenir une puissance manufacturière à moyenne valeur ajoutée si Pékin ne corrigeait pas le tir.

Enfin, il y a aussi des considérations politiques derrière le Made in China 2025.

«À l’heure où l’économie chinoise ralentit, l’adoption de ces industries et technologies émergentes est considérée comme un moyen essentiel de maintenir et d’améliorer la croissance», souligne le magazine japonais The Diplomat.

Selon plusieurs spécialistes, la Chine a besoin d’une croissance économique relativement élevée pour créer des millions d’emplois, assurer la stabilité sociale dans cet État policier et, surtout, assurer le maintien au pouvoir et la survie du parti communiste.

Comment fonctionne le Made in China 2025

Regardons maintenant comment se déploie le Made in China 2025, qui inquiète tant les États-Unis, mais aussi Allemagne, qui vient de se doter d’une politique industrielle pour contre-attaquer la politique chinoise.

En fait, le Made in China 2025 accélère les efforts antérieurs de Pékin de consacrer plus de ressources et d’intensifier la planification des politiques afin de coordonner les activités des gouvernements, des entreprises privées et du monde universitaire, souligne le magazine Foreign Affairs.

Selon cette publication américaine, ces efforts comprennent des politiques connues publiquement, mais aussi des actions «plus opaques». Ces tactiques incluent plusieurs éléments :

  • Fixer des objectifs explicites : à la fois par la définition d’objectifs publics et par la coordination officieuse et indirecte, les dirigeants chinois encouragent les entreprises privées et publiques à orienter leurs décisions en fonction des priorités du Made in China 2025.
  • Fournir des subventions directes : Pékin augmente son soutien direct aux 10 industries chinoises prioritaires grâce à un financement public, à des prêts à faible taux d'intérêt, à des allégements fiscaux et à d'autres subventions. Ce soutien pourrait atteindre plusieurs centaines de milliards de dollars américains (G$), selon certaines estimations.
  • Investir à l’étranger et faire des acquisitions : Pékin encourage les entreprises chinoises, tant privées que publiques, à investir dans des sociétés étrangères, notamment des sociétés de semi-conducteurs, pour avoir accès à des technologies de pointe. Aux États-Unis seulement, les acquisitions chinoises ont totalisé plus de 45 G$US en 2016, selon le Rhodium Group.
  • Mobiliser les entreprises soutenues par l'État : une grande partie de cet investissement de 45 G$US provient de sociétés d’État, d’entreprises ou de fonds soutenus par Pékin. Les réformes économiques des années 1990 ont réduit le rôle des entreprises publiques dans l’économie, mais elles représentent toujours un tiers du PIB et environ deux tiers de l’investissement chinois à l’étranger.
  • Forcer les transferts technologiques : les sociétés étrangères se plaignent que pour investir ou faire des affaires en Chine, elles doivent former des coentreprises avec des sociétés chinoises dans des conditions les obligeant à partager de propriété intellectuelle sensible et un savoir-faire technologique de pointe. La Chine a déjà utilisé cette stratégie pour acquérir des technologies étrangères, et ce, des batteries ferroviaires à grande vitesse aux batteries de véhicules électriques.

Washington et Pékin devront faire des compromis

Bien malin qui peut prévoir comment évoluera la guerre commerciale qui vient de s’intensifier entre les deux principales économies de la planète. Chose certaine, Pékin et Washington devront mettre de l’eau dans leur vin.

La Chine doit faire un sérieux examen de conscience.

Le géant asiatique doit comprendre que sa manière de forcer les transferts technologiques en Chine et sa campagne mondiale d’acquisitions de joyaux industriels et technologiques inquiètent et irritent plusieurs pays, à commencer par les États-Unis.

À terme, Pékin doit aussi accepter la réciprocité économique avec ses partenaires commerciaux et respecter leur propriété intellectuelle en Chine, ce qui représente tout un défi pour un régime communiste, sans État de droit indépendant.

Pour sa part, les États-Unis doivent accepter que la Chine a le droit légitime de se développer et d’aspirer à devenir la première puissance manufacturière en termes de qualité dans le monde, même si cela menace des entreprises américaines.

Du reste, les Américains ne sont pas démunis face à la Chine.

Les États-Unis sont un pays d’innovation, qui est doté d’immenses ressources naturelles, matérielles, financières et humaines, sans parler de son esprit entrepreneurial qui fait l’envie du monde entier.

Les Américains n’ont qu’à se battre pour garder leur leadership en matière de haute technologie, comme ils l’ont fait durant la guerre froide (1945-1991) contre l’ex-Union soviétique grâce à des innovations et des révolutions technologiques comme l’internet.

En revanche, Donald Trump doit renoncer à vouloir démanteler la politique Made in China 2025; cela n’arrivera pas, affirment des spécialistes.

Car Xi Jinping n’abandonnera jamais sa politique et son «China Dream».

 

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand