Un «Franxit» est très improbable

Publié le 01/04/2017 à 09:16

Un «Franxit» est très improbable

Publié le 01/04/2017 à 09:16

ANALYSE GÉOPOLITIQUE – Après le Brexit, l’inquiétude grandit à propos d’une éventuelle sortie de la France de l’Union européenne -le Franxit- avec la popularité croissante de Marine Le Pen et du Front national. Or, si un tel scénario est techniquement possible, il est en réalité très improbable.

La gestion des risques est une discipline complexe qui repose en grande partie sur la probabilité mathématique qu’un événement se produise. Or, cette probabilité peut varier grandement d’un risque à l’autre.

Par exemple, en astronomie, la probabilité qu’un astéroïde percute un jour la Terre et déclenche un cataclysme est mathématiquement possible. De tels événements se sont après tout déjà produits dans l’histoire de la Terre.

Mais les spécialistes s’entendent pour dire que ce type de risque est relativement très faible.

C’est sensiblement la même chose avec le Franxit : ce risque est mathématiquement possible, mais la probabilité qu’il se produise est relativement très faible.

Or, depuis quelques semaines, des médias rapportent que les investisseurs et les marchés financiers prennent très au sérieux le «risque Marine Le Pen».

Comme la leader du Front national veut tenir un référendum sur l’appartenance de la France à l’UE si elle est élue, ils s’inquiètent de la possibilité qu’elle remporte l’élection présidentielle en France, en mai.

Cette crainte se traduit d’ailleurs sur les marchés financiers.

Depuis l’élection de Donald Trump le 8 novembre, les coûts d’emprunt du gouvernement français –sur les obligations 10 ans- ont doublé, une hausse qui témoigne de l’inquiétude des investisseurs et des marchés financiers, selon les spécialistes.

Ont-ils raison de s’inquiéter d’une victoire de Marine Le Pen, qui serait suivie par une sortie de la France de l’UE (et de la zone euro)?

Pas vraiment, même si mathématiquement une telle probabilité existe.

Pourquoi il ne faut pas tant s'inquiéter

Voici pourquoi il n’y a pas lieu de s’inquiéter autant.

Premièrement, parce que la probabilité que Marine Le Pen devienne la prochaine présidente de la France est mince.

Deuxièmement, parce qu’advenant que la cheffe du FN gagne l’élection présidentielle, la probabilité que les Français votent en faveur d’une sortie de l’UE est encore plus mince.

Regardons d’abord le premier scénario : une victoire de Marine Le Pen au second tour de l’élection présidentielle.

Deux éléments sont à considérer.

Tout d’abord, l’élection présidentielle en France est un scrutin à deux tours, ce qui permet aux électeurs de voter différemment au second tour. Lors du référendum sur le Brexit et la présidentielle américaine, il n’y avait qu’une occasion de voter.

Il y a ensuite les intentions de vote. Même s’il faut demeurer prudent à l’égard des sondages (ils n’avaient pas prévu la victoire du Brexit et de Donald Trump), ils sont généralement fiables lorsqu’ils sont bien faits.

Or, tous les sondages prédisent une victoire d’Emmanuel Macron, le candidat indépendant de centre gauche, au second tour de l’élection présidentielle en France.

En fait, Marine Le Pen pourrait peut-être remporter l’élection présidentielle si trois facteurs étaient réunis en même temps dans les prochaines semaines, selon certains analystes.

1. Une forte montée du populisme et du nationalisme économique.

2. Une alliance entre l’extrême droite (le Front national) et la droite conservatrice en France, dont plusieurs représentants ne pourraient se résoudre à voter pour Emmanuel Macron, un ancien ministre socialiste.

3. Un nouvel attentat terroriste d’envergure en France qui créerait un climat de peur et d’incertitude favorisant ainsi Marine Le Pen.

Imaginons une victoire de la leader du Front national, ce qui déjouerait ainsi tous les pronostics, comme dans le cas du Brexit et de l’élection de Donald Trump.

Eh bien, la France serait encore loin d’un Franxit.

Même une victoire de Le Pen ne mène pas au Franxit

Au lendemain du vote sur le Brexit en juin 2016, les firmes de sondage ont sondé l’opinion des Français sur leur attachement à l’Union européenne. Eh bien, les sondages ont montré qu’ils ne veulent pas quitter l’UE.

Par contre, une majorité de Français réclament «davantage d’autonomie des nations vis-à-vis de l’Union européenne», souligne Le Monde.

Enfin, un autre facteur est à considérer, un facteur historique.

Contrairement au Royaume-Uni, la France a toujours été plus attachée et impliquée dans la construction européenne depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale.

Par exemple, le Royaume-Uni n’a adhéré qu’en 1973 à l’UE (la Communauté économique européenne à l’époque), et ce, en même temps que l’Irlande et le Danemark.

Or, la France fait partie des six pays fondateurs (les autres sont la Belgique, le Luxembourg, les Pays-Bas, l’Allemagne de l’Ouest et l’Italie) qui ont créé la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA), en 1951.

Or, la CECA est l’acte de naissance de l’Union européenne.

De plus, l’Union européenne est avant tout à l’origine une idée de la France. Les deux principaux fondateurs de la construction européenne sont d’ailleurs français : Jean Monet (1888-1979) et Robert Schuman (1886-1963).

Jean Monet est le père fondateur de la Communauté européenne, selon les historiens. C’est lui qui a eu l’idée créer la CECA, en mettant en commun des productions de charbon et d’acier entre les anciens frères ennemis.

Robert Schuman est né au Luxembourg, mais il a fait carrière en France –il a été notamment ministre des Affaires étrangères. Il a su convaincre les Européens de la nécessité de s’unir économique et politiquement afin que l’Europe ne soit plus jamais un champ de bataille.

Les Britanniques n’ont jamais eu ce degré d’implication politique ou morale dans la construction européenne.

Aussi, on voit mal comment la France, le principal pays fondateur de l’UE, pourrait envisager de quitter la plus importante construction politique démocratique de l’histoire.

Ce sont donc pour toutes ces raisons qu’un Franxit est très improbable, et ce, même si Marine Le Pen devenait néanmoins la prochaine présidente de la France (un scénario également peu probable).

 

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand