Pourquoi il faut apprendre à vivre avec la bombe nord-coréenne

Publié le 09/09/2017 à 11:52

Pourquoi il faut apprendre à vivre avec la bombe nord-coréenne

Publié le 09/09/2017 à 11:52

Demonstration de force lors du défilé à Pyonyang (source photo: Getty)

ANALYSE GÉOPOLITIQUE. Vladimir Poutine a raison à propos de la Corée du Nord: le renforcement des sanctions économiques contre le régime de Kim Jong-un est «inutile» et le dialogue est la seule solution, car la Corée du Nord ne renoncera jamais à son arsenal nucléaire. Nous devons donc apprendre à gérer ce risque.

Bien entendu, la Corée du Nord représente une menace pour la stabilité politique en Asie. La dictature communiste a les capacités militaires d’attaquer et de faire des dommages considérables (humains et matériels) à la Corée du Sud et au Japon, sans parler des bases américaines dans cette région du monde.

De plus, si la tendance se maintient, le régime nord-coréen aura éventuellement les capacités techniques et balistiques de lancer un missile nucléaire sur le continent américain, pour frapper des villes comme Los Angeles ou San Francisco.

Le président américain Donald Trump affirme que toutes les options sont sur la table pour éliminer cette menace, incluant des frappes préventives contre les installations militaires de la Corée du Nord.

Or, un tel scénario serait une catastrophe, affirment la plupart des spécialistes.

Car ces frappes américaines ne détruiraient pas entièrement les capacités offensives du régime nord-coréen.

La Corée du Nord pourrait alors riposter en bombardant Séoul avec des armes conventionnelles ou chimiques. Cela entraînerait à coup sûr une contre-attaque de la Corée du Sud, et le déclenchement probable d’une nouvelle guerre de Corée.

Cette situation serait explosive puisque les Américains et les Chinois seraient sans doute entraînés dans ce conflit par le jeu des alliances.

Dans le bras de fer qui oppose la Corée du Nord aux États-Unis, il faut comprendre pourquoi ce petit pays pauvre de 25 millions d’habitants veut absolument détenir la bombe atomique.

En fait, sa stratégie est plus rationnelle qu’on ne le croit.

Le régime nord-coréen veut assurer sa sécurité et être traité d’égal à égal par les autres puissances nucléaires et, surtout, les Américains. C’est la leçon des dernières décennies: les pays qui ont la bombe atomique ne se font pas attaquer.

Dans ce contexte, est-il rationnel de déclencher une nouvelle guerre de Corée pour «dénucléariser» le régime nord-coréen?

Poser la question est y répondre, dit l’adage.

Les grandes leçons de la guerre froide

Dans ce cas, les Américains et leurs alliés doivent accepter la bombe atomique de la Corée du Nord. Comme ils ont dû accepter et gérer le risque de la bombe soviétique et de la bombe chinoise durant la guerre froide (1945 à 1990).

Or, l’ex-Union des républiques socialistes soviétiques (URSS) était une menace ô combien plus importante que la Corée du Nord aujourd’hui.

Dans les décennies de l’après-guerre, les Américains et leurs alliés ont déployé une politique afin de contenir l’Union soviétique, sans l’affronter directement. Mais indirectement, Américains et Russes ont croisé le fer lors de la Guerre du Vietnam (1963-1975) ou lors de la Guerre d’Afghanistan (1979-1989).

Comme le soulignait un analyste dans le Financial Times, la meilleure stratégie de dissuasion contre la Corée du Nord est un front uni des Occidentaux et de leurs alliés asiatiques comme la Corée du Sud, le Japon et l’Inde.

La Chine peut aussi être un allié circonstanciel, car Pékin n’aime pas non plus le comportement de son turbulent voisin, souligne The Guardian.

Les Chinois ont aussi des intérêts dans cette crise géopolitique.

Pour eux, le pire scénario serait l’effondrement du régime nord-coréen. Car cela conduirait à l’unification de la péninsule coréenne, et à son intégration dans la sphère d’influence américaine.

La meilleure stratégie

C’est pourquoi tous les acteurs dans cette crise ont intérêt à réduire le niveau de tensions dans la péninsule coréenne, affirment les spécialistes.

Et cela passe par une normalisation des relations entre Pyongyang et Washington, sans cautionner pour autant la violence envers le peuple nord-coréen.

La paix doit aussi être conclue avec la Corée du Nord afin de clore officiellement la Guerre de Corée (1950-1953). Car, si les combats ont cessé il y a 64 ans, un traité de paix n’a jamais été conclu.

Washington doit enfin accepter que la Corée du Nord soit une puissance nucléaire.

Pour sa part, le régime nord-coréen doit cesser ses provocations afin de se concentrer sur le développement de son économie. La communauté internationale pourrait même l’aider, comme elle l’a fait dans le passé, mais sans succès.

Une Corée du Nord nucléaire représenterait toujours un risque géopolitique.

Par contre, ce serait un risque gérable, comme l’a été l’ex-URSS durant la guerre froide.

Et, du reste, la Russie aujourd’hui.

 

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand