Oubliez Trump, les Américains ont toujours été (un peu) protectionnistes

Publié le 20/05/2017 à 09:32

Oubliez Trump, les Américains ont toujours été (un peu) protectionnistes

Publié le 20/05/2017 à 09:32

Le président américain Donald Trump et son prédécesseur Barack Obama (source photo: Getty)

ANALYSE GÉOPOLITIQUE – Les États-Unis ont enclenché le long processus de renégociation de l’ALÉNA. Le Canada devra faire des concessions, alors qu’on assiste à une poussée protectionniste dans la foulée de l’élection de Donald Trump. Or, il faut relativiser ce risque, car le protectionnisme est une constante dans l’histoire américaine.

Les Américains ont pratiquement inventé le protectionnisme, affirment même certains historiens de l’économie, dont Paul Bairoch, l’auteur de Mythes et paradoxes de l'histoire économique (La Découverte, 2005), un classique de l'histoire économique.

En fait, les États-Unis sont devenus un pays libre-échangiste uniquement après la Deuxième Guerre mondiale.

Auparavant, les États-Unis étaient les apôtres du protectionnisme. Les premières manifestations de cette politique économique remontent aussi loin que dans les années 1790, selon le Wall Street Journal.

Aux yeux du premier secrétaire américain au Trésor, Alexander Hamilton, la jeune république devait imposer des tarifs pour protéger ses industries naissantes - les «infanted industries» - de la concurrence étrangère.

Aussi, tout au long du 19e siècle, les États-Unis ont imposé des tarifs douaniers élevés, frôlant même les 50% en 1830.

En 1854, le Canada réussit à avoir un meilleur accès au marché américain grâce au Traité de réciprocité, qui a notamment réduit les tarifs sur les produits agricoles et les matières premières.

Toutefois, Washington met fin à l’accord en 1866, et ce, en raison du soutien apporté en catimini par le Royaume-Uni aux États sudistes contre le Nord lors de la guerre de Sécession (1861-1865).

En 1910, le Canada tente à nouveau de conclure un nouvel accord, mais sans succès.

Les libéraux de Wilfrid Laurier -qui faisaient la promotion du libre-échange avec les Américains- sont défaits aux élections de 1911 par les conservateurs de Robert Laird Borden farouchement opposés à ce projet.

Le protectionnisme américain se manifeste aussi fortement durant la terrible Dépression des années 1930 avec la loi Hawley-Smoot. Washington fait alors passer le tarif moyen sur les importations protégées de 39% à 53%.

Par contre, en 1945, au zénith de leur puissance, les États-Unis deviennent les plus ardents défenseurs du libre-échange, alors que l’Europe est en ruine et que l’économie américaine domine plus que jamais le monde.

Cette politique mène d’ailleurs à la mise en place du GATT (l'Accord général sur les tarifs et le commerce) en 1948, une entente internationale qui a permis de réduire les tarifs dans le monde et de relancer les échanges commerciaux.

Washington milite aussi pour créer l'Organisation mondiale du commerce (OMC), en 1995, qui gère depuis le GATT.

Le protectionnisme républicain et démocrate

Malgré tout, les États-Unis font aussi preuve de protectionnisme, comme en témoignent les nombreux conflits du bois d’œuvre avec le Canada depuis près de 50 ans.

Par exemple, peu de temps après son élection en 1980, Ronald Reagan déclenche une guerre commerciale contre le Japon, un pays que tout le monde craignait à l'époque, un peu comme la Chine aujourd’hui.

Ce qui n’empêche pas l’administration Reagan de conclure l’Accord de libre-échange (ALÉ) avec le Canada, alors dirigé par les conservateurs de Brian Mulroney.

L’accord, qui entre en vigueur en 1989, est remplacé par l’ALÉNA, en 1994. Mais l’adoption de ce dernier aux États-Unis n’a pas été facile.

En 1993, le nouveau président démocrate Bill Clinton doit ajouter deux accords parallèles à l'ALÉNA, qui portaient sur l'environnement et le droit du travail, afin de faire approuver l’entente par le Congrès américain.

Le président républicain George W. Bush (2001-2009) n’est pas en reste. Au début de son premier mandat, il met en place des mesures protectionnistes sur les importations d’acier aux États-Unis afin de protéger l’industrie américaine mal en point.

Par la suite, la récession mondiale de 2007-2008 amorce une nouvelle poussée du protectionnisme sous l’administration démocrate de Barack Obama, avec la multiplication des clauses dites du Buy American et du Buy America.

Aujourd'hui, Donald Trump s’inscrit donc dans une longue tradition protectionniste qui est présente tout au long de l’histoire américaine.

Cela dit, le nouveau président américain pousse certainement le niveau de protectionnisme à un cran plus élevé. Par exemple, il a carrément menacé de retirer les États-Unis de l’ALÉNA, ce qu'aucun autre président n'avait fait auparavant.

En 2008, lors de la course à l'investiture démocrate, Barack Obama s'était engagé à renégocier l'ALÉNA –mais sans jamais remettre en cause son existence. Cependant, une fois au pouvoir, il n'a pas touché au traité.

Le Canada devra encore s'adapter

Les prochains mois s’annoncent difficiles pour le Canada dans cette renégociation de L’ALÉNA.

Dans une note, les analystes de la Banque CIBC estiment que le Canada devra notamment faire des concessions sur le bois d’œuvre et la gestion de l’offre (lait, œufs, volailles), sans parler des règles d’origine.

Celles-ci permettent par exemple à une entreprise manufacturière du Canada d'importer des composants de la Chine et de les intégrer dans une machine vendue aux États-Unis, et ce, sans payer de tarif douanier.

Dans la renégociation du traité, Washington pourrait par exemple exiger un seuil minimal de contenu américain -ce qui n’existe pas actuellement- dans les produits vendus dans la zone ALÉNA sans tarifs douaniers. Ce qui réduirait du coup la possibilité d’importer des composants à l’extérieur de l’Amérique du Nord.

Les Américains ne nous feront pas de cadeaux. Ottawa devra se battre pour défendre ses intérêts.

Mais les entreprises canadiennes s’adapteront à la nouvelle donne économique et commerciale avec leur puissant voisin américain.

Comme elles le font depuis plus de deux siècles.

 

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand