On se calme, l'Union européenne n'éclatera pas

Publié le 08/04/2017 à 09:10

On se calme, l'Union européenne n'éclatera pas

Publié le 08/04/2017 à 09:10

(Photo: Getty)

ANALYSE GÉOPOLITIQUE – Savons-nous encore bien jauger les risques géopolitiques? Cette semaine, le grand patron de JPMorgan Chase, Jamie Dimon, a dit craindre un éclatement de l’Union européenne à la suite de l’instabilité créée par le Brexit. L’UE est certes en crise, mais craindre sa fin est nettement injustifié.

En théorie, tous les scénarios géopolitiques sont possibles. Après tout, l’ex-Union des républiques socialistes soviétiques (URSS) a éclaté avec la chute du communisme en Europe, tout comme l’ex-Yougoslavie. On pourrait aussi mentionner le démembrement de l’empire austro-hongrois durant la Première Guerre mondiale.

Mais l’Union européenne, la plus importante construction politique de pays démocratiques de l’histoire?

Avant d’aller plus loin, regardons de plus près ce qui inquiète le patron de JPMorgan Chase.

Dans une lettre annuelle publiée le 4 avril, Jamie Dimon affirme qu'une scission de l'Union européenne aurait des conséquences économiques et politiques «dévastatrices», rapporte l’Agence-France Presse (AFP).

«Nous espérons que l'arrivée du Brexit va conduire l'Union européenne à se concentrer sur la résolution de ses problèmes -immigration, bureaucratie, la perte en cours de droits souverains et l'inflexibilité du droit du travail», écrit le banquier américain dans cette lettre destinée à la communauté financière.

«Notre crainte est, toutefois, de voir (le Brexit) déboucher sur une instabilité politique qui contraindrait l'Union européenne à se scinder», poursuit-il.

Concrètement, cela signifierait que le lien confédéral entre les 27 pays de l’UE (excluant le Royaume-Uni) serait dissous, incluant des institutions communes telles que le parlement européen, pour faire place à une Europe continentale uniquement composée de 27 États souverains comme le Canada.

Il va sans dire que l’euro -la monnaie unique que partagent aujourd’hui 19 pays- serait aussi sabordée, pour retourner aux monnaies nationales de jadis telles que le mark allemand, le franc français ou la lire italienne.

Jamie Dimon a certainement le droit d’exprimer publiquement ses craintes face à l’avenir de l’Union européenne. Le hic, c’est que ce financier est influent, très influent même.

Sa lettre est analysée à Wall Street, car JPMorgan Chase est la première banque américaine en termes d'actifs et sert des clients (gouvernements, municipalités, multinationales, grosses fortunes ...) aux quatre coins du monde.

Par conséquent, sa (mauvaise) perception du risque géopolitique à propos de l’Europe risque de renforcer une perception déjà répandue, du moins en Amérique du Nord, selon laquelle l’UE risque l’effondrement.

Or, cette perception ou cette crainte n’est pas fondée, et ce, pour deux raisons fondamentales.

L’UE a déjà surmonté bien des crises

Tout d’abord, parce que si l’Union vit une grave crise actuellement (Brexit, terrorisme, immigration massive, etc.), ce n’est pas la première fois qu’elle fait face à des défis de taille dans son histoire.

Et on peut en nommer plusieurs (cette liste n’est pas exhaustive):

-la réunification allemande (1989-1990).

-l’intégration d’anciens pays satellites de l’ex-URSS comme la Pologne.

-la mise en circulation de l’euro (2002).

-la profonde division de l’Union européenne sur la question de la guerre en Irak (2003).

-le rejet par référendum, en France et aux Pays-Bas (deux pays fondateurs de l’UE) du projet de traité constitutionnel européen (2005).

À toutes ces occasions, les Européens ont réussi à surmonter ces crises et à continuer de faire avancer la construction européenne.

Ils peuvent le faire à nouveau aujourd’hui.

Certes, le Brexit est un événement inattendu dans le long processus de la construction européenne depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale.

C’est la première fois qu’un pays quitte volontairement l’UE. Depuis des décennies, on voyait plutôt des États européens rêver et faire des sacrifices énormes pour joindre la «grande famille européenne».

L’UE garantit la paix en Europe

Par ailleurs, les craintes de l’éclatement de l’Union européenne sont injustifiées pour une autre raison fondamentale, qui est mal comprise à l’extérieur de l’Europe, surtout au Canada et aux États-Unis.

L’Union européenne est avant tout un projet politique, et non pas un projet économique comme l’est par exemple l'Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA).

L’objectif de l’UE? Maintenir la paix en Europe.

Et pour le comprendre, il faut retourner au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, alors que l’Europe était en ruine et que les Américains et les Russes se faisaient face sur le Vieux Continent.

Le traumatisme est profond.

En une trentaine d’années, la Première Guerre mondiale (1914-1918) et la Deuxième Guerre mondiale (1939-1945) ont tué des dizaines de millions de personnes et grandement affaibli la place de l’Europe dans le monde.

«Plus jamais», se sont alors dit les Européens.

En 1951, ils ont créé la Communauté européenne du charbon et de l'acier (CCECA), qui regroupait la Belgique, la France, l'Allemagne, l'Italie, le Luxembourg et les Pays-Bas.

Cette communauté a permis d'unir graduellement les pays européens sur le plan économique et politique.

Le but ultime n'était pas de faire du commerce, mais bien de garantir une paix durable entre les pays européens, qui se sont affrontés lors de deux guerres sanglantes au 20e siècle.

Et les Européens y sont arrivés.

À l’exception de la guerre en ex-Yougoslavie dans les années 1990, le continent vit en paix depuis 1945, et c’est grâce à l’Union européenne.

Cette notion est bien ancrée dans la mémoire collective des citoyens du Vieux Continent.

Voilà pourquoi les Européens n’accepteront jamais de dissoudre cette union politique, qui est bien imparfaite, mais perfectible.

Il faudra bien l’expliquer un jour aux banquiers de Wall Street.

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand