Long tweet au président Trump

Publié le 21/01/2017 à 09:38

Long tweet au président Trump

Publié le 21/01/2017 à 09:38

ANALYSE GÉOPOLITIQUE - Voilà, c'est fait, Monsieur Trump, vous êtes le 45e président des États-Unis et l'homme le plus puissant de la Terre. Si votre élection suscite de l'espoir chez beaucoup d'Américains, elle suscite aussi de l'inquiétude dans votre pays et ailleurs dans le monde. Car, si vous croyez bien faire, vos politiques risquent d'avoir un impact néfaste sur l'économie, l'environnement et la stabilité du monde.

Oui, oui, je sais, Monsieur le président, j'ai déjà largement dépassé la limite de 140 caractères, la formule de Twitter que vous affectionnez tant. Mais permettez-moi de tricher un peu avec cette limite, car je souhaite aborder plusieurs points avec vous.

De toute évidence vos slogans «Make America great again» et «America first» ont touché bien des Américains. Des dizaines de millions de citoyens y croient, et, vous aussi, j'en suis sûr.

Mais vos politiques centrées uniquement sur la défense des intérêts américains redonneront-elles la «grandeur à l'Amérique? Permettez-moi d'en douter.

Un regard extérieur permet souvent de mieux cerner notre vraie nature que notre propre regard. Si cela est vrai pour une personne, une ville ou une organisation, ce l'est également pour un pays dans une certaine mesure. Alors, permettez-moi de vous dire ce qui, à mon humble avis, a fait et fait encore la «grandeur de l'Amérique».

L'architecte de l'économie moderne

Ce n'est d'abord certainement pas le protectionnisme économique, comme vous le proposez avec vos menaces d'imposer des tarifs douaniers sur les importations de l'étranger, au premier chef de la Chine.

Certes, au 19e siècle et dans la première moitié du 20e siècle, votre pays s'est industrialisé à l'abri de tarifs douaniers afin de protéger les industries naissantes aux États-Unis. L'historien de l'économie Paul Bairoch (1930-1999) décrit bien cette situation dans son essai Mythes et paradoxes de l'histoire économique.

Par contre, c'est à partir de la Deuxième Guerre mondiale que votre pays est devenu un fervent partisan du libre-échange, une politique qui a mené à la création du GATT (Accord général sur les tarifs et le commerce), en 1948, remplacé par la suite par l'Organisation mondiale du commerce (OMC), en 1995.

Cela a permis de réduire graduellement le protectionnisme mis en place dans le monde lors de la Dépression des années 1930, et d'ouvrir une période de prospérité sans précédent en Occident -et au premier chef aux États-Unis- durant des décennies.

Bref, c'est l'ouverture au commerce international qui a fait «la grandeur de l'Amérique» et d'une grande partie du reste du monde.

Bank of America Merrill Lynch s'inquiète d'ailleurs de la montée du protectionnisme sous votre administration. Dans une récente note, elle estime que le risque le plus important pour l'économie mondiale est une escalade des tensions commerciales entre la Chine et les États-Unis.

Bien entendu, la mondialisation libérale n'a pas fait que des gagnants dans le monde et aux États-Unis. Aussi, vous avez raison de dénoncer cette situation.

En décembre 2015, la National Academy of Science a publié une étude montrant une augmentation de la dépendance aux stupéfiants, une hausse du taux de suicide et un recul de la durée de vie chez les Américains blancs (excluant les Hispaniques) de 45 à 55 ans, et ce, depuis 2000.

Des tarifs douaniers plus élevés ne régleront pas ce problème du jour au lendemain, même si cela incitera plusieurs entreprises étrangères et américaines à investir davantage aux États-Unis.

En fait, votre pays doit investir davantage en santé, en éducation et dans divers programmes pour aider davantage les travailleurs au chômage à se recycler dans d'autres secteurs en croissance, disent les spécialistes.

Le leader dans la lutte aux changements climatiques

L'Amérique fait aussi preuve de grandeur quand elle assume son rôle de leadership dans le monde, au premier chef dans la lutte aux changements climatiques. Par exemple, l'Accord de Paris sur le climat, adopté en décembre 2015, a été rendu possible en grande partie en raison du leadership de l'administration Obama.

Or, ce vendredi, lorsque votre administration a pris officiellement le pouvoir à midi pile, elle a supprimé toute référence aux changements climatiques sur le site internet de la Maison-Blanche...

Adopter des politiques pour créer des emplois est une chose; adopter des politiques qui vont contribuer à affaiblir la lutte aux changements climatiques, le plus grand défi de l'humanité, en est une autre.

Excluons les considérations environnementales, et concentrons-nous uniquement sur l'impact économique des changements climatiques.

Vous déplorez que la lutte aux changements climatiques élimine des emplois dans le secteur des énergies fossiles, comme dans l'industrie du charbon, une filière que vous comptez relancer.

Et si je vous disais que combattre les changements climatiques coûte moins cher à l'économie américaine que de ne rien faire, comme le préconise votre administration, pourriez-vous me croire?

En fait, l'inaction nuit justement à l'économie, incluant celle des États-Unis. Et ce ne sont pas les environnementalistes qui le disent, mais de nombreuses études économiques.

La première étude sérieuse à ce sujet a été publiée en 2006 par l'économiste et l'ancien vice-président de la Banque Mondiale, Nicholas Stern. Son rapport évaluait les conséquences des changements climatiques à environ 0,5 % à 1 % du PIB mondial par année, et ce, autour de 2050.

Bon, vous me direz que 2050 est un échéancier un peu loin dans le temps.

Eh bien, sachez que l'impact économique se fera aussi sentir à court terme.

En 2011, la Table ronde nationale sur l'économie et l'environnement et l'économie (un forum canadien) a évalué que les coûts des changements climatiques pour le Canada pourraient s'établir à 5 G$CA par année en 2020.

Aux États-Unis, toute proportion gardée, on parlerait de coûts estimés à quelque 50 G$CA, un montant important même pour une économie de la taille de la vôtre. Ces coûts comprennent la construction d'infrastructures pour protéger les villes côtières comme New York.

En plus de réduire en partie ces impacts, la lutte aux changements climatiques permet aussi de développer de nouveaux secteurs et de créer nouveaux emplois, et ce, des technologies propres aux biocarburants en passant par la production d'énergie verte.

Et il se crée déjà beaucoup d'emplois verts aux États-Unis, Monsieur le président.

Une révolution énergétique est en marche dans le monde, et le gouvernement américain ne voudrait pas y participer? Vous voudriez laisser le leadership technologique à la Chine (le pays qui investit déjà le plus dans les énergies vertes) et aux Européens?

Les États-Unis ont révolutionné l'économie, les télécommunications et la société avec la révolution informatique et internet, en créant des leaders mondiaux comme Microsoft, Apple, Amazon ou Facebook.

À moins que vous ne changiez votre fusil d'épaule, les États-Unis pourraient passer en grande partie à côté de la révolution énergétique.

Des militaires exultent lors de l'ouverture du Bal de la Liberté par le président Trump.

Le responsable de la stabilité mondiale

Enfin, l'Amérique fait aussi preuve de grandeur quand elle joue son rôle de gendarme ou de pacificateur dans le monde, et ce, malgré certains conflits meurtriers et injustifiés, comme l'invasion de l'Irak en 2003, disent les spécialistes.

Vous connaissez bien, je présume, l'histoire des États-Unis, Monsieur le président.

Aussi, vous savez qu'en décembre 1941, l'entrée en guerre des États-Unis contre le Japon et l'Allemagne nazie a marqué un tournant majeur dans l'histoire du monde. Votre pays a réussi à vaincre ces deux dictatures meurtrières et à créer un nouvel ordre mondial, la pax americana.

Mais, aujourd'hui, votre élection risque d'affaiblir ce système.

Pour la première fois depuis 1945, vous êtes le premier président américain à ne plus se présenter comme le leader du monde libre défendant les idéaux démocratiques, comme l'ont été par exemple John F. Kennedy et Ronald Reagan (malgré des politiques controversées à l'étranger).

Les spécialistes sont inquiets. Votre doctrine «America first» annonce une politique étrangère où seuls les intérêts vitaux des États-Unis compteront au détriment des intérêts de vos alliés et de la stabilité politique du monde.

L'Occident est en paix depuis 1945, et l'ensemble de la planète vit aujourd'hui l'une des périodes la plus paisible de l'histoire. Par exemple, en 1950, de 500 000 à 900 000 personnes sont mortes sur les champs de batailles. En 2008, ce chiffre avait chuté à 30 000 personnes, selon le site PolitiFact.

Et cette situation n'est pas le fruit du hasard.

C'est un ordre politique international qui a été construit de toutes pièces par les Américains à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, avec des institutions comme l'Organisation des Nations unies ou l'OTAN (l'alliance militaire que vous décriez).

Bref, si le monde connaît une paix relative depuis 1945, c'est parce qu'il y a un gendarme mondial, le gendarme américain.

La situation ne manque pas d'ironie.

Vous voulez créer des emplois et relancer les exportations des États-Unis. Eh bien, si le commerce international fonctionne bien, c'est en grande partie parce que la marine américaine sillonne les océans et garantit ainsi la libre circulation des marchandises et des ressources (pétrole, minerais, etc.).

Une Amérique repliée sur elle-même au niveau géopolitique nuira en fin de compte à l'économie américaine et détruira à terme des emplois aux États-Unis, car les grandes chaînes d'approvisionnement sont mondialisées.

Nous ne vivons pas dans un monde à somme nulle, Monsieur le président.

La croissance économique en Chine et au Mexique ne se fait pas au détriment des Américains, même si des emplois aux États-Unis sont délocalisés dans ces pays. Car des milliers d'entreprises américaines exportent en Chine et au Mexique, ce qui crée des emplois aux États-Unis.

Avant de conclure ce long tweet, j'aimerais vous rappeler brièvement comment la grandeur de l'Amérique s'est construite depuis l'indépendance des États-Unis.

Elle a d'abord été construite par le labeur, l'ingéniosité et l'innovation du peuple américain.

Elle s'est aussi érigée grâce à l'esprit d'indépendance des Américains, à leur légendaire optimisme et à leur incroyable capacité à voir des occasions où la plupart des autres peuples ne voient que des problèmes insurmontables.

Malheureusement, votre doctrine «America first» risque d'étouffer dans l'oeuf cette énergie qui a façonné les États-Unis et une bonne partie du monde.

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand