Long tweet à François Legault: inspirons-nous de l'Allemagne sur le climat

Publié le 06/04/2019 à 09:10

Long tweet à François Legault: inspirons-nous de l'Allemagne sur le climat

Publié le 06/04/2019 à 09:10

Le premier ministre du Québec, François Legault (source photo: Getty)

ANALYSE GÉOPOLITIQUE – Monsieur le premier ministre, la lutte aux changements climatiques doit s’intensifier, affirment les spécialistes. Je sais que vous en êtes conscient, mais comme plusieurs dirigeants, vous craignez que cette lutte mine l’économie québécoise. Cette crainte est légitime. Or, plusieurs pays réussissent à faire croître leur PIB tout en réduisant leurs émissions de gaz à effet de serre (GES), à commencer par l’Allemagne.

Dans ce contexte, le Québec aurait tout avantage à s’inspirer de ce pays très industrialisé dans sa lutte aux changements climatiques, un pays qui vous inspire d’ailleurs déjà pour la recherche et développement ainsi que pour la quatrième révolution industrielle.

En entrevue à Les Affaires en septembre, lors de la dernière élection, vous nous avez expliqué que le Québec devait s’inspirer de l’Allemagne pour innover, car la collaboration entre le secteur privé et les universités dans ce pays propulse plus efficacement les bonnes idées sur le plancher des usines et sur le marché.

L’Allemagne vous inspire aussi pour le manufacturier 4.0 (les machines se parlent entre elles et s'ajustent en temps réel à l'offre et à la demande), alors que votre ministre de l’Économie et de l’Innovation, Pierre Fitzgibbon, vient de passer la semaine dans la ville allemande d’Hanovre pour assister au Hannover Messe, La Mecque du manufacturier intelligent.

Revenons à la lutte aux changements climatique, Monsieur Legault, le principal enjeu auxquels font face les pays, alors que les coûts humains et économiques des catastrophes naturelles ont déjà commencé à exploser – ils pourraient représenter de 5 à 20% du PIB dans les prochaines décennies si rien n’est fait, selon le fameux rapport Stern, publié en 2006.

Que fait l’Allemagne dans ce contexte?

Eh bien, en 2018, le moteur économique de l’Europe a réussi à réduire ses émissions de GES de 4,2% à 868,7 millions de tonnes, révélait cette semaine le ministère allemand de l’Environnement.

C’est beaucoup mieux que la performance du Québec et du Canada.

Les émissions québécoises ont légèrement augmenté de 0,01% en 2016 (les données les plus récentes) à 78,56 millions de tonnes, tandis que celles de l’ensemble du Canada ont diminué de 1,4% pour atteindre 704 millions de tonnes.

L’Allemagne fait aussi beaucoup mieux à long terme : par rapport à 1990 (l’année de référence de l’ancien protocole de Kyoto), le pays a réduit ses émissions de 30,6%, selon le ministère allemand de l’Environnement.

Au Canada, les rejets n’ont reculé que de 3,8% depuis 2005 (année de référence du pays pour l’atteinte de ses objectifs de la lutte aux changements climatiques), tandis que les émissions du Québec ont retraité de 9,1% par rapport à 1990, selon Radio-Canada.

Bien entendu, la performance allemande à long terme tient en partie à la fermeture de nombreuses usines inefficaces dans l’ex-Allemagne de l’Est, dans la foulée de la chute du communisme et la réunification pays au tournant des années 1990.

Par contre, cela n’explique qu’une partie des réductions de GES de l’Allemagne à long terme, car son économie à continuer de croître, à commencer par son dynamique secteur manufacturier qui fait l’envie du monde entier.

Comment le pays a-t-il réduit significativement ses émissions de GES en 2018, et ce, après quatre années de stagnation ?

La stratégie allemande

En fait, il s’agit de la somme de plusieurs facteurs, pas de révolution énergétique, seulement du gros bon sens, comme vous pouvez le constater, Monsieur le premier ministre :

  • Les énergies renouvelables ont permis d’éviter environ 184 millions de tonnes de GES (réduction de 4,5%), dont 75 millions seulement pour l’énergie éolienne.
  • La consommation de tous les combustibles fossiles (charbon, pétrole, gaz naturel) a diminué, notamment en raison du démantèlement de centrales thermiques et de la hausse du prix du carbone (le pays veut délaisser le charbon à long terme).
  • Les ménages et les consommateurs ont réduit leurs émissions de 15 millions de tonnes (10,9%), notamment grâce à une réduction des achats de mazout.
  • Les émissions dans le secteur des transports ont diminué d’environ 5 millions de tonnes (2,9%), à la fois pour l’essence et le diesel.
  • Le secteur manufacturier a réduit ses émissions de quelque 4 millions de tonnes (2,8%), entre autres dans la production de fer, la production de produits chimiques et l’industrie automobile.
  • Le secteur de la gestion des matières résiduelles a diminué ses émissions de 5,3%, et ce, en évitant d’enfouir les déchets de table dans les dépotoirs, une activité qui émet des GES en raison de la décomposition de la matière organique.

Monsieur Legault, même si un océan nous sépare, nous avons certains points en commun avec les Allemands, à commencer par les émissions de GES par habitant.

Elles s’élèvent à 9,4 tonnes au Québec, comparativement à 10,5 tonnes en Allemagne, soit un peu plus d’une tonne. Par contre, la première économie d’Europe ne peut pas compter sur l’hydroélectricité pour répondre à la quasi-totalité de sa demande en électricité.

Bref, si au lieu de brûler du charbon et du gaz naturel, les Allemands pouvaient compter sur un «Hydro-Allemagne» pour produire de l’électricité, on peut parier que leurs émissions par habitant seraient bien inférieures aux nôtres.

Une nuance qui rend encore plus intéressante la réduction de 4,2% des émissions totales de GES de l’Allemagne en 2018.

Bien entendu, tout n’est pas parfait dans ce pays.

Par exemple, l’Allemagne n’arrivera pas à atteindre son objectif de réduire ses émissions de 40% d’ici 2020 par rapport 1990 -elles ont baissé 30,6%, comme je le soulignais plus haut.

Par contre, le gouvernement allemand maintient le cap pour les couper de 55% d’ici 2030, soit dans 11 ans. Et le pays ambitionne même d’être carboneutre en 2050.

Le Québec ratera aussi sa cible de réduction de 2020, qui était de 20% par rapport à 1990. L’objectif pour 2030 est une diminution de 37,5%.

Je me pose la question et je vous la pose, Monsieur premier ministre : y arriverons-nous?

Le Québec doit sortir des sentiers battus

Pour espérer y arriver, il faut déployer une nouvelle énergie (sans faire de mauvais jeux de mots) pour sortir de notre zone de confort et se creuser davantage les méninges afin que la société québécoise -de la fabrication au transport à nos habitudes de consommation- soit plus efficace et émette beaucoup moins de GES.

L’Allemagne est une référence mondiale en matière d’innovation, à un point tel que les États-Unis se sont inspirés de ce pays pour relancer leur secteur manufacturier sous l’administration Obama.

Les Allemands sont aussi les leaders en ce qui a trait au manufacturier 4.0, un concept inventé en Allemagne. La politique de la Chine du Made in China 2025 -qui vise à améliorer la qualité de l’industrie chinoise- s’inspire directement de la politique manufacturière allemande.

C'est pourquoi le Québec –et les autres États qui peinent à réduire de manière significative leurs émissions de GES comme le Canada, les États-Unis et la Chine- devrait s’inspirer de l’Allemagne.

Après tout, ce pays semble avoir trouvé la meilleure recette pour innover et fabriquer des produits avec les meilleurs outils de la révolution numérique.

Il pourrait bien également avoir identifié une recette bien dosée afin d’avoir une économie dynamique qui contribue dans le même temps à lutter contre les changements climatiques.

 

 

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand