L’État reprend (enfin) sa place dans l’économie

Publié le 27/02/2021 à 08:00

L’État reprend (enfin) sa place dans l’économie

Publié le 27/02/2021 à 08:00

ANALYSE GÉOPOLITIQUE — Depuis une trentaine d'années, le discours économique dominant affirmait que l’État était moribond, dépassé et inefficace. Ce discours est maintenant de l'histoire ancienne dans la foulée de la récession mondiale de 2008-2009, de la montée du populisme et, surtout, de la pandémie de COVID-19. L’État est de retour pour pallier aux faiblesses du marché, et c’est une bonne chose pour les entreprises et les investisseurs.

Un an après le début de la pandémie, l’heure est au bilan, et force est de constater que le verdict est sans appel. Nous avons plus que jamais besoin d’un État fort, agile et efficace, mais bien entendu dans le respect de la démocratie, des droits de la personne et du bien commun.

Vous êtes-vous imaginé un seul instant dans quelle situation catastrophique nous serions actuellement si nous avions laissé essentiellement la gestion de la crise actuelle au secteur privé pour l'ensemble de l'économie, au Québec et ailleurs dans le monde?

Nous serions dans l’eau très bouillante, pourrait-on dire afin de demeurer poli.

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Certes, les pharmaceutiques ont mis au point des vaccins dans un temps record qui vont nous permettre de sortir à terme de cette crise. C’est une prouesse scientifique incroyable, et nous devons tous leur lever notre chapeau. En revanche, sans l’appui financier de l’État, nous n’aurions peut-être pas encore de vaccins.

La pandémie nous a fait réaliser une chose fondamentale: l’État n’existe pas seulement pour ses fonctions régaliennes (la défense du territoire, le maintien l’ordre public, la justice, la création de la monnaie).

Il doit aussi assurer la cohésion sociale et le bien-être collectif, à commencer par fournir une aide financière d’urgence à ses citoyens et à ses entreprises quand leurs sources de revenus se tarissent, comme ce printemps, au plus fort de la première vague.

Et à donner également un coup de pouce à l’industrie pharmaceutique.

Chose certaine, la crise que nous vivons a discrédité le discours des partisans du laissez-faire économique et du néolibéralisme tous azimuts (privatisation, déréglementation, libéralisation du commerce international, baisses d’impôt à répétition).

Ces idéologies ne sont pas mortes, loin de là.

Par contre, la traversée du désert idéologique de leurs partisans pourrait être très longue et ressembler à celle des partisans du laissez-faire économique au 20e siècle. Après la terrible Dépression des années 1930 et la Deuxième Guerre mondiale, ils ont longé les murs des facultés d’économie pendant des décennies.

 

Un juste équilibre

Bien entendu, il ne faut pas revenir à la lourdeur bureaucratique des années 1970 et 1980.

Cela serait une très mauvaise idée de passer bêtement de l’État minimal — mis en place graduellement dans plusieurs pays après la chute du communisme en Europe en 1989-1990 — à l’État maximal — qui se déploierait dans les prochaines années.

Il faut retrouver un juste équilibre.

Comme les entrepreneurs sont au cœur du processus de création de la richesse, l’État doit donc leur offrir un environnement d’affaires favorable.

Cela passe principalement par une réglementation, intelligente, raisonnable et prévisible, une fiscalité compétitive (mais pas à n’importe quel prix), sans parler d’un soutien financier ponctuel et inconditionnel quand le contexte économique l’exige, par exemple lors d’une pandémie…

En contrepartie, le secteur privé doit accepter que la mission de l’État est de redistribuer la richesse — oubliez la «théorie du ruissellement» vers le bas, même le Fonds monétaire international a reconnu que la réduction des impôts des riches ne contribue pas à augmenter le niveau de vie de l'ensemble de la population.

Le secteur privé doit aussi accepter que cette mission doit nécessairement s’appuyer sur une fiscalité progressive, qui impose les citoyens et les sociétés en fonction de leur capacité de payer.

Une mission qui peut nécessiter parfois — eh oui — d’augmenter les impôts.

C’est le prix à payer pour que l’État ait la marge de manœuvre nécessaire pour intervenir dans l’économie afin de contenir ou de prévenir les crises.

Nous devons faire preuve de lucidité.

Nous entrons dans un cycle de l’histoire où les risques géopolitiques, sanitaires (le déclenchement d’une nouvelle pandémie, par exemple) et climatiques seront plus importants dans les prochaines années et décennies.

Dans cet environnement d’affaires incertain, les entreprises et les investisseurs ont tout intérêt à pouvoir compter sur un État fort, mais qui tient compte de leur réalité et de leurs besoins.

Miser à nouveau sur le laissez-faire économique à la fin de la pandémie nous mènerait directement dans un mur.

 

 

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand