Le «trumpisme» survivra à une victoire de Clinton

Publié le 05/08/2016 à 21:27

Le «trumpisme» survivra à une victoire de Clinton

Publié le 05/08/2016 à 21:27

(Photo: Shutterstock)

ANALYSE DU RISQUE - À moins d'un revirement spectaculaire, Hillary Clinton semble être en bonne voie de devenir la prochaine présidente des États-Unis. Mais les investisseurs ne devraient se réjouir trop vite, car la mouvance derrière la popularité de Donald Trump est là pour rester.

Cette semaine, un sondage de la chaîne Fox News (réalisé entre le 31 juillet et le 2 août) montrait que Clinton recueillait 49% des intentions de vote comparativement à 39% pour Trump. Un écart de 10 points.

De plus, ce vendredi, le site prévisionniste FiveThirtyEight de l'analyste Nate Silver - une référence dans le domaine de l'analyse politique - estimait que la candidate démocrate avait désormais 81,7% des chances de remporter la présidentielle contre 18,3% pour son rival républicain.

Dans ce contexte, on voit difficilement comment Donald Trump pourrait renverser cette tendance. C'est pourquoi plusieurs analystes prévoient maintenant sa défaite lors de l'élection du 8 novembre.

Mais ses partisans ne vont pas jeter l'éponge.

Souvent blancs et peu éduqués, ils sont nationalistes, anti-establishment, anti-«experts», anti-mondialisation, protectionnistes et la plupart d'entre eux sont plutôt opposés à l'immigration, souligne le magazine américain The Atlantic.

Et ces électeurs ne vont pas disparaître du jour au lendemain. Bref, malgré une victoire de Hillary Clinton, le «trumpisme» pourrait avoir de belles années devant lui, notamment en prévision de l'élection présidentielle de 2020.

Car, si les démocrates remportent la course à la Maison-Blanche en 2016 (pour un troisième mandant consécutif), il est par contre très improbable qu'ils puissent le faire encore en 2020, et ce, pour un quatrième mandat consécutif.

Depuis un siècle, il n'y a qu'une seule fois où un parti a contrôlé la Maison-Blanche durant quatre mandats consécutifs. Il s'agit des démocrates, de 1933 à 1953, sous les administrations Roosevelt et Truman.

Par conséquent, il faut s'attendre à une victoire d'un candidat républicain à la présidentielle de 2020.

Un républicain à la Maison-Blanche à partir de 2021

Mais de quel type de républicain s'agira-t-il?

La candidature de Donald Trump a profondément divisé le parti républicain. Les fractures sont profondes. Les factions sont nombreuses, incluant celle des «trumpistes».

Et cette dernière pourrait rester influente encore longtemps, estiment des analystes.

Dans un article publié en mai, le quotidien britannique The Guardian s'interrogeait à savoir si le trumpisme n'allait carrément pas remplacer le conservatisme aux États-Unis, incarné par le parti républicain.

Selon un important stratège de l'ex-candidat à l'investiture républicaine John Kasich, il pourrait même y avoir plusieurs «mini-Trumps» qui brigueront l'investiture républicaine pour la course à la Maison-Blanche en 2020.

Dans ce contexte, même les candidats républicains modérés et rassembleurs - qui peuvent aller chercher le vote des immigrants, des minorités et des femmes - pourront difficilement ignorer les trumpistes.

Il ne faut pas non plus exclure la scission du parti républicain, qui mènerait à la création d'un autre parti politique ou la création d'un mouvement officiel comme le tea party (une mouvance libertarienne chez les républicains).

Montée de l'autoritarisme aux États-Unis

Il faut bien comprendre que Donald Trump est le symptôme - et non la cause - d'une vague de fond aux États-Unis, soit la montée de l'autoritarisme.

C'est ce que soutient du moins une longue analyse publiée en mars par Vox (un média américain publié uniquement en ligne), intitulée The rise of American authoritarianism.

Et les politologues cités dans cette longue analyse affirment que ce phénomène ne s'estompera pas même si Trump disparaît de la scène politique américaine.

Mais attention, ce n'est pas du fascisme, affirment les historiens.

Les partisans de l'autoritarisme ont en commun d'être des électeurs qui aiment l'ordre et qui ont peur des étrangers.

Mais que veulent les électeurs autoritaires?

Quand ils se sentent menacés, ils se tournent alors vers des leaders forts qui peuvent leur promettre de les protéger contre diverses menaces.

Parmi elles, il y a les menaces physiques (la peur d'être victime d'un attentat terroriste), les menaces économiques (la perte de son emploi en raison de la concurrence étrangère) ou les menaces socioculturelles (le mariage gai et le déclin de la famille traditionnelle).

Les électeurs autoritaires perçoivent aussi comme une menace existentielle le déclin de l'identité américaine - comprendre celle des Américains blancs - en raison de l'immigration, au premier chef musulmane.

Et ces craintes ne se retrouvent pas qu'aux États-Unis.

En fait, elles sont de plus en plus partagées par des électeurs en Europe, comme le soulignait en décembre le magazine britannique The Economist.

Un phénomène qui explique la popularité croissante des partis populistes et xénophobes comme le Front national de Marine Le Pen en France. En Hongrie, cette mouvance est au pouvoir, avec le premier ministre Viktor Orban.

On le voit bien, une victoire de Hillary Clinton éviterait aux États-Unis de se retrouver dans une situation tendue en raison des positions de Donald Trump sur divers enjeux comme l'immigration (il veut construire un mur entre les États-Unis et le Mexique) et le libre-échange (il veut renégocier l'ALÉNA, voire retirer les États-Unis du traité).

Mais ce répit pourrait n'être que de courte durée compte tenu des trumpistes.

Certes, le profil démographique des États-Unis est en train de changer. Le pays devient de plus en plus multiculturel, une tendance qui effritera graduellement l'influence des partisans de Donald Trump.

Selon le U.S. Census Bureau, une agence fédérale, les enfants blancs seront minoritaires aux États-Unis en 2020. Et en 2044, soit dans 28 ans, les blancs seront surpassés en nombre par l'ensemble des minorités non-blanches.

À long terme, le parti républicain devra nécessairement tenir compte de cette tendance démographique pour espérer prendre le pouvoir.

Mais le fera-t-il d'ici 2020? Quelle sera l'influence des partisans de Donald Trump sur le parti?

Et surtout, dans quelle mesure les politiques d'une future administration républicaine seront-elles teintées par le trumpisme?

Voilà bien des questions que devront se poser les investisseurs dans leur analyse du risque politique aux États-Unis à long terme.

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand