Une diplomatie économique au service des entreprises

Publié le 29/11/2019 à 16:53

Une diplomatie économique au service des entreprises

Publié le 29/11/2019 à 16:53

(Photo: 123rf)

ANALYSE GÉOPOLITIQUE. Les bottines suivent les babines à Québec. Comme il s’était engagé à le faire, le gouvernement de François Legault transforme de fond en comble la vision internationale de l’État québécois pour la faire passer «d’une diplomatie d’influence à la diplomatie économique», davantage au service des entreprises. Reste à voir si les caquistes pourront livrer la marchandise, car ils se sont fixé des cibles très ambitieuses.

Rendue publique ce vendredi à Montréal par la ministre des Relations internationales et de la Francophonie, Nadine Girault, la nouvelle vision internationale du Québec (Le Québec : fier et en affaires partout dans le monde) continuera de promouvoir la culture québécoise à l’étranger, tout en faisant encore de la «coopération internationale au bénéfice des populations» ou en s’intéressant à des enjeux de sécurité.

Par contre, le nerf de la guerre de la diplomatie québécoise sera désormais avant tout l’économie, comme c’est déjà du reste le cas en grande partie pour des pays comme les États-Unis, l’Allemagne ou la Chine.

«Nous voulons aussi que notre action à l’international prenne un nouveau virage : un virage économique. Toutes nos équipes travailleront donc ensemble pour augmenter nos exportations et d’attirer davantage d’investissements privés au Québec», écrit noir sur blanc le premier ministre François Legault dans la présentation de cette politique.

Cette nouvelle politique repose d’ailleurs sur trois axes :

 

  • Une action économique renforcée sur le plan international
  • Miser davantage sur nos réseaux et en faire de puissants leviers économiques
  • La modernisation de l’action internationale

 

C'est le premier axe qui concernce avant tout les entreprises du Québec. Il s’appuie sur cinq priorités, comme on peut le constater dans ce tableau tiré de la politique d'une cinquantaine de pages.

 

 

1.Attirer les investissements et accroître les exportations

Le gouvernement Legault veut doubler d’ici cinq ans les investissements privés sous contrôle étranger réalisés au Québec, principalement grâce à l’aide d’Investissement Québec, qui fera plus de promotion à l’étranger.

C’est une grosse commande, mais ces investissements sont très stratégiques pour notre économie.

Les filiales des multinationales au Québec emploient 390 000 personnes, notamment dans l’aérospatiale, les sciences de la vie et les produits industriels, selon la firme d’analyse AppEco.

Elles favorisent aussi les transferts technologiques et le savoir-faire en gestion de la production, en plus de faire beaucoup de R-D. En 2016, ces filliales étaient responsables de 38% de l’ensemble des dépenses en innovation au pays, selon Statistique Canada.

Le gouvernement se fixe aussi un objectif très ambitieux au chapitre des exportations de biens et de services.

En 2018, les exportations internationales représentaient près de 30% du PIB du Québec. D’ici cinq ans, Québec veut porter les exportations internationales et interprovinciales (par exemple, en Ontario) à 50% de la valeur du PIB.

Le gouvernement compte y arriver en aidant davantage de PME québécoises à exporter, car seulement 11% d’entre elles vendaient leurs produits à l’extérieur du Québec en 2017. Or, les PME exportent plus en Colombie-Britannique (13%) et en Ontario (15%).

Comment? Québec fera davantage la promotion des accords de libre-échange, dont le Partenariat transpacifique global et progressiste (PTPGP) et l’Accord économique et commercial global (AECG) avec l’Union européenne.

Tous les accords de libre-échange du Canada représentent des marchés combinés de 1,4 milliard de personnes, soit l’équivalent de la population de la Chine -un pays avec lequel le Canada n'a pas de traité.

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2.Recruter la main-d’œuvre et les talents

Pour assurer sa croissance économique à long terme, le Québec devra nécessairement compter sur l’immigration de personnel qualifié et répondant aux besoins des entreprises.

De 2017 à 2026, pas moins de 1,4 million d’emplois seront à pouvoir, selon le ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale, ce qui représente grosso modo une moyenne de 155 000 par année.

Pour recruter davantage de travailleurs à l’étranger, Québec y intensifiera ses activités de prospection, d’attraction et de recrutement. Le gouvernement veut aussi faire reconnaître davantage les qualifications professionnelles des étrangers.

3.Propulser l’innovation québécoise sur les marchés internationaux

Le Québec se positionne bien dans le monde sur le plan de l’innovation, et ce, de l’aérospatiale aux sciences de la vie en passant par le jeu vidéo, souligne la politique internationale.

En matière d’innovation, le Québec abrite 29% des emplois en R-D au Canada, en plus de représenter 26% des dépenses réalisées par les entreprises pour innover. C'est un niveau supérieur au poids économique du Québec dans le PIB canadien (environ 20%).

Pour exporter le savoir-faire québécois, le gouvernement veut notamment aider les entreprises innovantes du Québec à intégrer les chaînes d’approvisionnement des grands donneurs d’ordres à l’étranger.

4.Ouvrir le monde aux établissements d’enseignement et aux jeunes

Québec veut d’abord aider les universités québécoises à offrir leurs services d’enseignement à des étudiants à l’étranger, notamment grâce à la formation à distance et à des outils numériques.

Dans le même temps, le gouvernement veut aussi attirer beaucoup plus d’étudiants étrangers au Québec, qui sont des «candidats de choix pour l’immigration».

Or, nous avons moins d’étudiants que d’autres provinces.

En 2017, le Québec n’accueillait que 12% des étudiants internationaux au Canada comparativement à 24% en Colombie-Britannique et 48% en Ontario, selon le Bureau canadien de l’éducation internationale. Et la moyenne des autres provinces et territoires s'élevait à 16%.

5.Contribuer à la lutte contre les changements climatiques

Le gouvernement accompagnera les entreprises, les institutions et les établissements québécois qui veulent conclure des partenariats afin de favoriser la transition énergétique à l'étranger.

Québec soutiendra par exemple les entreprises qui exportent des produits ou des services dans les secteurs de l’électrification des transports, de la mobilité durable et des technologies vertes.

Le gouvernement veut aussi faire du Québec «la batterie du nord-est de l’Amérique du Nord» en raison de son hydroélectricité.

En 2018, Hydro-Québec a exporté un record de 36,1 térawattheures d’électricité, ce qui a permis de réduire l’équivalent des émissions de gaz à effet de serre (GES) de deux millions de voitures.

Sur papier, la nouvelle vision internationale du Québec est intéressante pour les entreprises du Québec. Elles auront beaucoup plus de soutien pour exporter ou recruter des travailleurs à l’étranger.

Toutefois, le grand défi sera l’exécution de cette nouvelle diplomatie économique.

D’une part, parce que la montée du protectionnisme aux quatre coins de la planète rendra plus compliquée l’exportation de nos produits et de nos services, malgré les accords de libre-échange en vigueur.

La politique commerciale de l’administration Trump depuis 2017 en est un exemple éloquent.

D’autre part, parce que plusieurs pays comme l’Allemagne et les États-Unis sont de plus en plus agressifs pour exporter à l’étranger, notamment dans les marchés où le Québec souhaite faire des gains, comme en Europe ou en Asie-Pacifique.

C’est sans parler aussi de la politique industrielle chinoise Made in China 2025, qui s’attaque aux créneaux d’excellence développés par la plupart des pays occidentaux, dont le Canada.

Adoptée en 2015, cette politique vise à développer en Chine des technologies comme les voitures électriques, les nouveaux matériaux ainsi que les machines automatisées et la robotique. Elle s’appuie aussi sur l’acquisition de technologies étrangères.

Par conséquent, au cours des prochaines années, les entreprises québécoises vont sentir de plus en plus cette nouvelle concurrence chinoise dans les hautes technologies à l’étranger, mais aussi au Québec.

Deux risques géopolitiques qui devront être constamment sur l'écran radar du gouvernement québécois.

 

 

 

 

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand