Le populisme affaiblit la démocratie européenne

Publié le 14/04/2018 à 06:04

Le populisme affaiblit la démocratie européenne

Publié le 14/04/2018 à 06:04

Manifestation en Pologne. (Getty)

ANALYSE GÉOPOLITIQUE – «C’est l’arbre qui cache la forêt», dit l’adage. Or, il s’applique bien à l’échiquier politique européen qui est train de changer en profondeur, alors que les médias et les commentateurs mettent trop souvent l’accent sur des élections ponctuelles en Europe. Or, quand on regarde la forêt, il y a lieu de s’inquiéter de la montée du populisme qui mine en sourdine les fondements même de l’Union européenne, affirment des spécialistes.

C’est avec une vision d’ensemble et historique qu’on peut mieux jauger le risque géopolitique qui menace les exportateurs et les investisseurs en Europe. Car les partis populistes, de gauche comme de droite, sont contre la mondialisation, le libre-échange, le libéralisme économique et l’Union européenne. Bref, ils sont contre la démocratie libérale.

Et à droite, ce populisme s’accompagne d’un nationalisme ethnique et d’une opposition farouche à l’immigration, souvent même lorsqu’elle est contrôlée.

Or, les populismes de gauche et de droite sont en progression marquée depuis le début des années 2000 en Europe, comme on peut le constater sur ce graphique de Deutsche Bank.

Un survol du résultat des élections (incluant les référendums) dans les principaux pays européens depuis trois ans montre bien l’ampleur du phénomène.

Octobre 2015 - En Pologne, le parti conservateur nationaliste Droit et justice (PiS) a gagné les élections législatives, et ce, après un été où l’Europe a vécu au rythme de la crise des réfugiés syriens -la Syrie est ravagée par une guerre civile depuis 2011.

Juin 2016 - Les Britanniques ont voté en faveur du Brexit au terme d’une campagne référendaire où les partisans du Oui ont brandi le spectre de l’installation massive d’immigrants ou de ressortissant de l’Union européenne au Royaume-Uni.

L’ensemble de 2017 - Même si la France et les Pays-Bas ont résisté à la révolte populiste, l’extrême droite est entrée au gouvernement en Autriche et au parlement allemand. Ceux deux pays ont subi la crise des réfugiés en 2015 et en ont accueillis en grand nombre (plus d’un million en Allemagne).

Mars 2018 - Les Italiens ont voté massivement pour des partis anti-Union européenne ou anti-immigration, dans une Italie qui a accueilli plus de 600 000 migrants et où l’immigration est devenue une préoccupation majeure, selon l’Institut Ipsos.

Avril 2018 – Le premier ministre de la Hongrie Viktor Orban a remporté un troisième mandat consécutif à la tête du gouvernement après l’importante victoire de son parti, le Fidesz, aux élections législatives. Le dirigeant conservateur a une ligne dure sur l’immigration et se présente comme le défenseur des valeurs chrétiennes de la Hongrie face aux migrants musulmans.

Boom de la «droite illibérale» en Europe orientale

Si la droite populiste existe en Europe occidentale depuis longtemps, elle connaît en revanche une croissance fulgurante dans l’est du continent, au premier chef dans les anciens pays satellites de l’Union soviétique, comme le montre cette carte publiée par Bloomberg.

 

Dans certaines régions de la Pologne et la Hongrie, deux pays membres de l’Union européenne, la droite radicale et populiste a récolté jusqu’à 60% des voix lors des récentes élections.

La Pologne (38 millions d’habitants) et la Hongrie (10 millions) ne sont pas de grandes puissances européennes comme l’Allemagne ou la France. Par contre, la montée en puissance de la droite populiste y inquiète particulièrement les spécialistes.

Pourquoi? Parce que cette droite populiste est au pouvoir et qu’elle est de plus en plus autoritaire, avec des attaques ciblées contre la liberté de la presse et l’indépendance des tribunaux.

Le danger, c’est que cet autoritarisme, même à la périphérie de l’Union européenne, n’affaiblisse les valeurs à l’origine de la construction européenne, soit la paix et le libéralisme économique, sans parler du respect de l’État de droit, de la liberté de presse ou de la liberté religieuse.

Bref, on craint que les partisans de cet autoritarisme ne gagnent de l’influence, pas seulement dans leur pays, mais aussi à Bruxelles, capitale de l’Europe. Un effet d’entrainement qui pourrait se traduire par un déclin de la démocratie libérale, même en Europe occidentale.

Dans une récente analyse, le Financial Times de Londres s’inquiète d’ailleurs de la «santé politique» de certains pays comme l’Espagne, une jeune démocratie libérale (la dictature de Franco a pris fin dans les années 1970) qui a joint l’Union européenne en 1986.

Plus de 20 politiciens catalans risquent la prison pour «rébellion» après avoir organisé le référendum sur l’indépendance de la Catalogne en 2017. Or, il s’agit de politiciens «élus et non-violents», fait remarquer le quotidien financier.

D’autres pays d’Europe occidentale inquiètent les analystes.

En Autriche, le parti d’extrême droite Freedom Party -membre de la coalition gouvernemental au pouvoir- est accusé de mener une purge dans les agences gouvernementales.

En Italie, Matteo Salvini, le leader de la Ligue, un parti d'extrême droite qui joindra probalement le futur gouvernement italien, est un fervent admirateur de Viktor Orban et du président russe Vladimir Poutine, deux leaders autoritaires.

Les espoirs déçus de l'après-communisme

Après la chute du mur de Berlin et du communisme en Europe au tournant des années 1990, la démocratie libérale a eu le vent dans les voiles pendant des années. Les anciens pays d’Europe orientale ont rapidement cogné à la porte de l’Union européenne.

Cette dernière les a accueillis à la condition qu’ils respectent ses valeurs démocratiques.

Or, depuis la récession mondiale de 2007-2008 et la crise des migrants en 2015, ces valeurs semblent de moins en moins partagées dans des «démocraties illibérales» comme la Pologne et la Hongrie .

Il faut dire que certains pays fondateurs de l’Union ne prêchent pas non plus pas l’exemple, soulignent des analystes politiques.

Le Front national est devenu le principal parti politique en France. Les Pays-Bas et l’Italie sont aussi aux prises avec une montée en force du populisme.

Enfin, le vote des Britanniques en faveur du Brexit, en juin 2016, a aussi affaibli le projet politique de l’Union européenne. Après tout, le Royaume-Uni est l’une des plus vieilles démocraties libérales d’Europe.

Cela dit, malgré la montée du populisme, l’Union européenne demeure le plus important regroupement de régimes démocratiques dans le monde. Et cette situation ne va pas changer drastiquement dans un avenir prévisible.

Le risque réside plutôt dans l’effritement graduelle des valeurs démocratiques dans certains pays, voire dans les institutions et le fonctionnement de l’UE.

Le cas échéant, l’Union risque de devenir un ensemble politique moins ouvert sur le monde, davantage refermé sur lui-même, plutôt hostile au libéralisme politique et économique.

 

 

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand