Le libre-échange est devenu l'ennemi à abattre

Publié le 04/06/2016 à 08:46

Le libre-échange est devenu l'ennemi à abattre

Publié le 04/06/2016 à 08:46

Le candidat à l'investiture républicaine Donald Trump. (Photo: Bloomberg)

ANALYSE DU RISQUE - Le libre-échange est-il en train de mourir? L'idée phare qui a assuré la prospérité de l'Occident après la Deuxième Guerre mondiale est attaquée de toutes parts, surtout aux États-Unis. On lui préfère désormais de plus en plus le protectionnisme. Une tendance qui représente un risque majeur pour les investisseurs.

Dans une récente analyse publiée à ce sujet, la Banque Nationale rappelle que des pas de géants ont été accomplis après la Deuxième Guerre mondiale pour réduire les barrières au commerce international que les pays avaient érigées entre eux dans la foulée de la Dépression.

Par exemple, aux États-Unis, le protectionnisme s'était notamment manifesté avec la Loi Hawley-Smoot. Le tarif moyen sur les importations protégées est alors passé de 39% à 53%.

Par contre, en 1945, au zénith de leur puissance économique et face une Europe en ruine, les États-Unis sont devenus les plus ardents défenseurs du libre-échange.

C'est ce contexte qui a mené à la création du GATT (l'Accord général sur les tarifs et le commerce) en 1948, une entente internationale qui a permis de réduire les tarifs dans le monde et de relancer les échanges commerciaux.

Et cet engouement pour le libre-échange durant les décennies suivantes a finalement mené à la création de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), en 1995, qui gère le GATT.

Mais depuis la crise financière de 2008, «le puissant élan en faveur du libre-échange est retombé», soulignent les analystes de la Banque Nationale.

Plusieurs indices témoignent de cette tendance lourde:

- les mesures protectionnistes se multiplient aux quatre coins du monde.

- l'opinion publique adhère de moins en moins à l'idée du libre-échange en Europe et aux États-Unis.

- l'automatisation et d'autres innovations technologiques réduisent le besoin de main-d'oeuvre bon marché dans les pays émergents (qui pourraient eux aussi devenir protectionnistes face à la concurrence des pays développés).

- les tensions commerciales entourant la capacité industrielle excédentaire de la Chine montent.

- trouver un consensus mondial en faveur du libre-échange, dans un monde de plus en plus multipolaire caractérisé par des puissances montantes et d'autres en déclin, est devenu un défi majeur.

Selon la Banque Nationale (Tor., NA), l'effet cumulatif des restrictions au commerce international implantées par de nombreux pays depuis 2009 «joue un rôle de première importance» dans la réduction du taux de croissance des échanges internationaux depuis plusieurs années.

1441 mesures restrictices adoptées en cinq ans

Entre octobre 2010 et octobre 2015, l'OMC estime que les pays du G20 - incluant le Canada - ont imposé 1 441 mesures restrictives au commerce. Or, sur la même période, ils n'en ont éliminé que 354.

Ces mesures (tarifs douaniers, quotas d'importation, subventions, clauses de contenu local telles que le Buy American ou Buy America) ont un impact important.

Celles qui restent en place représentent près de 6% des importations combinées du G20. Cela représente 851,8 milliards de dollars américains, selon un rapport de l'OMC.

Le ressac contre le libre-échange est particulièrement fort et en croissance aux États-Unis.

«En fait, l'opposition au libre-échange est aujourd'hui un des rares sujets fédérateurs de l'électorat américain par ailleurs profondément divisé», font remarquer les analystes de la Banque Nationale.

En mars, un sondage effectué par Bloomberg montrait que 65% des Américains sont en faveur d'une hausse des restrictions à l'importation de marchandises pour protéger les emplois aux États-Unis, alors que 22% aimeraient voir diminuer ces restrictions.

En avril, une enquête de CNBC concluait qu'à peine 27% des Américains pensaient que le libre-échange a aidé les États-Unis contre 43% qui affirmaient qu'il a nui à l'économie américaine.

Le libre-échange a aussi du plomb dans l'aile en Allemagne, qui est pourtant une grande puissance exportatrice.

Par exemple, le soutien en Allemagne au Partenariat transatlantique de commerce et d'investissement (PTCI), un accord négocié entre les États-Unis et l'Union européenne, a chuté de 55% à seulement 17% entre 2014 et aujourd'hui.

Le soutien à l'idée du libre-échange en général est aussi en chute libre dans ce pays. En 2014, il atteignait 88%. Aujourd'hui, il n'est qu'à 56%, rapporte le Financial Times.

Pour sa part, en mai, le gouvernement français s'est carrément prononcé contre le PTCI.

En France, le mouvement Nuit debout - depuis la fin mars, des manifestants occupent des places publiques en France pour manifester contre la nouvelle loi du travail - s'oppose notamment aux traités de libre-échange, souligne Le Monde diplomatique.

Or, les 28 pays membres de l'UE et le parlement européen doivent ratifier cet accord pour qu'il entre en vigueur.

Le libre-échange responsable de la perte de 2,4 millions d'emplois aux États-Unis

Cette fronde contre le libre-échange des deux côtés de l'Atlantique tient à plusieurs facteurs. Par contre, la concurrence chinoise figure parmi les plus importants, surtout aux États-Unis.

Selon une étude du Massachusetts Institute of Technology, les importations de produits chinois aux États-Unis sont responsables de la perte de 2,4 millions d'emplois de 1999 à 2011. Et beaucoup de ces chômeurs n'ont pas réussi à trouver un emploi aussi bien payé qu'auparavant en raison de leurs compétences limitées.

Cela explique notamment pourquoi le libre-échange est maintenant devenu l'ennemi à abattre aux États-Unis.

Par exemple, Donald Trump (qui sera selon toute vraisemblance le candidat républicain lors de la campagne présidentielle cet automne) propose d'imposer des tarifs douaniers sur les importations chinoises.

De leur côté, les deux candidats à l'investiture démocrate, Hillary Clinton (qui sera selon toute vraisemblance la candidate démocrate pour la présidentielle) et Bernie Sanders, sont contre le Partenariat Transpacifique (PTP), un accord de libre-échange - qui n'est pas encore en vigueur - auquel participe le Canada.

À moins d'un retournement spectaculaire, le déclin de l'idée de libre-échange est tendance lourde qui est là pour rester.

Selon les analystes de la Banque Nationale, les petites économies ouvertes - comme le Québec et le Canada - sont plus vulnérables à la montée du protectionnisme parce qu'elles n'ont pas accès à de grands marchés intérieurs.

Ainsi, contrairement aux entreprises américaines ou européennes, les sociétés canadiennes n'ont pas accès à un grand marché intérieur afin d'amortir le choc potentiel de la fermeture de leurs marchés d'exportations clés, au premier chef les États-Unis.

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand