Pourquoi la hargne antisystème est un risque croissant pour l'investisseur

Publié le 05/11/2016 à 08:40, mis à jour le 05/11/2016 à 09:50

Pourquoi la hargne antisystème est un risque croissant pour l'investisseur

Publié le 05/11/2016 à 08:40, mis à jour le 05/11/2016 à 09:50

Le candidat républicain Donald Trump

ANALYSE DU RISQUE– Les investisseurs ignorent trop souvent ce phénomène. Pourtant, il pourrait bien réduire leurs rendements. Les partis antisystème sont en constante progression en Occident et leurs politiques pourraient grignoter les bénéfices des entreprises à long terme.

Unigestion, une firme suisse de gestion de portefeuilles, vient de publier une analyse à ce sujet. Sa conclusion: le risque politique augmente en raison de la montée des partis antisystème, qui s'opposent à la mondialisation, à l'économie de marché et à l'immigration.

Par contre, les marchés montrent «peu de signes indiquant qu'ils l'ont intégré dans leurs cours».

Les analystes d'Unigestion expliquent comment la montée des partis antisystème comme le Front national de Marine Le Pen, en France, peut avoir un impact financier.

En fait, les partis traditionnels peuvent mettre en oeuvre des programmes inspirés des partis antisystème. Soit pour séduire leurs partisans, soit par obligation, quand l'extrême gauche ou l'extrême droite font partie d'un gouvernement de coalition.

Le hic, c'est que les idées des antisysèmes sont la plupart du temps défavorables au marché, en prônant par exemple des mesures protectionnistes et hostiles au libre-échange. Les positions du candidat républicain Doland Trump en sont un bel exemple.

Or, ces programmes sont «susceptibles de grignoter les bénéfices que les multinationales ont tirés de la libre circulation des biens, des services, des capitaux et des personnes», font remarquer les analystes d'Unigestion.

Ce risque est d'autant plus inquiétant que la montée en puissance des partis antisystème est une tendance lourde, comme on peut le voir sur ce graphique.

Depuis 25 ans, on note une progression des voix en faveur de ces formations d'extrême gauche et d'extrême droite dans les principaux pays européens. Et l'accélération est évidente depuis la grande récession de 2008-2009.

On assiste au même phénomène aux États-Unis avec la popularité du candidat républicain Donald Trump. Difficile de dire avec exactitude pourquoi des dizaines de millions d'Américains appuient Donald Trump. Les théories sont nombreuses.

Pourquoi la hargne antisystème progresse-t-elle?

Les analystes d'Unigestion affirment pour leur part qu'un «revirement dans la perception des effets de la mondialisation» explique en grande partie la montée des partis antisystème.

Les États-Unis en sont un exemple éloquent, souligne une analyse de la Banque Nationale, publiée au printemps.

Pendant les années 1930, les États-Unis étaient protectionnistes. Cela s'est manifesté par la Loi Hawley-Smoot, qui a fait passer de 39% à 53% le tarif moyen sur les importations protégées.

Mais en 1945, les États-Unis sont devenus les plus ardents défenseurs du libre-échange. Les Américains étaient à l'apogée de leur puissance et l'Europe, en ruine, tentait de se relever d'un deuxième conflit meurtrier en 30 ans.

Le protectionniste était honni et discrédité. C'est dans cet état d'esprit que naît le GATT (l'Accord général sur les tarifs et le commerce), en 1948. Cet accord international a permis de réduire les tarifs douaniers et de relancer le commerce international.

L'engouement pour le libre-échange était généralisé.

Il a mené quelques décennies plus tard à la création de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), en 1995, qui gère le GATT.

Mais cet engouement puissant en faveur du libre-échange a du plomb dans l'aile.

L'adhésion de la Chine à l'OMC, en 2001, a changé la donne économique, estiment les analystes d'Unigestion.

«La Chine a connu une croissance du PIB à deux chiffres à un moment où les économies occidentales étaient entrées dans une période de croissance structurellement plus lente.»

Aujourd'hui, un nombre important de citoyens manifestent «des signes de frustration», sans parler d'un sentiment d'une perte de leur souveraineté économique.

Autant de facteurs qui alimentent la montée des partis antisystème.

Le vote pour le Brexit est d'ailleurs un symptôme de ce phénomène, selon Unigestion. Et d'autres surprises pourraient avoir lieu d'ici la fin de 2016 et 2017.

«Nous pensons que le risque politique - la montée des partis politiques contestant les solutions économiques du 20e siècle - doit être surveillé attentivement, car il est susceptible d’être un facteur de performance pour de nombreux investissements», affirment les analystes de la firme.

Les élections à suivre

Plusieurs élections sont à suivre, car elles pourraient avoir des conséquences négatives (les citations sont celles des analystes d'Unigestion).

- États-Unis, 8 novembre: l'élection de Donald Trump aurait un impact sur l'économie, mais pas si important qu'on l'imagine, selon Unigestion.

«Même si le président Trump demeurait initialement aussi extravagant, provocateur et irréaliste que le candidat Trump, les pouvoirs étendus du Congrès limiteraient ses pouvoirs dans le but d’atténuer toute éventuelle tension intérieure ou internationale et d’éviter d’écorner l’image du pays».

- Autriche: le 4 décembre: l’élection présidentielle -en fait, le troisième tour, car le résultat du deuxième a été annulé plus tôt cette année- pourrait mener à la victoire de Norbert Hofer du FPÖ, un parti eurosceptique et contre l’immigration.

«S’il était élu, il pourrait décider de dissoudre le gouvernement, ce qui entraînerait la tenue d’élections générales susceptibles de faire accéder au pouvoir une coalition gouvernementale entre son parti et le parti de droite ÖVP.»

- Pays-Bas, au printemps 2017: des élections législatives auront lieu dans ce pays reconnu longtemps pour sa tolérance. «Sur la base des derniers sondages, le parti nationaliste et xénophobe PVV pourrait l’emporter. Le leader du PVV, Geert Wilders, devrait proposer la formation d’un gouvernement de coalition.»

- France, au printemps 2017: le Front national devrait accéder facilement au second tour. «Même si Marine Le Pen sera probablement battue au second tour par le candidat républicain de centre-droit, son parti pourrait gagner près de 60 sièges au parlement, ce qui pourrait lui permettre d’empêcher le prochain président d’atteindre une majorité absolue à la chambre basse.»

- Allemagne, septembre 2017: la coalition des deux partis traditionnels -la CDU d'Angela Merkel et les sociaux-démocrates- pourrait perdre sa majorité absolue au parlement allemand, en raison de la popularité des partis d'extrême droite et d'extrême gauche. «L’Allemagne pourrait ensuite rejoindre la liste des pays de l’UE plongés dans une impasse politique.»

La montée des partis antisystème en Europe et aux États-Unis -le Canada semble épargné, pour l'instant- est une tendance lourde, qui est là pour rester dans un avenir prévisible, s'entendent pour dire la plupart des analystes.

Les investisseurs auraient donc intérêt à intégrer davantage le risque géopolitique dans leur grille d'analyse globale du risque.

Car un filtre uniquement économique et financier est insuffisant.

Nettement insuffisant.

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand