La Corée du Nord est une bombe à retardement, mais pas en raison de ses armes nucléaires

Publié le 16/09/2016 à 16:31

La Corée du Nord est une bombe à retardement, mais pas en raison de ses armes nucléaires

Publié le 16/09/2016 à 16:31

Un mur près de la zone démilitarisée entre les deux Corée (source photo: Bloomberg)

ANALYSE DU RISQUE - Le 9 septembre, la Corée du Nord a procédé à un cinquième essai nucléaire, suscitant l'inquiétude de la communauté internationale. Mais il y a plus inquiétant encore. Et ce risque pourrait déstabiliser l'Asie-Pacifique, soit l'effondrement du régime nord-coréen, suivi d'une réunification coûteuse et chaotique des deux Corée.

Bien entendu, le développement d'un arsenal nucléaire en Corée du Nord est préoccupant. Après tout, plus il y a de pays possédant la bombe atomique, plus le risque est élevé que l'un d'entre eux l'utilise un jour. C'est un argument qu'on peut lire ou entendre régulièrement.

Or, malgré tout, le risque d'un conflit nucléaire déclenché par la Corée du Nord est très mince, selon plusieurs spécialistes en relations internationales.

Pourquoi?

À ce jour, jamais deux puissances nucléaires n'ont utilisé leur arsenal pour se combattre, car le prix à payer est tout simplement trop élevé: la destruction de villes, la mort de millions de personnes, sans parler de la contamination radioactive de l'environnement (air, terre, eau) pendant des décennies.

C'est d'ailleurs pourquoi les États-Unis et l'ex-URSS n'ont pas utilisé leur arsenal durant la guerre froide (1945 à 1990), tout comme l'Inde et le Pakistan, deux pays ennemis. L'assurance d'une destruction mutuelle est une dissuasion très efficace qui empêche les puissances nucléaires d'utiliser leurs bombes atomiques entre elles.

Si la Corée du Nord attaquait un jour les États-Unis ou ses alliés (la Corée du Sud ou le Japon, par exemple), le pays serait rayé de la carte en moins d'une heure. Les dirigeants et l'état-major nord-coréens le savent très bien.

L'américain Kenneth N. Waltz (1924-2013), l'un des plus grands penseurs de la théorie des relations internationales, explique cet enjeu dans Realism and International Politics, un classique qui rassemble plusieurs de ses essais à ce sujet.

C'est pourquoi l'effondrement du régime communiste et opaque de la Corée du Nord représente un risque géopolitique bien plus grand qu'une guerre nucléaire.

Actuellement, le régime de Kim Jong-un semble bien en selle, malgré les graves problèmes économiques du pays. Par exemple, dans les années 1990, une famine a causé la mort d'un million de personnes, selon l'ONU.

L'histoire nous apprend toutefois que les régimes politiques qui semblent être en contrôle peuvent s'effondrer comme un château de cartes, en prenant la plupart des spécialistes par surprise.

Combien d'analystes, dans les années 1980, avaient prévu la chute du communisme en Europe et la désintégration de l'ex-URSS quelques années plus tard, entre 1989 et 1991? Et le printemps arabe de 2010-2011, qui a chassé du pouvoir plusieurs dictateurs?

Voilà pourquoi l'effondrement du régime nord-coréen - qui n'arrive pas à libéraliser son économie, comme l'ont fait par exemple la Chine et le Vietnam, deux autres régimes communistes - est un scénario plausible.

Un plus grand défi que la réunification allemande

Le cas échéant, un tel scénario enclencherait probablement la réunification des deux Corée. Mais ce processus représenterait toutefois un défi bien plus grand que la réunification allemande, en 1990, font remarquer plusieurs analystes.

L'intégration de l'Allemagne de l'Ouest et de l'Allemagne de l'Est a été plus coûteuse que ne l'avaient imaginé la plupart des spécialistes à l'époque. Il a fallu allonger 1 300 milliards d'euros (1 450 milliards de dollars américains), selon une étude publiée 2009 par le Halle Institute for Economic Research (IWH).

C'est la somme que les Allemands de l'Ouest ont dû collectivement débourser pour intégrer l'économie de l'ex-RDA à la nouvelle Allemagne réunifiée. Un effort gigantesque, car il s'agit pratiquement de la taille de taille actuelle de l'économie canadienne, dont le PIB est estimé à 1 551 $GUS par la Banque Mondiale.

Comme on peut le voir sur la carte, l'Allemagne de l'Ouest comptait 63 millions d'habitants en 1990 comparativement à 16 millions en Allemagne de l'Est.

Les écarts sont bien plus grands entre les deux Corée, tant au niveau démographique qu'économique.

La Corée du Sud compte aujourd'hui 49 millions d'habitants, tandis que la Corée du Nord en abrite 25 millions. On constate tout de suite que la proportion est très différente par rapport au contexte allemand.

En fait, le rapport démographique est de deux pour un, alors qu'il était de quatre pour un, lors de la réunification allemande.

L'écart est encore plus grand au niveau économique.

En 1990, le niveau de vie de la population de l'ex-RDA communiste représentait 25% de celui des citoyens de l'Allemagne de l'Ouest capitaliste.

Dans le cas des deux Corée, l'écart entre les niveaux de vie est tout simplement abyssal.

En 2015, le PIB par habitant des Sud-coréens s'élevait à 36 500 $US, selon la CIA, l'agence américaine du renseignement. Celui des Nord-Coréens s'établissait à 1 800 $US, en 2014.

Ce qui signifie que le niveau de vie des habitants de la Corée du Nord représente à peine 5% de celui des habitants de la Corée du Sud.

La croissance du PIB par habitant (en dollars américains) des deux économies montre pourquoi cet écart est si grand aujourd'hui, comme en témoigne les travaux de l'économiste et historien britannique Angus Maddison (1926-2010).

 

 

On imagine sans peine les défis gigantesques qu'aurait l'économie sud-coréenne à intégrer un jour l'économie nord-coréenne.

Une réunification qui serait très couteuse

Il y a quelques années, un chercheur de l'Université Stanford, Peter M. Beck, a évalué que les coûts de la réunification coréenne pourraient osciller de 2 000 G$US à 5 000 $US.

Au mieux, la réunification pourrait donc coûter l'équivalent de 145% du PIB de la Corée du Sud, ce qui serait énorme. Dans le pire des scénarios, la réunification pourrait s'élever à presque quatre fois la taille de l'économie sud-coréenne!

Certains analystes affirment que les ressources naturelles de la Corée du Nord -  son sol abriterait plus de 200 types de minerais - pourraient aider à financer en partie les coûts d'une éventuelle réunification.

Cela dit, une aide internationale de pays comme les États-Unis et le Japon seraient sans doute requise pour aider la Corée du Sud à intégrer l'économie nord-coréenne.

Même la Chine - qui verrait d'un très mauvais oeil la naissance d'une nouvelle Corée réunifiée, sans doute alliée des États-Unis - pourrait malgré tout voir son intérêt à financer la réunification afin d'éviter le chaos, et d'assister à l'arrivée de millions de réfugiés sur son territoire.

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand