La Chine commence à «manquer de bras»

Publié le 24/02/2018 à 06:00

La Chine commence à «manquer de bras»

Publié le 24/02/2018 à 06:00

Centre logistique du géant du commerce en ligne chinois Alibaba, à Lianyungang, en Chine (source photo:Getty)

ANALYSE GÉOPOLITIQUE – Il n’y a pas qu’au Québec que la pénurie de main-d’œuvre commence à miner l’économie. La Chine -le pays le plus populeux de la planète- commence elle aussi à «manquer de bras». Et cette situation a et aura un impact sur le rythme de croissance de la deuxième économie mondiale.

Comme dans plusieurs pays développés, la population active en Chine (les gens âgés de 16 à 59 ans) diminue, en l’occurrence depuis 2012. Et elle pourrait fondre de 23% d’ici 2050, rapporte le magazine britannique The Economist.

Actuellement, la population active de la Chine représente les deux tiers de la population totale du pays. Or, en 2050, elle pourrait représenter moins de 55%, comme le montre cette projection (comparée à l’Inde) de l’Organisation des Nations unies (ONU).

Il va sans dire que cette situation a un impact sur la croissance économique.

Pourquoi? Parce que la progression du PIB dans une économie tient à deux facteurs, la croissance démographique et les gains de productivité, disent les économistes.

Or, quand l’un de ces deux éléments s’affaiblit (voire les deux), la croissance ralentit dans une économie. La Chine, elle, est doublement touchée: sa population active diminue, tout comme sa productivité.

En 2015, la productivité du travail en Chine a progressé de 3,7%, selon le Conference Board. C’est beaucoup moins que la progression moyenne observée de 8,1% par année entre 2007 et 2013.

Résultat? Le rythme de croissance économique de la Chine a ralenti, même s’il affiche un taux largement supérieur à la plupart des pays dans le monde.

En 2017, le PIB chinois a progressé de 6,8% puis de 6,6% en 2018, selon le Fonds monétaire international (FMI). Il devrait diminuer à 6,6%, en 2018, puis à 6,3%, en 2019.

Un autre facteur mine à très long terme le potentiel de croissance économique de la Chine: le déclin de l’ensemble de la population.

Ce phénomène n’a pas encore commencé, mais il débutera dans les prochaines années, disent les spécialistes. Ce graphique publié par le site indien StatisticsTimes.com montre bien la progression anticipée des populations de la Chine et de l’Inde.

Quel sera l’impact sur la Chine?

Le déclin de la population active en Chine et celui de l’ensemble de sa population pourrait faire vivre à terme au pays un scénario à la japonaise, estiment plusieurs spécialistes.

Depuis quelques décennies, le Japon vit une diminution de sa population active et de l’ensemble de sa population. En 2017 seulement, la population du pays a fondu de 403 000 habitants, selon le Financial Times de Londres.

Résultat? Depuis les années 1990, le Japon pâtit d’une stagnation économique. Et la Banque du Japon peine toujours à vaincre la déflation, une baisse générale des prix, incluant l’immobilier.

En Chine, la diminution de la population active pourrait non seulement «entraver l’économie du pays», mais aussi «la stabilité sociale» à long terme, selon le site chinois China.org.cn.

Une main-d’œuvre plus âgée pourrait rendre la Chine moins innovante que des pays comme les États-Unis où la main-d’oeuvre est plus jeune, rapporte The Economist.

Comment investir en Chine

La diminution de la population active en Chine pose tout un défi aux investisseurs qui sont déjà exposés ou qui souhaitent s’exposer au marché chinois. Dans ce contexte, comment investir en Chine?

Nous avons posé la question à Richard Farrell, gestionnaire de portefeuille, marchés émergents, chez RBC Gestion mondiale d'actifs, à Londres.

«Compte tenu de la démographie vieillissante de la Chine, l'automatisation est l'un des thèmes d'investissement que nous envisageons dans notre portefeuille», affirme le portefeuilliste.

Selon lui, la diminution de la population en âge de travailler est d’ailleurs l'une des raisons pour lesquelles l'inflation des coûts de la main-d'œuvre est restée stable en Chine, malgré le ralentissement de la croissance économique du pays.

Richard Farrell estime que le présent contexte (une hausse des coûts de la main-d’œuvre et une baisse des coûts du matériel d’automatisation) fait en sorte qu’il est plus «économique» pour les entreprises chinoises d’automatiser leurs procédés.

«Ceci est un puissant moteur pour la demande de robots industriels en Chine», dit-il.

Du reste, cette tendance a déjà commencé depuis quelques années dans le monde et en Chine, souligne le gestionnaire de RBC.

De 2010 à 2017, les ventes de robots sont passées de 121 000 à environ 346 000, selon la Fédération internationale de la robotique, basée en Allemagne.

«La Chine était de loin le plus grand marché représentant 35% de la demande mondiale, et nous prévoyons que ce chiffre atteindra 50% des ventes mondiales d'ici 2020», dit Richard Farrell.

C’est pourquoi, à ses yeux, les entreprises chinoises spécialisées dans les processus d’automatisation «représentent un ensemble d'opportunités attrayantes pour les investisseurs qui peuvent identifier les gagnants à long terme dans cette industrie».

Même si la Chine est un pays est 1,3 milliard d’habitants, le géant asiatique commence à manquer de main-d’œuvre.

La situation ne manque pas d’ironie.

Les estimations des analystes de Bank of America Merrill Lynch illustrent bien toute l’ampleur de cette problématique en Chine.

Ainsi, la population active pourrait fondre de 212 millions d’ici 2050, soit l’équivalent de la population du Brésil.

Cette situation est exacerbée par la politique de l’enfant unique, qui a été en vigueur de 1979 à 2015.

Et, malgré la fin de cette politique, cette tendance démographique (baisse de la population active et baisse à terme de l’ensemble de la population) ne devrait pas changer dans les prochaines années, disent les spécialistes.

Par conséquent, la croissance économique de la Chine continuera de décélérer. Les occasions d’affaires et d’investissement resteront toutefois nombreuses.

En revanche, elles seront peut-être différentes et dans de nouveaux secteurs.

 

 

 

 

 

 

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand