Les États-Unis peuvent-ils concurrencer les nouvelles routes de le soie?

Publié le 09/07/2021 à 17:41

Les États-Unis peuvent-ils concurrencer les nouvelles routes de le soie?

Publié le 09/07/2021 à 17:41

Ce train de marchandises fait la liaison entre le nord-ouest de la Chine et Barcelone, en Espagne. (Photo: Getty Images)

ANALYSE GÉOPOLITIQUE — Afin de ne pas laisser le champ libre à la Chine avec ses nouvelles routes de la soie, les États-Unis et les autres pays du G7 veulent investir plus de 40 milliards de dollars américains (G$US) pour construire des infrastructures en Amérique latine, en Afrique et dans la région Indo-Pacifique. D’autres investissements suivront, mais est-ce que ce sera suffisant pour contrebalancer l’influence croissante de la Chine en Eurasie?

Le président américain Joe Biden et ses homologues du G7 ont annoncé cette initiative, le Build Back Better World (B3W ou Reconstruire le monde en mieux, en français), lors du dernier sommet du groupe qui s’est tenu au Royaume-Uni, à la mi-juin. Cette initiative vise à construire des infrastructures dans les pays en voie de développement qui ont été particulièrement affectés par la pandémie de COVID-19.

Pour leur part, les nouvelles routes de la soie (Belt and Road Initiative ou BRI) sont un mégaprojet d’infrastructures (terrestres et maritimes), annoncé en 2013, qui s’étend de l’Asie à l’Europe, en passant par la côte Est de l’Afrique.

Créées sous la dynastie des Hans (- 206 avant J.-C. à 220 après J.-C.), les anciennes routes de la soie reliaient la Chine à l’Europe à travers de l’Asie centrale.

Plusieurs analystes géopolitiques voient dans les nouvelles routes de la soie un projet de la Chine communiste —un régime autoritaire, à prétention hégémonique— pour commercer, mais surtout pour étendre son influence en Eurasie, car une soixantaine de pays y participent, dont l’Italie (depuis 2019).

L’accord conclu entre Rome et Pékin prévoit entre autres des investissements chinois dans les ports italiens de Gênes et de Trieste, deux infrastructures stratégiques pour accéder au marché européen par la mer à partir de la Chine.

 

La Chine aurait déjà investi 200 G$US

À ce jour, la Chine aurait dépensé quelque 200 G$US dans les nouvelles routes de la soie, rapporte le magazine américain Foreign Affairs. Et, d’ici 2027, les dépenses globales de la Chine pourraient atteindre de 1 200 à 1 300 G$US (soit environ 75% de la valeur du PIB canadien en 2020), d’après les estimations de la banque d’investissement Morgan Stanley.

 

D’ici 2027, les dépenses globales de la Chine dans le BRI pourraient atteindre de 1 200 à 1 300 G$US. (Photo: Getty Images)

 

Revenons maintenant au Build Back Better World du G7.

Américains, Canadiens, Européens et Japonais veulent donc se coordonner pour mobiliser des capitaux du secteur privé dans quatre domaines d'intervention :

  • Le climat
  • La santé et la sécurité sanitaire
  • Les technologies numériques
  • L'équité et l'égalité des sexes

 

Comme les États-Unis sont clairement les leaders dans cette initiative, ils sont prêts à «mobiliser » leurs institutions pour atteindre leurs objectifs.

On parle notamment ici de la U.S. Development Finance Corporation (qui aide à financer des projets dans les pays à faibles revenus), de l’USAID (l’agence américaine de développement international) ou de la U.S. Trade and Development Agency (qui aide des entreprises américaines à contribuer au développement des pays pauvres).

Les 40 G$US annoncés lors du sommet du G7 sont une première étape, souligne l’administration Biden.

Dans un communiqué publié le 12 juin, la Maison-Blanche indique qu’elle espère —de concert avec le secteur privé, d’autres parties prenantes américaines et les partenaires du G7— pouvoir générer des investissements de «centaines de milliards de dollars d’investissements» dans les prochaines années dans les pays en voie de développement.


Les piliers du B3W

Les projets futurs dans le cadre du B3W s’appuyeront essentiellement sur cinq piliers.

Pilier #1 — Axé sur les valeurs : les infrastructures seront réalisées de manière transparente et durable –sur les plans financier, environnemental et social.

Pilier #2 — Bonne gouvernance et normes solides: les efforts du G7 seront guidés par des normes et des principes élevés comme ceux du Blue Dot Network, une initiative multipartite formée par les États-Unis, le Japon et l'Australie, et ce, afin de fournir une évaluation et une certification des projets de développement d'infrastructures dans le monde.

Pilier #3 — Respectueux du climat: les investissements seront réalisés dans le respect des objectifs de l'Accord de Paris sur le climat de 2015, qui veut limiter le réchauffement de la planète à moins 2 degrés Celsius par rapport au début de l'ère industrielle —tout en poursuivant les efforts pour le limiter à 1,5 degré.

Pilier #4 — Des partenariats stratégiques solides: les infrastructures construites dans le cadre du B3W seront développées en consultation avec les communautés et en évaluant les besoins locaux.

Pilier #5 — Mobiliser des capitaux privés grâce au financement du développement: les investissements seront faits de concert avec le secteur privé, associé à des normes élevées et à la transparence du financement public, et ce, afin d’assurer «l'efficacité et la durabilité» des projets de développement à long terme.

Le B3W est certainement une initiative intéressante pour contrebalancer en partie l’influence de la Chine en Asie en Afrique. En revanche, il manque encore deux éléments importants.

D’une part, il manque une vision géopolitique claire. Le projet Build Back Better World ne s’inscrit pas avec précision dans une géographie comme le font les nouvelles routes de la soie —des cartes montrent les projets chinois de routes terrestres (transport par camion et par train) et maritimes liant la Chine à des pays d’Asie, d’Afrique et d’Europe.

D’autre part, le B3W manque cruellement d'ambition financière. La Chine pourrait investir jusqu'à 1 300 G$US au cours des six prochaines années, alors que les États-Unis et leurs partenaires du G7 ne mettront sur la table que des «centaines de milliards de dollars».

Bref, le B3W est un pas dans la bonne direction, mais beaucoup reste encore à faire, à commencer par élaborer une stratégie pour lier par exemple davantage les économies africaine, européenne, latino-américaine et nord-américaine.

 

 

 

 

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand