L'autre crise en Chine qui nous menace

Publié le 27/08/2022 à 09:00

L'autre crise en Chine qui nous menace

Publié le 27/08/2022 à 09:00

Depuis juillet, le niveau d'eau du lac Poyang, le plus grand lac d'eau douce de Chine, a continué de baisser en raison de la température élevée et du peu de précipitations, battant le record d'entrée en saison sèche et en basse saison sèche pour la première fois depuis 1951. (Photo: Getty Images)

ANALYSE GÉOPOLITIQUE. On parle beaucoup de la sécheresse qui sévit en Chine ces jours-ci dans les médias. En revanche, on parle très peu de l’impact potentiel que pourrait avoir à terme cette situation sur les chaînes d’approvisionnement mondiales de milliers d’entreprises dans le monde, incluant au Canada. Or, ce risque climatique est systématiquement sous-estimé.

En fait, si la Chine vivait année après année une sécheresse et de faibles précipitations comme actuellement en raison des changements climatiques, l’impact sur les chaînes d’approvisionnement mondiales pourrait être bien pire que celui de la COVID-19 et de la guerre en Ukraine, affirment deux spécialistes du climat dans le magazine américain Foreign Affairs (China’s Growing Water Crisis).

Le manque d’eau en Chine ne date pas d’hier.

Depuis 40 ans, la forte croissance économique et la volonté de Beijing d’assurer l'autosuffisance alimentaire du pays ont fait en sorte que la consommation d’eau surpasse le seuil de renouvellement naturel de cette ressource essentielle dans le nord de la Chine.

Et certaines régions du sud du pays pourraient se retrouver dans la même situation.

Une statistique illustre la crise croissante qui affecte ce pays de 1,4 milliard d’habitants depuis des années, et dont la sécheresse actuelle ne fait qu’accentuer l’impact.

En 2020, l'approvisionnement en eau disponible par habitant autour de la plaine de la Chine du Nord était de 253 mètres cubes, soit un niveau près de 50% inférieur à la définition de l'Organisation des Nations unies (ONU) de la pénurie aiguë d'eau.

Et Beijing, Shanghai, Tianjin ainsi que d'autres grandes villes se situent à des niveaux similaires ou plus bas.

Une autre donnée devrait vous convaincre de la gravité de la situation en Chine.

En 2019, même si elle vivait une situation de stress hydrique sévère, l'Égypte disposait malgré tout de ressources en eau douce de 570 mètres cubes par habitant. De plus, le pays n’abrite pas une grande base manufacturière comme la Chine.

Certes, le gouvernement chinois essaie de combler les déficits de ressources hydriques en détournant certains fleuves, notamment le Yangtze, afin d’approvisionner davantage en eau le nord du pays, qui en manque cruellement.

Ces efforts pourraient toutefois être insuffisants, selon Foreign Affairs.

 

Vers un déséquilibre entre l'offre et la demande d'eau

Si la tendance actuelle se poursuit, certains chercheurs estiment que l’offre en eau en Chine pourrait être 25% inférieure à la demande en 2030. Une situation qui forcerait la société chinoise à faire des ajustements majeurs.

Ce déficit créerait une pression énorme sur la production agricole (la Chine devrait importer davantage de denrées pour nourrir sa population), mais aussi sur la production d’énergie dans le pays.

Malgré des investissements majeurs dans les énergies solaires et éoliennes, près de 90% de la production d’énergie en Chine requiert de grandes quantités d’eau pour les centrales hydroélectriques, les centrales au charbon (pour les condensateurs de vapeur) et les centrales nucléaires (pour refroidir les réacteurs).

Un déficit d’eau permanent pourrait donc réduire la production d’énergie en Chine. Cette chute affecterait les usines chinoises (qui consomment 65% de l’électricité produite dans le pays) et, du coup, les chaînes d’approvisionnement mondiales.

Du reste, des usines en Chine ont déjà dû suspendre leur production cet été en raison des coupes de courant provoquées par la sécheresse.

À grande échelle et sur une base régulière en raison des changements climatiques, un déficit d’électricité aurait un impact important sur des industries névralgiques.

La Chine est notamment — et de loin — le plus grand producteur mondial d'aluminium, de plomb, de manganèse, de magnésium, de zinc, sans parler de la plupart des terres rares, des minerais stratégiques utilisés dans les technologies de pointe.

 

Le cas annonciateur d'une fonderie de magnésium

Certaines entreprises consommatrices de magnésium, notamment dans le secteur automobile, ont déjà fait l’expérience de ce risque, l’an dernier, quand les prix de cet intrant ont explosé.

Une importante fonderie de magnésium dans la province du Shaanxi — responsable d’environ 50% de la production mondiale — avait alors dû ralentir ses opérations en raison de pannes de courant.

Les prix se sont certes stabilisés par la suite, quand la fonderie a retrouvé son alimentation régulière en électricité.

Toutefois, cela donne une idée de la vulnérabilité des chaînes d’approvisionnement mondiales liées à la Chine.

Dans un contexte de changements climatiques qui perturbent le cycle de l’eau, la vulnérabilité des industries chinoises doit être prise en considération par les entreprises canadiennes qui ont des fournisseurs en Chine, d’autant plus si ces derniers sont stratégiques.

Il ne s’agit pas ici de s’inquiéter outre mesure, voire d’appuyer sur le bouton panique.

En revanche, la crise croissante de l’eau en Chine doit être sur votre écran radar, et ce risque doit être intégré aux autres risques inhérents à votre chaîne d’approvisionnement.

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand

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