Échec et mat: Poutine a gagné son pari

Publié le 17/12/2016 à 09:39, mis à jour le 17/12/2016 à 14:21

Échec et mat: Poutine a gagné son pari

Publié le 17/12/2016 à 09:39, mis à jour le 17/12/2016 à 14:21

Le président russe Vladimir Poutine (source: GettyImages)

ANALYSE GÉOPOLITIQUE– Le président russe Vladimir Poutine a gagné son pari. Un quart de siècle après la chute du communisme et la dissolution de l'URSS, la Russie est en train de redevenir une puissance importante sur l'échiquier mondial, avec laquelle les autres puissances, au premier chef les États-Unis, devront désormais composer.

Ainsi, que ce soit en Europe orientale, au Moyen-Orient ou en Extrême-Orient, peu de crises géopolitiques peuvent désormais se régler sans la participation ou l'influence de la Russie– sans parler de celle qu'elle crée, comme en Ukraine.

Les investisseurs exposés à ces régions du monde devront donc désormais tenir compte de cette nouvelle donne dans leur analyse du risque, comme la stabilité politique d'un pays ou d'une région.

L'implication de Moscou dans la guerre civile en Syrie est sans doute le meilleur exemple du retour en force de la Russie sur la scène internationale.

Au bord de l'effondrement en 2015, le régime de Bachard Al-Assad est maintenant en voie de reprendre le contrôle sur une bonne partie du pays grâce à l'intervention de l'aviation russe aux côtés de l'armée du régime syrien.

En 2015, l'implication des Russes dans ce conflit a pris de court les Américains et leurs alliés qui réclamaient le départ de Bachar Al-Assad. Tout comme ils ont été surpris quand la Russie a annexé la Crimée (une région cédée par l'URSS à l'Ukraine, en 1954) en 2014.

Pourtant, le renaissance géopolitique de la Russie était en grande partie prévisible, affirment certains spécialistes. Car, depuis deux siècles, ce pays–de l'empire russe à l'URSS– a toujours été une puissante importante dans le concert des nations.

Par exemple, la chute de Napoléon tient en grande partie à sa retraite désastreuse de la Russie, en 1812, après que les armées françaises eurent conquis Moscou. Et pendant la Deuxième Guerre mondiale, l'armée russe a joué un rôle majeur dans la défaite de l'Allemagne nazie.

Une puissance marginalisée par la chute du communisme

Par contre, après la chute du communisme et la dissolution de l'URSS aux tournants des années 1990, la Russie a perdu son statut de grande puissance. L'ennemi des Occidentaux durant la guerre froide n'était plus qu'une puissance secondaire, marginalisée, voire méprisée.

À l'époque, le président américain George Bush père a d'ailleurs déclaré que «la guerre froide ne s'est pas terminée; elle a été gagnée».

On pourrait ajouter par les États-Unis, qui en ont profité– de concert avec leurs alliés européens– pour avancer leurs pions en Europe.

Cette stratégie s'est traduite par une expansion à l'est de l'Union européenne et de l'OTAN. Elles ont intégré d'anciens pays du pacte de Varsovie (par exemple, la Pologne) et même d'anciennes républiques de l'URSS (par exemple, les trois pays baltes).

Mais à chacune des avancées des Occidentaux, la Russie protestait et dénonçait «l'expansion» de l'Occident en Europe orientale. Car, pour Moscou, cette avancée est perçue comme une incursion dans son aire d'influence historique.

L'année 2014 est fondamentale pour comprendre le revirement de la situation et la renaissance géopolitique de la Russie.

Pourquoi? Parce que le président ukrainien Viktor Ianoukovitch (et de son régime pro-russe) a été renversé, et Moscou a soupçonné l'Occident d'avoir comploté pour installer un régime «ami» en Ukraine, et ce, afin de l'attirer dans son aire d'influence.

Une situation jugée inacceptable aux yeux de Vladimir Poutine et de la plupart des Russes.

C'est pourquoi le maître du Kremlin a décidé d'intervenir en Crimée pour défendre les intérêts de la Russie, affirment plusieurs analystes.

Vladimir Poutine avait du reste fait la même chose en 2008, en envoyant l'armée russe en Géorgie (une ancienne république de l'URSS), qui voulait alors se rapprocher des Américains et des Européens.

C'est d'ailleurs pourquoi certains politologues, dont John Mearsheimer, professeur de sciences politiques à l'Université de Chicago, estiment que l'Occident est responsable du déclenchement de la crise en Ukraine.

«Les États-Unis et leurs alliés européens partagent la majeure partie de la responsabilité de cette crise», a-t-il écrit dans une analyse publiée en 2014 dans Foreign Affairs (Why the Ukraine Crisis Is the West's Fault).

Selon lui, il était prévisible que la Russie n'allait pas laisser l'Ukraine sortir de son aire d'influence sans réagir. C'est comme si la Chine essayait d'attirer le Canada dans son aire d'influence ou une alliance: les États-Unis réagiraient.

Plusieurs commentateurs ont critiqué la position de John Mearsheimer. Son analyse permet néanmoins de comprendre ce qui a incité les Russes à intervenir en Ukraine–sans justifier pour autant leurs agissements.

La stratégie en Syrie

L'intervention de la Russie en Syrie répond à d'autres impératifs stratégiques, disent les spécialistes.

-Moscou veut d'abord éviter la chute de son indéfectible allié Bachar Al-Assad, ce qui lui permet d'avoir une présence et une influence au Moyen-Orient.

-La Russie veut éviter une déstabilisation accrue de la région que provoquerait le renversement du régime Al-Assad. Selon Moscou, le renversement de Saddam Hussein en Irak (en 2003) et de Mouammar Kadhafi en Libye (en 2011) démontrent que les changements de régime aggravent la situation.

-La Russie affirme vouloir combattre «les terroristes» en Syrie qui pourraient un jour commettre des attentats terroristes sur son sol, incluant l'État islamique et l'opposition au régime Al-Assad.

-Moscou veut montrer que la Russie est une puissance régionale–même si elle n'a plus la force de l'ex-URSS– avec laquelle l'Occident doit composer.

-La Russie veut avancer ses pions au Moyen-Orient au détriment des États-Unis, en montrant aux pays de la région qu'elle est un allié fiable, contrairement à Washington, dont l'ambivalence et le manque de leadership inquiètent.

Même si la Russie a repris du galon sur l'échiquier mondial, elle n'est pas redevenue une superpuissance comme à l'époque de l'URSS. Le pays dispose néanmoins d'un arsenal nucléaire et d'une armée capable de projeter sa force à l'étranger, sans parler de sa capacité de faire des cyberattaques.

Par contre, à l'exception des pays baltes (où il y a d'importantes minorités russophones, comme en Ukraine), son armée ne représente plus une menace pour l'intégrité territoriale des pays d'Europe occidentale comme durant la guerre froide.

En fait, l'objectif de Vladimir Poutine est que la Russie redevienne un acteur clef dans le monde multipolaire qui se met en place, avec le déclin de l'hégémonie américaine et la montée en puissance de la Chine.

Ultimement, la Russie souhaite aussi que les autres puissances reconnaissent sa sphère d'influence, comme les Occidentaux avaient reconnu celle de l'URSS.

À la lumière du repositionnement géopolitique de la Russie, force est de constater que cette reconnaissance est en train de se matérialiser de facto.

Vladimir Poutine est donc en train de gagner son pari: restaurer l'influence de la Russie.

Dans la mesure de ses moyens.

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand