Démocratie américaine: on respire par le nez

Publié le 05/11/2022 à 09:00

Démocratie américaine: on respire par le nez

Publié le 05/11/2022 à 09:00

Ce qui inquiète en particulier, c’est que plusieurs candidats républicains ont affirmé qu’ils n’ont pas l’intention de reconnaître ou qu’ils pourraient ne pas reconnaître les résultats en cas de défaite mardi soir. (Photo: Getty Images)

ANALYSE GÉOPOLITIQUE. Si l’on se fie à certains commentateurs, la démocratie américaine serait au bord du gouffre, sur le point de devenir une démocratie «illibérale», voire un régime autoritaire. Certes, la violence, les tensions politiques et la méfiance s’installent aux États-Unis. Malgré tout, il y a des raisons d’espérer: ce n’est pas la première fois que le pays vit des turbulences politiques, et il les a toutes surmontées.

Cette inquiétude s’amplifie à quelques jours des élections de mi-mandat, ce mardi 8 novembre. À l’occasion de ce scrutin, 36 des 50 postes de gouverneurs sont en jeu, ainsi que le tiers des 100 sénateurs et l’entièreté des 435 représentants qui siègent au Congrès à Washington.

Des États, des comtés et des villes tiendront aussi des élections pour choisir leurs propres représentants (sur le modèle fédéral) ou organiser des référendums.

Ce qui inquiète en particulier, c’est que plusieurs candidats républicains ont affirmé qu’ils n’ont pas l’intention de reconnaître ou qu’ils pourraient ne pas reconnaître les résultats en cas de défaite mardi soir.

Actuellement, les démocrates contrôlent les deux chambres du Congrès.

L’enjeu est de taille, car cette posture crée beaucoup d’incertitude politique, notamment pour les entreprises et les investisseurs étrangers qui sont actifs aux États-Unis ou qui planifient d’y être dans un avenir prévisible.

Et on peut le comprendre aisément.

Auront-ils vraiment le goût d’investir dans ce pays s’ils estiment que la démocratie et l’État de droit — qui y ont 235 ans d’histoire — risquent de s’étioler?

Personne ne peut prévoir avec certitude l’évolution de la démocratie aux États-Unis.

En revanche, l’histoire américaine procure une perspective qui permet de relativiser certaines tendances, sans minimiser pour autant la crise actuelle de la démocratie chez nos voisins.

Bref, cela permet de mieux jauger le risque politique réel.

 

Une société plus violente dans le passé

C’est un constat sans appel: depuis l’élection de Donald Trump à la présidence en 2016, la violence politique augmente aux États-Unis, comme l’a récemment expliqué une spécialiste du Carnegie endowment for international peace (un groupe de réflexion) devant la Commission d’enquête sur l’assaut au Capitole du 6 janvier 2021.

Cette progression s’incarne dans l’assaut du 6 janvier par des partisans de Donald Trump. Mais elle s’incarne aussi dans la justification accrue d’utiliser la violence comme un outil politique.

Et ce, aussi bien chez les républicains que chez les démocrates.

Ainsi, depuis 2017, cet appui en faveur de la violence politique chez les premiers a doublé pour atteindre 20% en février 2021, tandis qu’il a progressé chez les seconds pour s’établir à 13%, selon le Carnegie endowment for international peace.

Cela dit, si on recule dans l’histoire américaine, les États-Unis ont vécu des crises et de la violence politique bien plus graves, à commencer par la guerre civile de 1861 à 1865, à l’époque où le parti démocrate était un parti esclavagiste.

C’est sans parler de l’assassinat de trois présidents américains entre 1865 et 1901: le républicain Abraham Lincoln (1865), le républicain James A. Garfield (1881) et le républicain William McKinley (1901).

Un quatrième président a été assassiné dans l’histoire américaine, soit le démocrate John F. Kennedy, en 1963, et ce, dans une décennie très violente, notamment en raison de la lutte pour les droits civiques des Afro-Américains.

En avril 1968, le pasteur noir Martin Luther King Jr. a d’ailleurs été assassiné. Deux mois plus tard, en juin, c’était au tour de Robert F. Kennedy, alors qu’il faisait campagne pour l’investiture démocrate en prévision de la présidentielle de novembre.

Des présidents ont survécu à des tentatives d’assassinat, comme le républicain Ronald Reagan, en mars 1981 — il est demeuré près de deux semaines à l’hôpital.

Le tournant des années 1970 a aussi été particulièrement violent aux États-Unis.

Entre janvier 1969 et avril 1970, plus de 5 000 attentats terroristes (terrorist bombings) ont été commis dans le pays, sans parler de 37 000 alertes à la bombe, révèle un récent article du magazine américain Politico.

Et comment passer sous silence le fait que la garde nationale de l’Ohio a tué quatre étudiants, le 4 mai 1970, lors d’une manifestation contre la guerre du Vietnam sur le campus de l’Université d’État à Kent, une ville située au sud de Cleveland.

 

Facteurs de risques de violence électorale

Comparée à la seconde moitié du 19e siècle et aux années 1960, la société américaine pâtit donc moins aujourd’hui de la violence politique, même si elle est en recrudescence depuis quelques années, surtout du côté de la droite radicale — de l’extrême droite aux suprémacistes blancs.

Aussi, «les facteurs de risque de violence électorale sont élevés», ce qui met une plus grande pression sur les institutions américaines, souligne une analyse du Journal of Democracy, une publication du National endowment for democracy (un centre de recherche).

 

La progression de la violence politique aux États-Unis s’est incarnée dans l’assaut du Capitole, le 6 janvier 2021, par des partisans de Donald Trump. (Photo: Getty Images)

 

La publication trimestrielle identifie quatre facteurs de risque de violence politique:

1. Les élections très serrées susceptibles de modifier l’équilibre des pouvoirs – Une concurrence politique accrue est fortement associée à la violence électorale. Ce n’est que lorsque les résultats sont incertains mais serrés qu’il y a une raison de recourir à la violence.

2. La division partisane basée sur l’identité — Jusque dans les années 1990, de nombreux Américains appartenaient à plusieurs groupes identitaires — par exemple, un membre d’un syndicat pouvait être un homme conservateur, religieux du sud qui votait néanmoins démocrate. Aujourd’hui, les Américains se sont répartis en deux grands groupes identitaires. Les démocrates ont tendance à vivre dans les villes, sont plus susceptibles d’être des minorités, des femmes, des non-affiliés à une religion et de tendance libérale. Les républicains vivent quant à eux généralement dans des zones rurales ou des banlieues, et ils sont plus susceptibles d’être blancs, masculins, chrétiens et conservateurs.

3. Les règles électorales permettant de gagner à l’aide des clivages identitaires – Les clivages dans les sociétés divisées comme les États-Unis peuvent être soit atténués soit renforcées par les systèmes électoraux. Le système électoral américain comprend des caractéristiques qui sont corrélées à une plus grande violence. Par exemple, les élections où le vainqueur remporte tout (sans répartition proportionnelle des voix) sont particulièrement sujettes à la violence, peut-être parce qu’un petit nombre d’électeurs peut modifier les résultats.

4. La faiblesse de contraintes institutionnelles contre la violence – Les États-Unis souffrent de trois faiblesses institutionnelles particulièrement préoccupantes aujourd’hui: le défi de trancher les différends entre les pouvoirs exécutif et législatif inhérents aux systèmes présidentiels majoritaires, les récentes décisions judiciaires renforçant le pouvoir électoral des législatures des États, ainsi que la politisation de l’application de la loi et des décisions des tribunaux.

 

Les raisons d’espérer

À quelques jours des élections de mi-mandat, le suspense demeure donc élevé sur le déroulement et les lendemains du scrutin.

Malgré tout, il y a des raisons de ne pas désespérer de la démocratie américaine.

D’une part, tout au long de son histoire, la république a réussi à surmonter d’autres crises, dans une société où la violence politique est une constante.

D’autre part, depuis 1787, les États-Unis ont un système politique caractérisé par la séparation des pouvoirs afin de procurer un check and balance. Cette séparation — qui n’existe pas au Canada, où le gouvernement est à la fois le législatif et l’exécutif — est un garde-fou contre les dérives autoritaires.

Enfin, le tiers des républicains ont accepté le résultat de la présidentielle de 2020, dont l’ancien vice-président Mike Pence et le gouverneur sortant de l’Arizona Doug Ducey — il a fait deux mandats et il ne peut plus se représenter, selon la loi de cet État.

La démocratie américaine est donc loin d’avoir dit son dernier mot.

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand