De la chute du mur de Berlin à la montée du populisme

Publié le 01/11/2019 à 18:49

De la chute du mur de Berlin à la montée du populisme

Publié le 01/11/2019 à 18:49

La chute du mur de Berlin en 1989, et le président américain Donald Trump. (Photo: Getty Images)

ANALYSE GÉOPOLITIQUE. Dans une semaine, nous commémorerons le 30e anniversaire de la chute du mur de Berlin, le 9 novembre 1989, qui a précipité la chute du communisme en Europe. Cet événement historique a accéléré la mondialisation des marchés et de l’idéologie néolibérale. Trente ans plus tard, force est de constater qu’il a aussi contribué à un autre phénomène : la montée du populisme.

Cette réflexion est fondamentale pour comprendre le monde dans lequel nous vivons, sans parler des pistes de solution pour restaurer la paix sociale en Europe et aux États-Unis, où les populistes de droite et de gauche gagnent en influence.

Plusieurs y verront un lien historique cousu de fils blancs, un lien que font pourtant plusieurs historiens professionnels (je le suis de formation de mon côté). Pour vous convaincre de son fondement, commençons d’abord par une métaphore économique.

Qu’arrive-t-il quand une entreprise exerce un monopole dans une industrie pendant une longue période de temps? Elle abuse de son pouvoir et impose ses vues à l’écosystème (prix, structure de marché, etc.), car il n’y a pas d’alternative ou de conconrurrence.

C’est la même chose en politique.

Quand un parti ou une idéologie détient le monopole du pouvoir ou des esprits, il ou elle abuse de ce pouvoir puisqu’il n’y a pas d’alternative politique à son hégémonie politique ou intellectuelle.

C’est essentiellement ce qui s’est passé en 1989 avec la chute du mur de Berlin puis du communisme européen.

Bien entendu, l’effondrement des régimes communistes en Europe de l’Est, à commencer par l’ancienne Union soviétique (aujourd’hui la Russie), a permis de libérer des dizaines de millions de personnes qui vivaient dans des dictatures.

Malgré tout, pendant la guerre froide (1945 à 1989), plusieurs intellectuels occidentaux admiraient ces régimes qui assuraient une égalité économique à leurs citoyens, mais au détriment des libertés politiques.

En revanche, mis à part quelques exceptions, n’oublions jamais que ce sont les citoyens des régimes d’Europe de l’Est qui risquaient leur vie pour passer à l’Ouest et non l’inverse.

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L’erreur fondamentale commise après 1989

Dans les décennies qui ont suivi l’effondrement du communisme, une majorité de politiciens, de gens d’affaires, d’investisseurs, d’économistes et d’intellectuels ont commis une erreur fondamentale.

Ils se sont comportés -consciemment ou inconsciemment- comme s’ils étaient à la tête d’un monopole : ils ont abusé de leur pouvoir afin d’imposer leur vue, car il n’y avait plus d’alternative (le communisme) au capitalisme.

Résultat?

L’idéologie néolibérale popularisée par la première ministre britannique Margaret Thatcher et le président américain Ronald Reagan aux tournants des années 1980 est devenue dominante dans le monde à partir des années 1990.

C’était l’époque de la mondialisation heureuse.

La plupart des gouvernements de gauche et de droite ont alors commencé à baisser les impôts, réduire les dépenses publiques, libéraliser le commerce, privatiser des services publics et à alléger la réglementation, notamment au Canada et au Québec.

Ces gouvernements ont surtout affaibli l’État-providence mis en place dans la plupart des pays industrialisés après la Deuxième Guerre mondiale (1939-1945).

Si toutes ces mesures ont favorisé les entreprises et les investisseurs, elles ont en revanche contribué à augmenter les inégalités et la précarité économique. Le choc a été pis encore dans les anciens pays communistes comme l’ex-Allemagne de l’Est en raison de la misère économique, souligne Le Monde diplomatique.

Or, comme l’histoire n’est pas assez enseignée (surtout en Amérique du Nord), la plupart des élites d’aujourd’hui ou au pouvoir depuis 1989 ont oublié pourquoi on a créé l’État-providence après 1945.

À l’époque, les leaders occidentaux l’ont mis en place pour éviter que ne se reproduise la misère économique extrême de la Dépression des années 1930, alors que les programmes sociaux n’existaient pratiquement pas. Une misère qui avait aussi contribué à la montée du nazisme en Allemagne.

Ces leaders ont aussi construit l’État-providence pour offrir une alternative au communisme, une idéologie qui était populaire en Occident dans les années 1950, 1960 et 1970 auprès de la jeunesse et du mouvement ouvrier.

Le message des élites capitalistes était à peu près le suivant : nul besoin de vivre dans une société communiste pour avoir une société juste et équitable; on peut réformer le capitalisme pour lui donner un visage humain grâce aux programmes sociaux.

Or, c’est justement cet esprit qui s’est perdu avec la chute du mur de Berlin et l’effondrement du communisme en Europe.

À cela s’ajoute le fait que plusieurs partis sociaux-démocrates en Occident (comme les socialistes en France ou les démocrates aux États-Unis) ont largement tourné le dos à leur base traditionnelle, c’est-dire les ouvriers, les cols bleus et les classes moyennes peu éduquées.

Créer une vraie alternative au… populisme

N’ayant plus de partis pour les représenter ou presque, ces électeurs se sont tournés vers des formations politiques comme le Rassemblement national (RN) de Marine Le Pen, en France, ou le parti républicain de Donald Trump, aux États-Unis.

Dans l’ancienne Allemagne de l’Est, le parti d’extrême droite Alternative (AfD) pour l’Allemagne est même devenu une force politique incontournable.

«L'ascendant du populisme de droite aujourd'hui est un symptôme de l'échec de la politique progressiste», souligne le célèbre philosophe américain et professeur à l'Université Harvard, Michael Sandel, dans le magazine britannique New Stateman.

Bien entendu, d'autres facteurs ont pesé dans la balance, comme les politiques d'austérité après la récession mondiale de 2008-2009, la crise migratoire en Europe en 2015 ou les pertes d'emplois en raison des progrès technologiques.

Endiguer la montée du populisme n’est pas une mince affaire, d’autant plus que les partis au pouvoir ont leur part de responsabilité.

Il n’y a pas 36 000 solutions : il faut reconstruire des «digues sociales», comme après 1945. Cela passe nécessairement par la réduction des inégalités et la diminution de l’anxiété économique auprès d’une frange importante de la population.

Après des décennies d’érosion, les gouvernements doivent améliorer les programmes sociaux, et ce, en réaffectant les recettes fiscales (par exemple, moins d’aides aux entreprises au profit des pauvres) ou en augmentant les impôts.

Il faut aussi des impôts plus progressifs, selon l’Observatoire des inégalités, une organisation française. Ainsi, chacun doit payer en fonction de ses revenus pour cet effort commun si l’on veut vraiment combattre la montée du populisme.

Il va sans dire qu’une hausse d’impôt risque d’avoir un impact négatif sur la croissance économique, diront certains analystes. Cette crainte est légitime, mais peu probable si l’on se fie du moins aux statistiques économiques.

Depuis les années 1950, les entreprises et les particuliers ont vu constamment diminuer leur taux d’imposition aux États-Unis. Or, depuis cette période, le PIB américain progresse de moins en moins rapidement, selon les données U.S. Census Bureau.

Voilà autant d’éléments à considérer et sur lesquels réfléchir alors que nous nous préparons à commémorer le 30e anniversaire de la chute du mur de Berlin.

Surtout, il ne faut jamais oublier que le monde dans lequel nous vivons est une construction sociale qui est le fruit de décisions politiques et économiques cumulatives et non pas celui d’un ordre naturel.

Ce qui a été déconstruit peut donc être reconstruit.

 

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand