Crise politique en Allemagne : mais quelle crise?

Publié le 25/11/2017 à 07:29

Crise politique en Allemagne : mais quelle crise?

Publié le 25/11/2017 à 07:29

La chancelière allemande, Angela Merkel. (Photo: 123rf.com)

ANALYSE GÉOPOLITIQUE – Chaos politique, pire crise politique depuis 1945, mauvaise nouvelle pour l’Europe… Les titres alarmistes ne manquent pas pour décrire l’incapacité de l’Allemagne à former un gouvernement. Or, cette situation est loin d’être une crise nationale, même si elle aura un impact sur la politique allemande et européenne.

Le dimanche 19 novembre, la chancelière Angela Merkel, à tête des conservateurs de la CDU, a échoué dans sa tentative de mettre sur pied une coalition gouvernementale avec les ultralibéraux du parti libéral démocrate (FDP) et les Verts. Cet échec survient près de deux mois après l’élection législative du 24 septembre en Allemagne.

Un échec qui marque les esprits. C’est la première fois depuis la fondation de la République fédérale d’Allemagne (RFA), en 1949, que le pays n’a pas de majorité pour être gouverné, souligne le quotidien français Le Monde.

Les trois partis ne sont pas parvenus à s’entendre sur quatre grands sujets : l’asile et l’intégration, la transition énergétique, la question européenne ainsi que l’éducation.

Si cette situation pose un défi à Angela Merkel, nous sommes par contre très loin d’être en présence d’une situation catastrophique.

Les principales crises politiques depuis 1949

L’Allemagne a vécu des crises bien plus graves depuis la création de la RFA ou l’Allemagne de l’Ouest. Tous les historiens vous le diront.

Un bref survol historique permet de mettre rapidement les choses en perspectives et de mieux jauger le risque géopolitique réel sur les marchés boursier, financier et obligataire.

1961 : les Russes (qui occupent l'Allemagne de l'Est) construisent le mur de Berlin qui scinde la ville en deux.

1974 : le chancelier social-démocrate de la RFA Willy Brandt démissionne dans un contexte économique difficile et d’une controverse impliquant un de ses aides.

«L’automne allemand» de 1977 : le gouvernement de la RFA semble impuissant contre les attaques à la bombe, les enlèvements et les assassinats perpétrés par le groupe terroriste d’extrême gauche Faction armée rouge (FAR).

La chute du mur de Berlin en 1989 : la chute du communisme en Europe et la réunification allemande en 1990 ont représenté tout un défi politique, social, économique et culturel pour les Allemands.

Les années 1990 : le chancelier Helmut Kohl, membre de la CDU, qui a dirigé le pays (la RFA et l’Allemagne unifiée de 1982 à 1998) est aux prises avec un scandale à propos des pratiques de financement illégales de la CDU.

Les marchés financiers sont calmes

Les marchés financiers semblent aussi faire la même lecture de la situation, c’est-à-dire que la situation représente un défi politique, mais que nous sommes «loin d’une crise nationale», comme le souligne notamment le magazine allemand Der Spiegel.

Trois indicateurs financiers le montrent bien: l’indice phare de la Bourse allemande (le DAX), la valeur de l’euro ainsi que les coûts d’emprunts du gouvernement allemand.

1.Le DAX de la Bourse de Francfort est à la hausse, malgré les soubresauts de la semaine dernière.

2.L’euro a rebondi après l’échec des pourparlers.

3.Le rendement des obligations 10 ans (les coûts d’emprunt du gouvernement allemand) a même légèrement diminué.

Dans les trois cas, on voit que les marchés financiers ont conclu que cette situation n’a rien de catastrophique, comme le laissent entendre plusieurs analystes et médias.

Bref, c'est business as usual.

Trois scénarios sur la table

À partir de maintenant, trois scénarios sont possibles pour la suite des choses.

Scénario #1 La création d’une nouvelle coalition : la CDU d’Angela Merkel réussit finalement à former un gouvernement de coalition, soit avec les deux partis avec lesquels les premières négociations ont échoué, en l’occurrence le FDP et les Verts.

Il est possible aussi que les sociaux-démocrates du SPD mettent de l’eau dans leur vin, et acceptent finalement de former encore une coalition avec les conservateurs d’Angela Merkel.

Les sociaux-démocrates l’ont déjà fait à deux reprises, entre 2005 et 2009 puis entre 2013 et 2017. Par contre, ils n’en n’ont pas profité. Au contraire : le SPD n’a récolté que 20,5% des voix lors des élections, soit son plus mauvais résultat depuis 1949, rappelle le quotidien financier français Les Échos.

Scénario #2 Le déclenchement de nouvelles élections : face à l’incapacité à former une nouvelle coalition, Angela Merkel pourrait demander au président allemand, Frank-Walter Steinmeier, de déclencher de nouvelles élections législatives, qui auraient lieu sans doute lieu dans la première moitié de 2018.

Selon plusieurs sondages, cet exercice pourrait reproduire le même résultat que lors du scrutin de septembre. On reviendrait donc à la case départ.

Mais dans un contexte d’une polarisation accrue du débat public dans la plupart des pays occidentaux (Brexit, élection de Donald Trump), il ne faut pas non plus exclure un renforcement de l’extrême droite et de l’extrême gauche au parlement allemand, qui occupent déjà 22% des sièges.

Scénario #3 La formation d’un gouvernement minoritaire : la CDU d’Angela Merkel pourrait gouverner l’Allemagne même si la formation politique n’a récolté que 33% des voix lors des législatives en septembre.

Ce serait une première au niveau fédéral en Allemagne depuis la fondation de la RFA, mais pas une première dans le pays au niveau des länders allemands (l’équivalent des provinces canadiennes).

Comme le souligne le magazine britannique The Economist, un gouvernement minoritaire a gouverné «avec succès» de 2010 à 2012 la Rhénanie-du-Nord-Westphalie, le plus grand länder du pays qui comprend des villes comme Cologne, Bonn et Düsseldorf.

Le Canada a aussi eu plusieurs gouvernements minoritaires dans son histoire comme les conservateurs de Stephen Harper, de 2006 à 2013, sans parler de certaines provinces, avec le gouvernement péquiste de Pauline Marois, de septembre 2012 à avril 2014.

L’Allemagne demeurera un pays stable

Depuis la fondation de la RFA en 1949, l’Allemagne a toujours été un pays relativement stable, malgré les différentes crises auxquelles elle a dû faire face depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale.

Le débat politique est riche et dynamique. Les institutions politiques du pays sont solides. De plus, comme le Canada ou les États-Unis, l’Allemagne est une fédération au sein de laquelle les pouvoirs sont bien partagés entre les trois paliers de gouvernements.

Enfin, même si le pays demeure sans gouvernement officiel durant des mois, cela ne serait pas non plus une catastrophe. Récemment, les Pays-Bas, l’Espagne et la Belgique se sont respectivement retrouvés sans gouvernement durant 7, 10 et 18 mois.

Bien entendu, la situation en Allemagne risque de retarder les réformes dans l’Union européenne que le nouveau président français Emmanuel Macron souhaitait amorcer en relançant le couple franco-allemand.

Le nouveau président de la République voulait par exemple une plus grande intégration politique et économique de la zone euro.

Cela dit, Angela Merkel n’était pas prête de toute manière à donner un chèque en blanc à Emmanuel Macron même si elle avait réussi à former une coalition, font remarquer des analystes.

La réforme de l’UE n’aurait pas été un long fleuve tranquille.

Par conséquent, il ne faut pas non plus s’attendre à une onde de choc majeure en Europe avec ce qui se passe en Allemagne.

La situation politique dans ce pays doit certes rester sur l’écran radar des investisseurs.

Mais il n’y a pas lieu de s’inquiéter, voire paniquer.

 

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand