Corée du Nord: on respire tous par le nez

Publié le 23/12/2017 à 10:32

Corée du Nord: on respire tous par le nez

Publié le 23/12/2017 à 10:32

Manifestation à Séoul. (Getty)

ANALYSE GÉOPOLITIQUE – Même si la Corée du Nord peut désormais frapper les États-Unis avec un missile balistique, la probabilité que le régime nord-coréen lance une attaque est très mince, tout comme celle que les États-Unis bombardent ce pays. Car, au-delà de la rhétorique guerrière, le réalisme politique retiendra Washington et Pyongyang.

C’est la grande leçon de la guerre froide (1945-1990), affirment les historiens et les politologues. Bien entendu, les nouvelles capacités balistiques de la Corée du Nord représentent un risque géopolitique pour les États-Unis, les pays autour de la péninsule coréenne (Corée du Sud, Japon, Chine), de même que pour les investisseurs.

Ces derniers ne semblent d’ailleurs pas trop s’inquiéter des tensions géopolitiques dans la région, comme en témoignent ces trois indicateurs financiers.

1. L’indice phare de la Bourse sud-coréenne, le Kopsi, est en forte hausse depuis un an.

 2. Le won, la devise de la Corée du Sud, est relativement stable vis-à-vis du dollar américain depuis un an, malgré une légère hausse ces derniers mois.

 

3. Les coûts d’emprunt du gouvernement sud-coréen -les obligations à 10 ans- sont à la baisse depuis quatre ans, malgré une hausse progressive amorcée en janvier 2017.

 

La capacité de la Corée du Nord de bombarder les États-Unis constitue-t-elle un risque inacceptable pour les Américains ? Non, car il y a eu de nombreux précédents depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale.

Bref, ce n’est pas la première fois que les États-Unis sont la cible potentielle d’une attaque nucléaire.

Les puissances nucléaires ne se font pas la guerre

Durant la guerre froide, les États-Unis ont vécu sous la menace constante d’une guerre nucléaire totale avec l’ex-Union des républiques socialistes soviétiques (URSS). La Chine et la Russie, deux puissances nucléaires, peuvent aussi frapper le territoire américain.

À plus petite échelle, l’Inde et le Pakistan, deux autres puissances nucléaires rivales, se toisent aussi depuis des années.

Or, à ce jour, jamais deux puissances nucléaires n'ont utilisé leur arsenal atomique pour se combattre.

Pourquoi? Parce que le prix à payer est trop élevé. Une guerre nucléaire détruirait des villes, tuerait des millions de personnes, sans parler de la contamination radioactive de l'environnement (air, terre, eau) durant des décennies.

La destruction des villes japonaises d'Hiroshima (le 6 août 1945) et de Nagasaki (le 9 août 1945) par les Américains est gravée dans la mémoire collective.

C'est pourquoi les États-Unis et l'ex-URSS n'ont pas utilisé leur arme nucléaire durant la guerre froide, tout comme l'Inde et le Pakistan.

Et c’est aussi pourquoi il est très improbable que la Corée du Nord attaque un jour les États-Unis (ou leurs alliés en Asie, comme la Corée du Sud ou le Japon), car le pays et son régime communiste seraient détruits en quelques heures.

De plus, les Américains peuvent intercepter ou limiter l’impact de tirs de missiles nord-coréens. Une situation qui rend encore plus suicidaire une attaque contre les États-Unis (ou leurs alliés).

Le leader Kim Jong-Un et les généraux nord-coréens le savent très bien.

C’est donc cette assurance d’une destruction mutuelle qui empêche les puissances nucléaires d'utiliser leurs bombes atomiques entre elles.

Le grand penseur de la théorie des relations internationales, l'Américain Kenneth N. Waltz (1924-2013), explique bien cet enjeu dans ses livres, notamment dans Realism and International Politics, qui regroupe plusieurs de ses essais à ce sujet.

Pourquoi la Corée du Nord a la bombe atomique

Pour mieux comprendre les tensions entre Washington et Pyongyang, il faut aussi se rappeler pourquoi la Corée du Nord dispose aujourd’hui de la bombe atomique, comme huit autres pays (États-Unis, Russie, Chine, France, Royaume-Uni, Pakistan, Inde et Israël).

Ce sont pour deux raisons, selon Le Monde diplomatique.

Premièrement, parce que les Américains avaient installé des armes nucléaires tactiques en Corée du Sud en 1958 (l’administration Clinton les a toutefois retirées en 1994).

Deuxièmement, en raison de la nouvelle doctrine de sécurité adoptée par l’administration Bush en 2002 (après les attentats du 11 septembre 2001), dans laquelle Washington se donnait le droit de lancer une attaque préventive contre la Corée du Nord et les autres «États voyous» tels que l’Iran et l’Irak.

Comme toutes les dictatures, le régime nord-coréen veut survivre. La bombe atomique lui permet donc de réduire le risque d’être attaqué un jour comme l’Irak en 2003.

Cette mise en contexte est essentielle. Elle nous permet aussi de réaliser pourquoi la Corée du Nord ne renoncera jamais à son programme nucléaire.

Aussi, attaquer de manière préventive la Corée du Nord pour détruire ou affaiblir son programme d’armement (comme l’a déjà suggéré le secrétaire d'État américain, Rex Tillerson) ne devrait pas être une option.

Que faire alors?

La plupart des spécialistes affirment qu’il faut endiguer la Corée du Nord, comme les Américains l’ont fait avec l'ex-URSS durant la guerre froide.

Il faut aussi continuer de négocier avec Kim Jong-Un.

Certains analystes affirment qu'il faut aussi lui donner l’assurance que les États-Unis ne tenteront pas de renverser son régime si la Corée du Nord cesse de menacer ses voisins et normalise ses relations diplomatiques.

Les stratégies pour les investisseurs

Dans ce contexte, quelle est la meilleure stratégie pour les investisseurs exposés à la Corée du Sud ou ceux qui songent à le faire ? Nous avons posé la question au gestionnaire de portefeuille Serge G. Pépin, chez BMO Gestion mondiale d’actifs, à Londres.

Il souligne que les investisseurs semblent avoir ignoré les risques géopolitiques. «Depuis la dernière année, soit sur les douze derniers mois, le marché sud-coréen est à la hausse de plus de 34% en dollars canadiens. Impressionnant malgré les tensions géopolitiques entre les États-Unis et la Corée du Nord.»

Serge Pépin affirme qu’il est quand même «assez difficile» pour un investisseur canadien d’investir en Corée du Sud.

Selon lui, l’investisseur peut s’exposer à ce marché avec des fonds négociés en Bourse comme le iShare MSCI South Korea Capped . L’investisseur peut aussi acheter certains titres sud-coréens à la Bourse de New York.

BMO offre aussi le BMO Fonds des marchés en développement dans lequel la Corée du Sud représente 3% des actifs sous gestion.

Dans le pire des scénarios (la Corée du Nord attaque les États-Unis avec un missile nucléaire, ou même son voisin sud-coréen), il va sans dire que les marchés financiers à l’échelle mondiale subiraient une chute assez importante, insiste Serge Pépin. 

Dans ce contexte, les entreprises sud-coréennes réalisant la plupart de leurs revenus à l’étranger pourraient permettre aux investisseurs de limiter les pertes, estime le portefeuilliste de BMO. «En fonction du contexte, encore une fois, détenir des titres qui ont moins d’exposition domestique pourrait être plus défensif pour un investisseur», dit-il.

Trois scénarios sont sur la table

Trois scénarios sont possibles à propos de la Corée du Nord, disent les spécialistes.

1. Une attaque préventive des États-Unis

2. Le maintien du statu quo

3. La normalisation des relations entre Pyongyang et Washington

Scénario #1. Les spécialistes sont formels: une attaque américaine pourrait difficilement détruire les installations nucléaires nord-coréennes.

De plus, cela provoquerait une contre-attaque de la Corée du Nord. Son armée bombarderait Séoul (la capitale sud-coréenne, située à environ 50 kilomètres de la frontière), sans parler des bases américaines en Corée du Sud et au Japon.

On compterait les morts par dizaines de milliers, même en cas d’un conflit avec des armes conventionnelles et chimiques.

Scénario #2. Les tensions entre Pyongyang sont latentes depuis la fin de la guerre de Corée, avec des crises comme en 1969, en 1994 ou 2017. La Corée du Nord et les États-Unis pourraient certes demeurer sur leurs positions respectives.

Mais une telle situation est très risquée, affirmait récemment Brad Glosserman, le directeur du Center for Strategic and International Studies (CSIS) aux États-Unis, en entretien au quotidien australien News.com.

Car, si l’on permet à la Corée du Nord de devenir une puissance atomique à part entière, la Corée du Sud et le Japon pourraient vouloir développer leur propre arsenal nucléaire afin d’assurer leur sécurité et d’être moins dépendants des États-Unis.

Or, cette course à l’armement ne ferait qu’accroître les tensions géopolitiques dans la région.

Scénario #3. C’est de loin la meilleure solution, disent la plupart des analystes. Ultimement, la paix doit être conclue avec la Corée du Nord, et ce, afin de clore officiellement la guerre de Corée, dont les combats ont cessé il y a 64 ans.

Aux yeux de plusieurs spécialistes, il n’y a qu’une véritable solution à la crise géopolitique dans la péninsule coréenne : Washington doit normaliser ses relations avec Pyongyang, tout en acceptant que la Corée du Nord soit une puissance nucléaire.

Pour sa part, le régime nord-coréen doit cesser d’être un facteur de déstabilisation dans la région pour se concentrer sur le développement de son économie, qui en a bien besoin.

Certes, une Corée du Nord nucléaire represente une menace pour les États-Unis. Par contre, c’est une menace beaucoup moins grande que l’URSS durant la guerre froide ou la Chine aujourd’hui, sa vraie puissance rivale.

Bref, endiguer la Corée du Nord, normaliser nos relations avec le régime (sans cautionner pour autant la violence envers le peuple nord-coréen), voire aider le pays à se développer, seraient des stratégies gagnantes à long terme.

Mais ces stratégies requièrent de la patience.

Beaucoup de patience.

 

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand