Commerce en Asie: ne misons pas tout sur la Chine

Publié le 07/12/2019 à 07:40

Commerce en Asie: ne misons pas tout sur la Chine

Publié le 07/12/2019 à 07:40

Le président chinois Xi Jinping et le premier ministre Justin Trudeau lors d’une rencontre du G20 à Osaka au Japon en juin 2019 (Photo : Getty Images)

ANALYSE GÉOPOLITIQUE – À moins d’une surprise de taille, le Canada et la Chine continueront d’avoir des relations tendues dans les prochaines années pour des raisons politiques et de sécurité nationale, ce qui risque de se répercuter sur le commerce. Aussi, même si l’empire du Milieu regorge d’occasions d’affaires, les entreprises canadiennes ont tout intérêt à diversifier davantage leurs marchés en Asie.

Car exporter, c’est un peu comme investir à la Bourse : il ne faut pas tout mettre ses œufs dans le même panier. Or, c’est en grande partie ce que fait le Canada depuis 15 ans en Asie. Il a multiplié par quatre ses expéditions de marchandises en Chine (à 27,7 milliards de dollars canadiens en 2018), tout en limitant celles dans d’autres marchés asiatiques pourtant intéressants, selon Statistique Canada.

Et cela ne tient pas compte des exportations à Hong Kong d’une valeur de 3,9 G$, ce qui fait de ce territoire chinois le 10e marché du Canada pour le commerce extérieur.

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La progression des exportations canadiennes en Chine continentale (sans Hong Kong) a été si rapide que ce pays est devenu en 2012 le deuxième marché d’exportation de nos entreprises après les États-Unis.

Nous y expédions 5% de nos marchandises, mais nos voisins américains reçoivent encore la part du lion à 75%, avec des livraisons de 437,9 G$ en 2018. Par contre, durant cette période de 15 ans, les exportations canadiennes vers d’autres marchés importants de consommateurs en Asie ont augmenté beaucoup moins vite.

Les expéditions en Corée du Sud (notre 6e marché d’exportation) ont été multipliées par 2,5 pour atteindre 5,9 G$, tandis que celles au Japon (notre 4e marché d’exportation) n’ont augmenté que de 50%, pour passer de 8,6 G$ à 13G$.

Certes, les exportations en Inde (notre 9e marché d’exportation) ont quintuplé depuis 15 ans. Par contre, elles ne s’élevaient qu’à 861 millions de dollars en 2004, comparativement à 4,3 G$ aujourd’hui.

Un marché dynamique, mais imprévisible

Bien entendu, avec ses 1,4 milliard d’habitants et une économie qui va croître encore de 6,1% en 2020 (selon les prévisions de l’Ecomomist Intelligence Unit), la Chine demeure un marché de choix pour les entreprises canadiennes.

Quiconque a déjà mis les pieds en Chine sait à quel point il y a une énergie et un dynamisme économique hors du commun dans ce pays.

Des mégalopoles comme Canton (15 millions d’habitants), Shanghai (24 millions) ou Pékin (21,5 millions) sont si grandes qu’une entreprise canadienne peut uniquement miser sur une ville et y brasser de bonnes affaires pendant des années et des années.

Le problème, c’est que la Chine devient un marché de plus en plus complexe et imprévisible en raison des embargos décrétés sur ses importations, souvent en guise de représailles politiques contre d'autres pays.

Le Canada peut en témoigner, avec l'embargo sur le boeuf et le porc canadien (celui sur la viande porcine a été levé en novembre, en raison de la fièvre porcine en Chine qui a décimé le cheptel national).

C’est pourquoi notre relation commerciale avec le géant asiatique s'annonce tumultueuse à long terme, affirment des spécialistes de la Chine.

«La relation risque d'être tendue. Il faut s'attendre à de l'instabilité entre les deux pays et à une relation qui va osciller entre les conflits et la coopération», a récemment déclaré en entrevue à Les Affaires Zhan Su, professeur spécialiste de la Chine et directeur de la chaire Stephen A. Jarisloswky en gestion des affaires internationales à l'Université Laval.

Trois raisons expliquent ces tensions.

#1.L'arrestation au Canada de la cheffe de la direction financière de Huawei, Meng Wanzhou. En décembre 2018, les autorités l'ont interceptée en réponse à une demande d'extradition de la justice américaine, qui l’accuse d’une fraude liée à des contrats que Huawei aurait conclus avec l'Iran, transgressant les sanctions de Washington contre Téhéran. Pékin, qui a arrêté deux citoyens canadiens en Chine par la suite, exige qu’Ottawa la libère. Or, le gouvernement canadien ne peut pas le faire. Car, contrairement à la Chine, le Canada un État de droit où il y a une séparation entre le pouvoir politique et le pouvoir judiciaire. 

#2.La probabilité qu’Ottawa interdise à Huawei de déployer son réseau 5G au pays. Le Canada a trois options : bannir sa nouvelle technologie de réseau au pays, maintenir le statu quo (qui permet déjà à la société chinoise de vendre certains composants à des firmes canadiennes) ou autoriser la 5G de Huawei au Canada. Ottawa peut difficilement donner son feu vert, selon des spécialistes. Washington, qui interdit la 5G chinoise aux États-Unis en raison de craintes liées à la sécurité nationale, menace ses alliés de ne plus partager d’information sensible avec eux s’ils laissent Huawei installer sa 5G sur leur territoire.

#3.La violente crise politique à Hong Kong. Elle crée des tensions diplomatiques entre Ottawa et Pékin, car des dizaines de milliers de citoyens canadiens résident dans l’ancienne colonie britannique rétrocédée à la Chine en 1997, en vertu du principe «d’un pays, deux systèmes» jusqu’à 2047. Or, plusieurs habitants de l’archipel manifestent dans les rues depuis des mois parce qu’ils estiment que Pékin veut intégrer plus rapidement que prévu Hong Kong à la Chine communiste, et ce, pour en faire une ville chinoise comme les autres, sans système démocratique.

Le ton du nouvel ambassadeur chinois au Canada Cong Peiwu, lors de son passage récent devant le Conseil des relations internationales de Montréal (CORIM), exprime d'ailleurs bien le niveau de tension entre les deux pays actuellement, notamment en raison de la crise à Hong Kong.

Il a menacé le Canada de «contre-mesures très fermes» si le Parlement adopte prochainement une motion (à de la demande de deux sénateurs) visant à imposer des sanctions aux fonctionnaires chinois liés à des violations des droits humains à Hong Kong et dans la province du Xinjiang. Dans cette province de l'ouest de la Chine, Pékin est accusé de réprimer des citoyens musulmans -le gouvernement chinois affirme pour sa part que ce sont des terroristes.

«Si cela se produit, ce sera certainement une violation très grave des affaires intérieures chinoises», a déclaré l'ambassadeur Cong en point de presse après son discours devant le CORIM.

«Je pense que cela nuirait gravement à nos relations bilatérales. Nous allons donc certainement prendre des contre-mesures très fermes», a-t-il ajouté.

Les tensions diplomatiques entre Ottawa et Pékin ne signifient pas que les entreprises canadiennes doivent cesser de faire des affaires dans ce pays. Malgré la crise diplomatique, bon nombre d’exportateurs ou d’entreprises fondées par des Canadiens en Chine prospèrent sans problème.

Par contre, comme à la Bourse, mieux veut bien gérer son risque -en l’occurrence, un risque géopolitique- en diversifiant ses marchés.

Pour ce faire, les exportateurs canadiens peuvent notamment s’appuyer sur le Partenariat transpacifique global et progressiste (PTPGP), qui est entré progressivement en vigueur depuis un an. Outre le Canada, cet accord de libre-échange inclut 11 pays, dont le Japon et le Vietnam.

Le Canada a aussi un traité avec la Corée du Sud depuis 2015, et il est en train d’en négocier un avec l’Inde, l’autre géant asiatique.

Bref, les entreprises canadiennes disposent de plusieurs marchés intéressants en Asie.

Elles ne sont donc pas obligées de tout miser (ou presque) sur la Chine, même si ce pays est un immense marché de consommateurs.

Et même si les relations sino-canadiennes se réchauffent dans les prochaines années, une saine diversification des marchés d’exportation du Canada en Asie demeura toujours une bonne stratégie.

 

 

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand