Climat: voulons-nous vraiment éviter le pire?

Publié le 06/07/2019 à 07:00

Climat: voulons-nous vraiment éviter le pire?

Publié le 06/07/2019 à 07:00

(Source photo: 123RF)

ANALYSE GÉOPOLITIQUE – Quand une entreprise risque la faillite, il faut rapidement réduire ses dépenses et augmenter ses revenus. C’est la même chose pour le climat : il faut bouger vite et de manière drastique. Or, nous ne le faisons pas pour sauver Terre inc. de la faillite écologique, car nous nous berçons dans l’illusion qu’une transition en douceur est encore possible.

C’est comme si la direction d’une PME au bord de la faillite, au lieu d’écouter ses comptables et les spécialistes en relance de sociétés, continuait d’augmenter ses dépenses malgré des efforts timides, tout en ne mettant pas les bouchées doubles pour accroître ses revenus.

Bref, c’est business as usual ou presque. Cette entreprise fonce toujours dans un mur, même si elle le percutera peut-être un peu moins vite que prévu. Mais le mur est là, à l’horizon, sur sa trajectoire, de manière inéluctable.

Eh bien, la direction de cette entreprise, c’est la majorité des acteurs de nos sociétés.

Des politiciens, des gens d’affaires, des financiers et des citoyens qui sont certes prêts à changer certains comportements collectifs et individuels pour réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES), mais qui résistent à l’idée de révolutionner le mode de vie de nos sociétés.

Quant aux comptables et aux spécialistes en relance d’entreprises, ce sont les scientifiques, les environnementalistes, de même qu’une minorité de politiciens, de gens d’affaires, de financiers et de citoyens, qui veulent créer une vraie économie verte.

Une économie faible en carbone, qui consomme les ressources naturelles en fonction de leur cycle de renouvellement réel, sans parler de la protection de la biodiversité en raison des services écologiques inestimables comme la production d’eau et d’oxygène.

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Bien entendu, contrairement à une entreprise, la Terre ne peut pas faire faillite.

Par contre, la crise écologique que nous vivons menace la qualité de vie sur Terre et, ultimement, la civilisation telle que nous la connaissons.

L’humanité ne disparaîtra pas, mais ses conditions de vie se détérioreront, disent les spécialistes.

On parle ici de pénuries de nourriture et d'eau, de déclenchements d'épidémies, de destructions d'habitats, mais aussi de migrations massives, de luttes pour les ressources et d'instabilité géopolitique (conflits entre États, guerres civiles), selon le ministère américain de la Défense (Department of Defense: FY 2014 Climate Change Adaptation Roadmap).

Les vagues de chaleur se multiplieront, comme celle qui a récemment frappé l’Europe.

D’un point de vue strictement économique et financier, faire des affaires ou investir dans un tel environnement sera plus difficile, risqué et coûteux pour les entreprises. Les dépenses des gouvernements exploseront en raison des catastrophes naturelles ou de l’impact sur la santé.

Dans ce contexte, on s’explique mal la résistance dans nos sociétés à une transformation en profondeur de l’économie et de notre mode de vie afin de limiter le réchauffement climatique et de réduire les risques que les pires scénarios se réalisent.

Ignorance, insouciance, ou déni de la réalité devant le défi collectif à relever?

Il y a certes les climatosceptiques ou ceux qui affirment que le climat de la Terre a toujours changé au long de son histoire, à commencer par la dernière période glaciaire, dont l’apogée a été atteint il y a environ 22 000 ans.

Par contre, le présent changement climatique est dû à l’activité humaine. De plus, il se produit sur une période de temps très courte dans l’histoire de la Terre –il a commencé au début de l’ère industrielle au milieu du 18e siècle.

Depuis cette époque, la Terre s’est réchauffée de 1 degré Celcius. Et au-delà d’une hausse de 2 degrés, le climat s’emballera et le réchauffement s’accélérera en raison de la fonte du pergélisol, un sol glacé en permanence.

Le pergélisol est constitué de matières organiques et de minéraux gelés, et recouvre le cinquième de la surface de la Terre. Or, lorsqu’il fond, il relâche dans l’atmosphère d’immenses quantités de méthane et de dioxyde de carbone qui accélèrent encore le réchauffement.

C’est pourquoi l’humanité doit à tout prix limiter le réchauffement à moins 2 degrés Celcius -dans le meilleur des mondes 1,5 degré- par rapport au niveau de l’ère préindustrielle.

Un vrai plan de relance

Et le temps presse.

Vraiment.

Selon le plus récent rapport du Groupe d’experts sur l’évolution du climat (GIEC) publié en octobre, nous avons en fait jusqu’en 2030 pour stabiliser et commencer à réduire les émissions de GES dans le monde.

Il nous reste donc 11 ans.

On peut encore y arriver, mais la barre très haute.

Ainsi, pour relever ce défi, l’humanité doit réduire de 45% ses émissions de GES d’ici 2030 et afficher une neutralité carbone d’ici 2050 (cesser d’émettre dans l’atmosphère plus de carbone qu’on peut en retirer) pour limiter le réchauffement à 1,5 degré Celcius.

Le GIEC propose un scénario très ambitieux pour y arriver :

  • Adopter un régime énergétique
  • Éliminer le charbon
  • Retirer la moitié des voitures des routes
  • Construire 38 réacteurs nucléaires
  • Installer 1,5 million d'éoliennes
  • Retirer le tiers des vaches de la planète

Sentez-vous vraiment autour de vous un virage s’amorcer pour réaliser l’ensemble de ces objectifs? L’actualité nous permet d’en douter.

À la mi-juin, l’Organisation de coopération et de développements économiques (OCDE) publiait une analyse dans laquelle elle déplorait une relance du soutien aux combustibles fossiles dans le monde, et ce, après trois années de tendances à la baisse entre 2013 et 2016.

Au Canada, le gouvernement canadien a acquis en 2018 l’oléoduc Trans Mountain, et a récemment donné le feu vert aux travaux d’agrandissement de l’infrastructure. Or, la science est formelle : il faut réduire rapidement les émissions de GES.

Aussi, dans ce contexte, les gouvernements devraient cesser d’autoriser tout nouveau projet de production.

La gouvernance même de la lutte aux changements climatiques est un enjeu crucial, car les émissions de GES dans le monde sont reparties à la hausse en 2017, après trois années de stagnation, souligne le quotidien Le Monde.

Aussi, selon certains spécialistes, il faut carrément retirer aux politiciens la gestion du climat pour la confier à des organismes publics indépendants qui ne sont pas soumis à la pression populaire et aux cycles électoraux.

Le meilleur exemple sont les banques centrales comme la Banque du Canada.

Ce sont elles qui ont la responsabilité d’articuler la politique monétaire (incluant la stabilité des prix) et non pas les gouvernements, car ils pourraient se servir de la planche à billets pour financier leurs dépenses.

Les gouvernements pourraient nommer les dirigeants de ces agences indépendantes du climat -comme ils le font pour ceux des banques centrales.

En revanche, dans chacun des pays, ces agences fixeraient des cibles de réduction de GES sérieuses pour réduire les émissions de 45% d’ici 2030, en plus de s’assurer qu’elles soient respectées malgré la grogne populaire.

D’aucuns diront que cette mesure est radicale.

Mais avons-nous vraiment le choix, alors qu’il nous reste une fenêtre d’à peine 11 ans pour éviter le pire aux générations futures?

Du reste, ce n’est pas la première fois que l’humanité fait face à un défi collectif immense.

Durant la Deuxième Guerre mondiale, des démocraties et des régimes non démocratiques se sont alliés pour combattre les forces de l’Axe (l’Allemagne nazie, l’Italie fasciste et le Japon impérial) qui menaçaient d’instaurer un nouvel ordre mondial.

Or, les changements climatiques menacent aussi l’ordre mondial, et bien plus encore.

Durant la Deuxième Guerre mondiale, des pays comme le Canada ont transformé leur économie pour la rendre au service de l’effort de guerre afin de vaincre les forces de l’Axe.

Nous pouvons faire la même chose avec le climat, c’est-à-dire un «effort de guerre» qui mobiliserait toutes les forces vives de la société avec un objectif commun: limiter le réchauffement climatique à moins de 2 degrés Celcius, coûte que coûte.

Mais le voulons-nous vraiment ou préférons-nous le business as usual?

 

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand