Chine: ne mettons pas tous nos oeufs dans le même panier


Édition du 14 Avril 2021

Chine: ne mettons pas tous nos oeufs dans le même panier


Édition du 14 Avril 2021

Shanghai

Un autoroute à Shanghai, en Chine (Photo: Denys Nevozhai pour Unsplash)

ZOOM SUR LE MONDE. La Chine est devenue le deuxième partenaire commercial du Canada, limitant la liberté d’Ottawa de critiquer cette dictature. Alors que Pékin affirme sa puissance au détriment des droits de la personne (persécution des musulmans ouïghours, répression à Hong Kong, emprisonnement de Canadiens), le Canada doit réduire sa dépendance à l’égard de ce pays en diversifiant ses marchés en Asie.

Ari Van Assche, professeur titulaire à HEC Montréal et spécialiste en commerce international, estime que les occasions d’affaires sont particulièrement intéressantes pour nos entreprises dans des marchés comme le Vietnam, l’Indonésie et l’Inde (notamment dans les services). «Ce sont des pays populeux qui affichent une forte croissance économique depuis des années», dit-il. Des pays industrialisés comme le Japon et la Corée du Sud — avec qui le Canada a des accords de libre-échange — sont aussi des marchés intéressants, même s’ils sont matures, souligne ce spécialiste.

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En 2020, les échanges de marchandises entre le Canada et la Chine ont totalisé 101,7 milliards de dollars canadiens (G$), selon Statistique Canada. Certes, les États-Unis demeurent — et de loin — notre principal partenaire commercial, avec des échanges qui ont totalisé 647,9 G$l’an dernier. En revanche, la Chine communiste a pris une place très importante dans notre commerce extérieur.

Entre 2006 et 2020, les exportations canadiennes vers la Chine ont été multipliées par trois, pour atteindre 25,2 G$. Durant la même période, les expéditions de nos entreprises dans le monde ont augmenté de 19 %, et de seulement 7 % aux États-Unis. C’est dire la croissance fulgurante de notre commerce avec le géant asiatique. Une croissance qui aussi s’est accompagnée de relations politiques cordiales entre Ottawa et Pékin durant des années.

 

Les deux Michael

Or, les choses ont changé radicalement en 2018 depuis l’arrestation de la directrice financière de Huawei, Meng Wanzhou, par les autorités canadiennes . Elle est toujours assignée à résidence au Canada. Les Américains veulent l’extrader afin qu’elle réponde à des accusations de fraude liées à des contrats que Huawei aurait conclus avec l’Iran. En guise de représailles, la Chine a arrêté deux Canadiens, l’ancien diplomate Michael Kovrig et l’homme d’affaires Michael Spavo.

En mars dernier, les autorités chinoises ont jugé les deux Canadiens pour espionnage lors de procès séparés à huis clos. Ils risquent maintenant la prison à vie.

En 2019, les Chinois avaient aussi restreint les importations de canola, de boeuf et de porc canadiens. Les relations sont à ce point tendues entre les deux pays qu’Ottawa a même renoncé, en septembre 2020, à conclure un accord de libre-échange avec la Chine. Bref, c’est la guerre diplomatique.

Pour autant, le Canada n’a pas le choix. Étant donné la place qu’elle occupe dans le monde, «il faut à parler à la Chine», affirme Guy Saint-Jacques, ex-ambassadeur canadien en Chine de 2012 à 2016, et aujourd’hui fellow à l’Institut d’études internationales de Montréal.

À ses yeux, le Canada doit toutefois se détacher graduellement de ce pays qui a montré son «côté sombre»ces dernières années.

À Ottawa, la perception change aussi à l’égard de la Chine. On parle de plus en plus du géant asiatique comme d’un «compétiteur stratégique»du Canada.

Teck Resources a choisi l’Inde Des entreprises canadiennes ont aussi compris la nécessité de limiter leur exposition au marché chinois si jamais le régime décidait de s’en prendre à elles pour des raisons politiques, souligne Guy Saint-Jacques, en donnant l’exemple de Teck Resources, un producteur canadien d’acier, de charbon, de cuivre et de zinc.

En 2019, cette société de la Colombie-Britannique a indiqué qu’elle a réduit ses ventes de charbon sidérurgique en Chine pour les augmenter en Inde, et ce, afin de réduire l’incertitude entourant les importations chinoises.

Ces statistiques sont éloquentes. Teck Resources a exporté pour près de 8 millions de tonnes de charbon en Chine en 2013, comparativement à moins de 3 millions en 2018. L’Inde surpasse désormais le marché chinois, les exportations vers ce pays comptant pour plus de 4 millions de tonnes en 2019.

Lors d’un appel avec des analystes en 2019, Réal Foley, vice-président au marketing, a expliqué que l’entreprise a pris la décision de réduire son exposition au marché chinois à la suite des difficultés (retards au chapitre de la manutention dans les ports de Chine) vécues par les producteurs australiens de charbon.

Selon la chaîne d’affaires canadienne BNN Bloomberg, on ne sait pas quelle est la cause exacte des contrôles accrus en Chine, qui ont contribué à réduire de 25% les importations de charbon en provenance d’Australie en février 2019. Cela dit, des analystes estiment que des motifs politiques pourraient expliquer ces retards, alors que les tensions étaient vives entre Pékin et Canberra.

Les mésaventures du Canada et de l’Australie avec la Chine font réfléchir.

En effet, le commerce international, c’est un peu comme investir à la Bourse: il ne faut jamais mettre tous ses oeufs dans le même panier. La diversification est une règle d’or pour réduire les risques financiers.

La même logique devrait désormais s’appliquer à l’égard de la Chine, mais pour réduire le risque géopolitique du Canada et de ses entreprises.

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand