Tension en Asie-Pacifique: Chine 1, États-Unis 0

Publié le 10/12/2016 à 08:30

Tension en Asie-Pacifique: Chine 1, États-Unis 0

Publié le 10/12/2016 à 08:30

ANALYSE GÉOPOLITIQUE - Retenez bien ces quatre lettres R-C-E-P (Regional Comprehensive Economic Partnership), car vous en entendrez beaucoup parler dans les prochaines années. Plus qu'un accord économique, le RCEP est avant tout le projet politique de la Chine afin d'asseoir son hégémonie en Asie-Pacifique et d'y marginaliser l'influence américaine.

Et paradoxalement, l'élection de Donald Trump vient de donner un second souffle à ce projet de la Chine. Quelques jours après sa victoire, Donald Trump a confirmé que les États-Unis rejetteraient le Partenariat transpacifique (TTP, en anglais), un accord de libre-échange signé en 2015 par 12 pays riverains du Pacifique, mais qui n'est encore en vigueur.

Durant la campagne électorale, le candidat républicain avait dénoncé cet accord auquel participent les États-Unis, le Canada et des pays asiatiques comme le Japon, le Vietnam et la Malaisie - la Chine était exclue.

Le TPP est donc lui aussi un projet hautement politique.

Pièce maîtresse du pivot américain dans le Pacifique, ce projet de l'administration Obama visait à contenir la Chine et à assurer l'hégémonie américaine en Asie-Pacifique.

Or, en rejetant le TPP, Donald Trump a tué ce projet dans l'oeuf, affirment la plupart des analystes. Car sans les États-Unis (60% du PIB des 12 pays impliqués), l'accord n'a plus vraiment de sens, a déclaré avec justesse le premier ministre japonais, Shinzo Abe.

Donald Trump a donc créé un vacuum de leadership politique en Asie-Pacifique que la Chine s'est rapidement empressée de combler, quelques jours après la présidentielle américaine.

Ainsi, avec la mort clinique du TPP, Pékin fait plus que jamais la promotion du RCEP afin que ce projet devienne LA zone de libre-échange en Asie-Pacifique.

Une zone au sein de laquelle la Chine sera la puissance dominante - comme les États-Unis avec le TPP.

À ce jour, le RCEP comprend 16 pays, dont l'Inde et la Chine, les deux géants asiatiques. De ce nombre, sept États font aussi partie du TPP, soit l'Australie, la Nouvelle-Zélande, le Japon, Brunéi, le Vietnam, la Malaisie et Singapour.

La carte suivante illustre bien les acteurs en présence.

Si la Chine réussit à créer cette zone de libre-échange, la deuxième économie de la planète aura remporté une bataille géopolitique majeure contre les États-Unis en Asie-Pacifique.

Au niveau économique, le RCEP regroupera alors 45% de la population mondiale et 40% du commerce international, d'après le Centre for Research on Globalization.

Pour sa part, le TPP abritait seulement 11% de la population mondiale et 26% du commerce international, selon le ministère des Affaires étrangères et du Commerce de l'Australie.

La création du RCEP aura aussi un impact majeur sur les règles et les lois en vigueur dans la plupart des pas de l'Asie-Pacifique, le centre de gravité de l'économie mondiale.

Par exemple, le TPP imposait aux 12 pays membres des normes environnementales et en matière de droit du travail.

Bref, cet accord établissait des règles destinées à devenir des standards en Asie-Paficique, d'autant si d'autres pays avaient joint plus tard le TPP, comme l'Inde ou l'Indonésie.

Or, le RCEP, lui, n'impose pas de telles normes, souligne l'Agence France-Presse.

Les règles communes sont minimales et se limitent essentiellement au commerce (tarifs, barrières non tarifaires). L'ONG Asia Pacific Research Network estime d'ailleurs que le RCEP représente «une course vers le bas en matière des droits du travail».

L'Asie aux Asiatiques

Au niveau strictement politique, le rejet du TTP représente aussi un changement de cap majeur de la politique étrangère des États-Unis.

Dans un entretien au Nikkei Asian Review, un média japonais, Tom Repinsky, spécialiste de l'Asie du Sud-Est à l'Université Cornell aux États-Unis, a bien résumé l'enjeu fondamental.

«Pour l'instant, on peut dire que la présidence de Trump va marquer la fin du pivot américain vers l'Asie en tant que projet affirmé de la politique étrangère américaine.»

Cette fin du pivot américain survient alors que Pékin a commencé à jouer une longue partie d'échecs géopolitique en Asie, soulignent les spécialistes.

En fait, depuis quelques années, la Chine conteste graduellement l'ordre géopolitique instauré par les États-Unis dans le Pacifique après la défaite du Japon, en 1945.

Dans une déclaration récente qui a fait grand bruit, le président chinois Xi Jinping a même fait allusion au concept d'une «Asie pour les Asiatiques».

Cela rappelle la fameuse doctrine Monroe (l'Amérique aux Américains).

Cette doctrine, qui dénonçait toutes interventions des Européens dans les affaires des Amériques, a guidé la politique étrangère des États-Unis au 19e siècle et au début du 20e siècle.

Cette partie d'échecs pour le contrôle de l'Asie-Pacifique n'est pas sans risque pour la paix mondiale. Car, si la future administration Trump ne fait plus du pivot américain en Asie-Pacifique une priorité, les États-Unis ont encore une importante présence militaire (des bases, par exemple) dans plusieurs pays de la région tels que le Japon et la Corée du Sud.

C'est l'héritage direct de l'ordre géopolitique mis en place par les Américains après la Deuxième Guerre mondiale et la Guerre de Corée (1950-1953).

Le hic, c'est qu'au niveau militaire, rien ne semble indiquer, du moins pour l'instant, que Washington réduira ses troupes en Asie-Pacifique.

Dans ce contexte, deux questions s'imposent:

- la Chine peut-elle accepter le maintien de l'ordre géopolitique de l'après-guerre, alors qu'elle est devenue une puissance économique, politique et militaire?

- les États-Unis peuvent-ils accepter de quitter graduellement l'Asie-Pacifique, comme l'ont fait les puissances européennes dans les Amériques, au 19e et au début du 20e siècle?

Vous conviendrez qu'il est difficile de répondre par l'affirmative à ces deux questions.

Les États-Unis et la Chine peuvent-ils éviter le «piège de Thucydide»

Pour l'instant, Pékin et Washington ne veulent pas vraiment se faire la guerre, s'entendent pour dire la plupart des spécialistes en relations internationales. Par contre, pourront-ils du reste l'éviter à long terme?

Dans l'histoire, on observe que la montée d'une nouvelle puissance a causé la plupart du temps une guerre. Pourquoi? Parce que l'arrivée d'un nouveau joueur sur l'échiquier géopolitique entraîne une résistance des puissances dominatrices.

Dans un essai publié dans The Atlantic en 2015, Graham Allison, politologue à l'Université Harvard, affirme que dans les 12 des 16 cas où une puissante montante s'est frottée à la puissance dominante dans l'histoire, le résultat a été sanglant.

Les États-Unis et la Chine sont-ils condamnés à se faire la guerre? Pas nécessairement, car les Américains et les Russes ont pu l'éviter durant la guerre froide (de 1945 à 1990).

Peut-on assister un jour à la création d'un nouvel ordre géopolitique en Asie-Pacifique, où la Pax Sinica dominerait? C'est possible, disent les spécialistes.

La Chine vient du reste de gagner une première bataille pour le contrôle de la région.

Et il y a en aura d'autres.

Reste à voir comment réagiront les États-Unis la prochaine fois.

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand