Aluminium vert: le Québec perdra bientôt son avantage

Publié le 20/01/2023 à 07:30

Aluminium vert: le Québec perdra bientôt son avantage

Publié le 20/01/2023 à 07:30

Le Canada est le quatrième pays producteur d’aluminium au monde (3,1 millions de tonnes), après la Chine (39 millions de tonnes), l’Inde (3,9 millions de tonnes) et la Russie (3,7 millions de tonnes) (photo: 123RF)

Le Québec perdra «d’ici 5 à 7 ans» son avantage concurrentiel dans la production d’aluminium vert (faible en carbone) avec de l’hydroélectricité, selon l'Association de l'aluminium du Canada (AAC). Des pays comme les Émirats arabes unis et la Chine ont commencé ou commenceront bientôt à produire de l’aluminium vert à partir de sources d’énergie renouvelable.

En entrevue avec Les Affaires, Jean Simard, président et chef de la direction de l’AAC (qui représente Alcoa, Alouette et Rio Tinto), affirme que l’industrie canadienne – concentrée au Québec – perdra alors un «avantage considérable» pour se démarquer, surtout sur le marché américain.

Les alumineries en Islande et en Norvège, qui carburent elles aussi aux énergies renouvelables comme au Québec, perdront également cet avantage concurrentiel.

«J’estime qu’il reste encore de 5 à 7 ans au Canada pour être en avant de la parade dans le monde avec l’Islande et la Norvège», souligne Jean Simard.

Le Canada est le quatrième pays producteur d’aluminium au monde (3,1 millions de tonnes), après la Chine (39 millions de tonnes), l’Inde (3,9 millions de tonnes) et la Russie (3,7 millions de tonnes), selon Aluminium Investing News.

La Norvège (1,4 million de tonnes) et l’Islande (880 000 tonnes) figurent respectivement au 8e et au 10e rang, tandis que les Émirats arabes unis arrivent au 6e rang (2,6 millions de tonnes).

Contrairement aux alumineries canadiennes, islandaises et norvégiennes, la plupart des alumineries ailleurs dans le monde consomment des sources d’énergie fossiles, soit du gaz naturel et du charbon.

Or, dans un monde qui se décarbone, produire de l’aluminium vert procure un avantage concurrentiel. De grands consommateurs industriels, notamment dans le secteur automobile, demandent ce métal, même s’il peut coûter un peu plus cher.

Par conséquent, les producteurs situés au Canada, en Islande et en Norvège bénéficient d’un positionnement de marché enviable.

Or, cet avantage est appelé à disparaître à moyen terme en raison de la nouvelle production d’aluminium vert aux Émirats arabes unis et en Chine, selon Jean Simard.

 

Énergie solaire aux Émirats arabes unis

Aux Émirats arabes unis, le producteur Emirates Global Aluminium (EGA) a déjà commencé à produire de l’aluminium plus vert, et ce, grâce à l’énergie solaire.

«L’entreprise en a produit 60 000 tonnes. Ce sont des petites quantités et c’est du branding. Néanmoins, c’est le début de quelque chose», insiste Jean Simard.

EGA a d’ailleurs baptisé cet aluminium vert CelestiAL.

L'énergie solaire consommée par le producteur est fournie par la Dubai Electricity and Water Authority (DEWA). Elle exploite le parc solaire Mohammed bin Rashid Al Maktoum, situé dans le désert à l'extérieur de Dubaï.

Actuellement, ce parc solaire dispose d’une puissance installée de 1 013 mégawatts, mais elle est appelée à augmenter. DEWA est en train d’y installer 1 850 mégawatts supplémentaires.

Et ce n’est pas terminé.

À terme, la puissance installée atteindra 5 000 MW d'ici 2030, selon le producteur d’aluminium.

 

Alumineries chinoises à l'hydroélectricité

En Chine, l’industrie de l’aluminium – l’une de plus polluantes au monde avec celle de l’Inde – est en train de prendre un virage plus vert en délaissant le charbon au profit de l’hydroélectricité, explique Jean Simard.

China Hongqiao Group – le deuxième plus grand producteur d’aluminium au monde – planifie de déplacer la production de 2 millions de tonnes d’aluminium dans le sud de la Chine, dans la province de Yunnan, où on retrouve des sources d’hydroélectricité.

 

En 2022, China Hongqiao Group s’est dotée d’une capacité 850 000 tonnes carburant à l'hydroélectricité dans le Yunnan. (Photo: 123RF)

Cette province borde la Birmanie, le Laos et le Vietnam.

Actuellement, ses activités sont concentrées dans la province du Shandong, dans le nord-est de la Chine, au nord de la ville de Shanghai.

En 2022, China Hongqiao Group s’est dotée d’une capacité 850 000 tonnes carburant à l'hydroélectricité dans le Yunnan, selon le magazine Mining.com. Et, d’ici la fin de 2023, elle y disposera d'une capacité totale de 2,03 millions de tonnes.

À terme, China Hongqiao Group souhaite transférer 60% de sa production d’aluminium en Chine dans le Yunnan – elle s’élève actuellement 6,46 millions de tonnes.

 

La contre-attaque du Canada

Malgré la perte à venir de cet avantage concurrentiel, les producteurs d’aluminium canadiens misent sur l’innovation pour se démarquer à nouveau, à commencer par le nouveau procédé Élysis.

«C’est un procédé sans émission de gaz à effet de serre», explique Jean Simard.

À terme, la production d’aluminium au Québec sera donc totalement verte. Car, même si les alumineries québécoises consomment de l’hydroélectricité, elles émettent toujours des gaz à effet de serre en raison de leur procédé industriel.

Au Québec, la production d’une tonne d’aluminium émet l’équivalent de deux tonnes de GES. Or, le procédé Élysis permettra d’éliminer les émissions.

Le producteur Rio Tinto a commencé à tester ce procédé au Québec, mais à un stade expérimental.

«Une commercialisation progressive de la technologie commencera à partir de 2024, et avec du métal chaud en 2026», précise Jean Simard.

À long terme, d’autres alumineries dans le monde utiliseront aussi sans doute cette technologie ou un autre procédé sans émission, de sorte que l’industrie canadienne pourrait perdre un jour cet avantage concurrentiel.

L’AAC n’a pas dit son dernier mot.

Elle planche déjà sur un autre projet afin de bien positionner l’aluminium canadien sur les marchés mondiaux. L'objectif est d'aller au-delà de l’empreinte environnementale (sources d’énergie renouvelable et procédé sans émission), explique Jean Simard.

«On veut montrer que nous avons une production responsable, c’est-à-dire qui respecte les droits de la personne, qui collabore avec la collectivité, sans parler de la gestion des matières résiduelles», dit-il.

La nuance est importante.

Et le patron de l’AAC fait le pari que le marché et les consommateurs accorderont de plus d’importance à ce critère dans les années et les décennies à venir.

De l'aluminium produit avec de l’énergie renouvelable et un procédé industriel sans émission dans un pays qui ne respecte pas les droits de la personne peut-il être considéré comme de l’aluminium s’appuyant sur les principes du développement durable?

 

 

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand

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