Se transformer, c'est aussi s'auto-détruire

Publié le 26/02/2018 à 14:18

Se transformer, c'est aussi s'auto-détruire

Publié le 26/02/2018 à 14:18

La quasi-totalité des entreprises et organisations aujourd’hui se transforment, sous l’impulsion de la concurrence, de leur clientèle, ou simplement par instinct.

Beaucoup mettent en place des cellules d’innovation, des laboratoires, ou encore créent des moments de type bootcamp, hackathon ou retraites créatives. Tapez n’importe lequel de ces mots dans Google, et vous en trouverez d’innombrables exemples dans votre ville, votre région, votre pays.

Toutes ces activités créatives sont, bien évidemment, nécessaires. Elles sont, de surcroît, très populaires.

Ce qui est beaucoup moins populaire, chez les entrepreneurs et dirigeants, est la nécessité de mettre fin à certaines activités rentables, de détruire un modèle d’affaires qui fonctionne ou d’investir dans des activités où ils sont moins bons et moins productifs dans l’immédiat.

C’est pourtant essentiellement l’argument que faisait Clayton Christensen en 1997: pour arriver à transformer les entreprises, il faut investir durablement dans une panoplie d’activités moins rentables que le business as usual. Christensen montre que, pendant des décennies, chaque nouvelle génération de disques durs – dont la capacité croissait à mesure que l’objet rétrécissait – était marquée par la faillite de la quasi-totalité des entreprises existantes, et leur remplacement par tout un écosystème de nouveaux joueurs.

De manière très concrète, cela signifie que si aujourd’hui votre activité principale vous rapporte 2$ pour chaque dollar investi, vous devez anticiper l’avenir en investissant dans de nouvelles activités qui vous rapporteront 50 sous. Passer d’un produit rentable à un produit déficitaire par choix, voilà qui relève d’une logique a priori bien singulière.

Pourtant, les effets d’apprentissage font en sorte que ce nouvel investissement dans une technologie dite d’avenir permettra de prendre de l’avance, de sorte que quand le marché sera «prêt», l’entreprise le sera aussi.

D’où la notion, toujours aussi cruciale au succès des projets d’innovation, de timing. Le hasard sourit généralement aux esprits préparés.

Trop lent, trop gros, trop tard

Quand on me questionne ces jours-ci au sujet des cas de Toy’s R Us, de Sears, d’HMV, de Jacob ou de Target, je ne peux m’empêcher de constater des modèles qui ont peiné à évoluer, mais surtout à s’auto-détruire assez rapidement. La difficulté principale de ces entreprises du commerce de détail face aux concurrents numériques repose souvent sur cette incapacité de rompre avec le passé: ils tentent de survivre avec des modèles de coûts fixes élevés et de détention des actifs et des stocks, contre des joueurs aux coûts variables ne possédant pratiquement rien.

Dans l’électronique où l’obsolescence des appareils fait partie de la dynamique économique, plusieurs s’interrogent sur ce qui viendra après le téléphone intelligent. Dans ce domaine, l’absence d’interfaces et d’intermédiaires se traduira certainement de nombreuses manières: commande vocale, réalité augmentée, modèles prédictifs, intelligence artificielle, intégration à d’autres formes de mobilité dont la voiture. Avec un peu de chance, le Québec jouera d’ailleurs un rôle de leader dans plusieurs de ces secteurs. Cupertino, Mountain View, Montréal.  

Contenus et contenants menacés

L’avènement du «no interface» menace les fabricants d’écrans et ceux dont le modèle repose exclusivement sur des contenus à plats, sur tablette ou en d’autres formats. Cela implique qu’Apple et Samsung, mais aussi les médias et publicitaires commencent à anticiper leur déclin, ou du moins, celui de leurs lignes de produit actuelles. Si vous croyez que ces secteurs sont en crise, attendez, vous n’avez encore rien vu!

À une époque où beaucoup d’entreprises opèrent à flux tendus, avec des marges relativement serrées, développer une capacité d’innovation ordinaire –c’est-à-dire qui ne relève pas d’une équipe ou de moments dotés de moyens extraordinaires– peut s’avérer particulièrement difficile.

Dans ce contexte, le développement d’une capacité d’auto-destruction est un avantage stratégique et concurrentiel de premier plan pour toutes les organisations petites et grandes.

Et vous, quand est-ce la dernière fois que vous avez détruit quelque chose?

 

À propos de ce blogue

Associé, Groupe SAGE Consulting, Francis Gosselin est docteur en économie et expert en formation exécutive. Il a enseigné et animé des séminaires en Europe, en Amérique du Nord et en Asie. Son sujet : l’économie de l’innovation. Dans ce blogue, il raconte comment les technologies numériques façonnent et transforment nos organisations et leurs dirigeants.

Francis Gosselin