Bitcoin, le pari perdu

Publié le 16/05/2019 à 13:48

Bitcoin, le pari perdu

Publié le 16/05/2019 à 13:48

Des bitcoins.

(Photo: 123rf.com)

BLOGUE INVITÉ. En 2014, le célèbre investisseur Ben Horowitz a accepté, sur les ondes de l’émission Planet Money à NPR, un pari sur l’utilisation future de la monnaie virtuelle Bitcoin. Son rival: le journaliste financier Felix Salmon, qui pariait que la volatilité de la cryptomonnaie en ferait un outil transactionnel improbable.

L’objet du pari: une paire de chaussettes en laine d’alpaga – mascotte officielle du Bitcoin.

Cinq ans plus tard, Horowitz a dû admettre sa défaite et concéder que le Bitcoin n'était pas utilisé fréquemment pour effectuer des transactions. L’épisode a été très largement partagé, car Horowitz n’a pas l’habitude de se tromper.

Le Bitcoin, dans les faits, n’a pas encore réussi à s’installer comme instrument transactionnel. Selon une étude du Global Blockchain Council, environ 5% de la population américaine détient des Bitcoins. Et une fraction des propriétaires de Bitcoins s’en servent vraiment. À quoi bon détenir une cryptomonnaie comme fin en soi? Question épineuse.

Le Bitcoin comme actif

On a beaucoup parlé des Bitcoins ces dernières années, et plus particulièrement ces derniers mois. La forte spéculation qui a alimenté cet instrument numérique, bien qu’il soit toujours difficile de dire sur quelle base repose sa valeur, a attiré de nombreux acteurs économiques à anticiper une hausse continue de sa valeur. Alors que certains lui prédisent une valeur future de 100 000$US, l’économiste et professeur à Harvard Kenneth Rogoff, est plus conservateur, et considère que le juste prix est probablement autour de 100$US.

Cela ne signifie pas, écrit-il, que cette monnaie ne vaut rien. Mais comme sa valorisation ne repose sur aucune valeur sous-jacente (contrairement à l’or, par exemple, qui reste une matière première utilisable), elle peut dévier infiniment d’une valeur objective. Sa valorisation est totalement arbitraire.

Rappelons à cet effet qu’après un pic à 20 000$US en décembre 2017, la valeur de Bitcoin vit une lente agonie depuis. En novembre dernier, sa valeur s’est à nouveau divisée de moitié, passant de 6 000 à 3 000$US en quelques jours. Malgré la remontée des derniers jours, Internet regorge d’histoires d’horreur d’investisseurs peu sophistiqués ayant perdu des sommes importantes – certains toutes leurs économies – sur la base de cet actif.

Le Bitcoin comme monnaie

Le pari d’Horowitz et Salmon, toutefois, ne portait pas explicitement sur la capitalisation du Bitcoin, ni sur sa valeur ou son taux de change. En effet, une partie de la valeur projetée du Bitcoin – et c’est l’essence du pari pris par Horowitz et Salmon – est fondé sur la possibilité que cette monnaie virtuelle serve un jour à négocier des biens et services au quotidien.

Café, téléphone mobile, impôts? Pourquoi pas.

Mais rien de tout cela n’est survenu. Le Bitcoin n’est toujours pas, en 2019, un médium d’échange reconnu.

Plusieurs raisons expliquent ce désintérêt, mais de manière très simple, le Bitcoin n’a pas, aujourd’hui, la capacité technique de remplacer les moyens de paiement traditionnels.

À titre de simple comparaison, le réseau de Visa traite aujourd’hui environ 1700 transactions par seconde. Le Bitcoin, 4.6... et il s’agit d’un maximum. Comme l’écrit l’expert de Bitcoin Kenny Li, le passage à l’échelle de la monnaie numérique est très complexe, et ne risque pas de survenir sans mettre en péril les fondements mêmes du Bitcoin.

Surévalué et sous-utilisé

En fait, par-delà la limitation technologique, l’incapacité du Bitcoin à s’implanter comme moyen de paiement est un problème de diffusion de l’innovation relativement classique: vous ne payez pas votre épicerie avec des Bitcoins parce que votre épicier ne l’accepte pas, et votre épicier ne l’accepte pas parce que personne ne paie avec des Bitcoins.

Cet effet, que les économistes appellent externalité de réseau, n’a pas été considéré par les partisans du Bitcoin comme Horowitz. Ce même phénomène s’applique à des technologies courantes comme le téléphone ou le transport en commun: il n’y a aucun intérêt à être le seul propriétaire d’un téléphone (il faut être deux!), comme il n’y a aucun intérêt à offrir un service de métro pour un seul usager. Le nombre d’usagers définit la valeur inhérente du système: plus il y a d’usagers, plus le système a de valeur inhérente. 

Aujourd’hui, Bitcoin n’est effectivement utilisé que par une petite poignée d’enthousiastes. Sa volatilité n’aide pas, ni sa réputation comme instrument de transactions occultes, facilitant les échanges d’armes, de drogues et de matériel de contrebande.

Ben Horowitz ne se trompe pas souvent. Sur les ondes de NPR le 1er février dernier, l’investisseur a donc accepté de doubler la mise, pariant que l’usage courant des monnaies virtuelles dépasserait le seuil des 10% dans les 5 prochaines années.

C’est donc un rendez-vous, en 2024!

À propos de ce blogue

Associé, Groupe SAGE Consulting, Francis Gosselin est docteur en économie et expert en formation exécutive. Il a enseigné et animé des séminaires en Europe, en Amérique du Nord et en Asie. Son sujet : l’économie de l’innovation. Dans ce blogue, il raconte comment les technologies numériques façonnent et transforment nos organisations et leurs dirigeants.

Francis Gosselin