Inclusion des femmes: un combat à gagner

Publié le 28/11/2018 à 14:28

Inclusion des femmes: un combat à gagner

Publié le 28/11/2018 à 14:28

(Photo: 123rf.com)

BLOGUE INVITÉ. Avez-vous récemment assisté à une conférence en vous demandant: «Pourquoi n’y a-t-il que des hommes sur la scène?». Portez-vous attention aux personnes occupant les postes de haute direction au sein des entreprises? À quand remonte un panel organisé par des hommes, dont le sujet portait sur une meilleure inclusion des femmes en milieu de travail? 

Si vous êtes un homme, les chances sont minces que vous portiez une réelle attention à ce que vous pourriez considérer comme un détail anodin. Pourtant, ils sont révélateurs d’une réalité plus profonde: l’incompréhensible déséquilibre prévalant encore en milieu de travail, alors que nous mettons le cap sur 2019. 

C’est vrai, tout le monde s’entend pour dire que c’est un enjeu crucial. Pour des raisons non seulement humaines et en conjonction avec les valeurs et l’éthique de nos sociétés, mais aussi, pour des raisons qui devraient convertir les plus traditionalistes: une meilleure place des femmes en entreprises relève aussi d’une saine stratégie et d’une meilleure performance d’affaires. Or, ce défi de l’inclusion est encore trop peu soutenu et partagé par les hommes.

Des chiffres révélateurs

Nous n’avons jamais autant parlé de diversité et d’inclusion. Au-delà des discours, les années passent et peu de progrès tangibles sont enregistrés quant aux postes situés au sommet de l’échelle salariale. Des exemples? En 2018, le classement du Fortune 500 indique que seulement 5% des postes de PDG sont occupés par des femmes.

On apprend aussi que pour le secteur de l’énergie, aucune femme PDG ne s’y retrouve parmi les quarante-trois entreprises du classement. L’industrie de la santé? Une seule femme PDG dans les cinquante-six entreprises classées.

La politique: des croûtes à manger

Rayon politique, en 2017, seulement 7% des pays dans le monde comptaient une femme à leur tête. Pour 57% de ces mêmes femmes, c’est la première fois de l’histoire que leur pays élisait ou nommait une femme. Difficile d’imaginer le poids et le courage sur les épaules de ces pionnières.

Pour en finir avec les panels masculins

Une étude réalisée par Bizzabo, société spécialisée en solutions dédiées au secteur événementiel, démontre le peu de progrès en matière de diversité dans les conférences et panels. Cette étude réalisée durant cinq ans dans 23 pays et auprès de 60 000 conférenciers indique que la répartition de panélistes hommes-femmes était de 70% hommes pour 30% femmes en 2016. Malgré les discours et la prise de conscience, deux ans plus tard, en 2018, nous étions à 68% hommes et 32% femmes. Une stagnation. Cette banalisation du phénomène est connue en anglais sous le nom de «manels», c’est-à-dire des panels parfois entièrement dominés par des hommes. D’ailleurs, plusieurs femmes refusent désormais d’y participer et prennent à juste titre la parole pour exprimer leur opposition et surtout, en appeler au changement.

Quand la testostérone devient toxique

«Voyons donc, là, c’t’une joke! Tu sais bien que je ne pense pas ça pour vrai!» Avez-vous déjà entendu de telles excuses en milieu de travail, de la part d’un collège, ou pire, d’un homme en position de pouvoir? Des remarques en pleine réunion, en présence d’autres femmes, par exemple des allusions à propos des blondes, à la place des femmes dans la cuisine ou, tout aussi déstabilisant, à leur mission première, soit celle de porter des enfants? En d’autres mots, des arrière-pensées, des doubles sens, des sourires entendus, chargés d’ignorance et d’une profonde immaturité d’esprit. 

Certains ont encore des devoirs à faire pour ranger définitivement ces comportements sur les tablettes du passé. Non seulement parce qu’il s’agit d’une insulte à l’égard de l’intelligence des femmes, mais aussi d'une insulte à l’intelligence de cet homme qui croit encore normal de penser dans la sorte et pire, de tenir ce genre de propos.

Se taire n’est pas consentir

Si vous croyez que le silence suivant une remarque désobligeante est synonyme d’acceptation, j’ai une nouvelle en primeur: répliquer, protester et dénoncer, davantage lorsque la remarque provient d’une personne en position d’autorité, c’est extrêmement difficile. Encore plus lorsque la femme, qui n’a jamais demandé à être ainsi visée, a antérieurement été victime d’abus physique ou psychologique. Selon les statistiques mondiales, on parle malheureusement d’une femme sur trois.

Dénoncer exige donc un courage hors norme. Pour avoir moi-même entendu des remarques discriminatoires, parfois racistes, je sais à quel point il peut être terrorisant et paralysant de rétorquer. De dire le moindre mot. Oui, plus d’une fois, j’ai simplement figé.

Dans le cas des femmes, nombreuses à garder le silence, c’est précisément au moment où pareille circonstance survient que les hommes doivent se lever et se montrer solidaires. Souligner ou signaler, de manière constructive, en expliquant que les commentaires désobligeants n’ont plus leur place en 2018. Ni en 2019 ni jamais.

Imaginez votre femme, votre petite sœur ou votre mère vivre une situation similaire: agiriez-vous de la même manière? Or, ces femmes sont les sœurs, les femmes et les mères d’autres personnes.

Femmes, technologie et entrepreneuriat

Alors que j’écris ces lignes, je participe à la conférence internationale Web Summit 2018, à Lisbonne. Il s’agit du plus important événement du genre au monde. Imaginez: soixante-dix mille participants sont réunis, durant quatre jours de conférences, d’ateliers et de panels, qui abordent les plus récentes tendances et innovations. 

Je suis agréablement surpris de savoir que les femmes constituent 43% des participants. En revanche, alors que j’assistais un peu plus tôt à une conférence portant sur la diversité en technologie, les quatre panélistes femmes ont demandé aux hommes dans la salle de signaler leur présence, en levant la main. Résultat? nous étions moins de vingt, dans une salle de mille personnes!

Une récente étude démontre que 90% des femmes du secteur des technologies ont connu une expérience de biais négatif dans le cadre de leur travail. Cette même étude démontre qu’outre ces biais, l’absence de mentors ou d’exemples féminins à suivre représente les deux plus importantes barrières, et ce, dans un secteur pourtant névralgique.

En entrevue dans une radio de Barcelone, la cofondatrice de la startup Eelp!, Nina Alastruey, racontait qu’à l’occasion d’une rencontre avec des investisseurs de capital de risque à Silicon Valley pour son ancienne entreprise, l’un d'eux lui avait demandé quel était son rôle dans la compagnie. Après avoir répondu qu’elle en était la présidente, elle raconte avoir perçu «dans le regard de mon interlocuteur qu’à son esprit, j’aurais dû être la directrice du marketing ou un autre stéréotype féminin du genre.»

Vers des pistes de solution

Constat: malheureusement, je ne crois pas que ma génération pourra complètement résoudre cet écart entre hommes et femmes. Nous avons été éduqués avec un trop grand nombre de schèmes mentaux créant des oppositions, des préjugés et des biais, conscients ou non. Dès la petite école! Comme si pour que l’un gagne, l’autre doive perdre. Un modèle où à la fin, tout le monde perd. Regardons cinq pistes de solution ensemble:

Des gestes audacieux de la part d’hommes leaders

Un des biais les plus communs est de traiter une femme de bossy ou d'agressive quand elle présente des qualités de leadership. Le PDG de Cisco, John Chambers, lors d’une rencontre avec ses plus hauts dirigeants, a affirmé: “I realized that we, my company, we have called all of our senior women too aggressive, and I’m standing on this stage, and I’m sorry. I want you to know we’re never going to do it again.” Ces propos de John Chambers devraient inspirer plusieurs leaders. Parce qu’annoncer des programmes d’inclusion c’est bien, mais assumer et partager ses propres biais, c’est mieux. C’est devenir un véritable agent de changement.

Prenez la parole!

Vous connaissez sans doute l’expression «nous sommes les histoires que l'on raconte». À ce chapitre, ce n’est pas normal d’accepter l’exclusion. Ce n’est pas normal d’accepter un moindre salaire pour un travail égal. Ce n’est pas normal de se sentir intimidée par des remarques. Accepteriez-vous que vos enfants soient discriminés à l’école par leur professeur? Ne l’acceptez pas pour vous-même et donnez ainsi l’exemple à vos enfants.

Mesurez l’iniquité

Rien de mieux qu’une mesure concrète pour prendre conscience de nos biais. Vous trouvez que les hommes parlent trop durant les réunions? Mesurez leur temps de parole avec des applications comme Are Men Talking Too Much

Hommes et femmes: investissez dans l’inclusion

Vous croyez que les programmes d’inclusion coûtent cher? Posez-vous la question: quel est le coût de l’iniquité? Et est-ce que cela a réellement un prix? D’autant plus que plusieurs études démontrent que l’apport des femmes au travail accroît la rentabilité des entreprises!

Le pouvoir de l’empathie

Il existe un piège universel, comme un bogue affectant notre système sensoriel: le privilège est souvent invisible aux yeux de celui ou de celle qui en profite. Lorsque le confort est présent, quand on n’a jamais connu le jugement d’autrui, notre cerveau a tendance à ne plus le percevoir, à se désensibiliser. L’antidote à ce piège? Tout simplement l’empathie, l’une des plus grandes qualités des agents de changement cherchant à faire une réelle différence.

Cette même empathie vous fera réaliser que l’enjeu ne porte pas sur un traitement spécial à l’égard de femmes, loin de là. Qu’il s’agit de les considérer avec équité, respect et dignité. Si vous réalisez être cet homme privilégié, c’est à mon avis un devoir de prendre du recul et de poser des gestes en phase avec votre statut et votre rôle dans la société. Rappelez-vous: le leadership ne consiste pas à vous distinguer du lot, mais plutôt, à entreprendre des actions qui feront grandir les personnes et les entreprises. 

L’ouverture des prochaines générations

J’ai une grande confiance aux nouvelles générations, notamment celle que j’appelle «hustle», témoin de transformations significatives: par exemple la chute de Wall Street, l'arrivée des téléphones intelligents et des médias sociaux ou l'élection d'un premier président noir aux États-Unis. Des changements naturellement intégrés à leur façon de voir le monde.

Alors que la génération de mes parents valorisait l'emploi à vie pour bien élever leurs enfants, et que ma génération se défonce au travail pour vivre ses passions la fin de semaine, la génération «hustle» ouvre la barrière entre travail et vie personnelle. Souvent, leur métier devient un moyen d’avoir un impact, de vivre leur passion, de faire évoluer la société. Cette nouvelle vague, qui prend sa place en milieu de travail, comprend que les enjeux sont de nature complexe et que la diversité des idées, des approches et des expériences fait partie de la solution, pas du problème. 

Cette nouvelle génération peut aussi bénéficier d’innombrables programmes pour encourager et inspirer les femmes dans des secteurs comme la technologie, l’entrepreneuriat ou les postes de leadership. Des initiatives comme L’effet A ou encore La Gouvernance au Féminin sont d’excellents exemples. Plusieurs instances gouvernementales proposent aussi des programmes porteurs, comme le Fonds pour l’écosystème de la Stratégie pour les femmes en entrepreneuriat

En conclusion 

Soyons lucides, le bilan n’est pas reluisant. Parfois, j’ai l’impression que nous, les hommes, de manière générale, sommes de plus en plus confortables à donner plus de place aux femmes en grande entreprise, mais à considérer la diversité et l’inclusion comme un coup de marketing, une mode, notamment dans les grands cercles, par exemple les comités de gestion. Pourtant, quand vient le temps de partager les clés décisionnelles et de nous asseoir dans le siège du passager: malaise! 

Je dois l’avouer, j’ai été chanceux. J’ai eu une mère exceptionnelle qui, malgré son statut de réfugiée, m’a appris à foncer sans négliger l’importance de traiter chaque personne avec respect et dignité. Aussi, à croire en moi, surtout devant l’adversité. Elle savait ce dont elle parlait. Or, il y a l’éducation que l’on reçoit et celle que l’on se donne. Si vous êtes un homme et n’avez pas eu cette chance, offrez-vous le cadeau de cette éducation, laissez entrer cette empathie. Il n’y a pas de date de péremption pour devenir un peu plus sensible aux autres, un peu plus humain.

Et si vous êtes une femme qui hésitez à réclamer, et à prendre la place que vous estimez mériter, posez-vous la question: que feriez-vous dans pareille situation, si vous n’aviez pas ces craintes qui parcourent votre esprit? Comme le veut l’adage, ce ne sont pas les choses essayées et ratées que l’on regrette à la fin de nos jours, mais plutôt celles que l’on aurait voulu accomplir. 

Alors, passez à l’action! Passons à l'action en fait. Pour que les femmes, enfin, puissent pleinement prendre cette juste place, qui leur revient.

À propos de ce blogue

Federico Puebla est directeur du laboratoire d’innovation de SNC-Lavalin, le Lava Lab. Ancien artisan du Desjardins Lab et du Coopérathon, il nous explique comment favoriser l'innovation ouverte dans vos rangs.

Federico Puebla