Finies les évaluations annuelles et les cotes de performance

Publié le 31/05/2018 à 12:16

Finies les évaluations annuelles et les cotes de performance

Publié le 31/05/2018 à 12:16

De plus en plus d’organisations abandonnent l’évaluation annuelle classique pour la remplacer par des conversations de rétroaction plus fréquentes. Comment ça se passe ? Des entreprises qui ont fait le saut racontent.

Auparavant, le stress des employés des Technologies Seedbox grimpait de façon marquée en mai et en juin, mois où avaient lieu les évaluations annuelles des employés. « Les gens avaient beaucoup d’appréhensions et de peurs reliées à leur performance », a relaté Stéphanie Badouix lors de la conférence Gestion et évaluation de la performance, présentée le 29 mai dernier par les Événements Les Affaires.

« Dès qu’on a aboli l’évaluation annuelle en 2016, on a senti la pression tomber même chez les gestionnaires, car ils passaient beaucoup de temps à préparer et à mettre par écrit les évaluations », a poursuivi celle qui est spécialiste Apprentissage et développement du leadership dans l’entreprise de technologies et de marketing Web.

Plus de motivation et plus d’agilité

À part réduire le stress de tout le monde, pourquoi donc laisser tomber une méthode encore largement utilisée pour la remplacer par des rencontres plus fréquentes ou de la rétroaction en continu ?

« Dans un contexte de rareté de main-d’œuvre, il faut parler aux gens de leur carrière et de leur progression dans l’entreprise, ce que permet cette nouvelle approche, a répondu Vincent Brouillette, gestionnaire RH, Formation, engagement et gestion de la performance chez Pratt & Whitney Canada. On constatait aussi que l’évaluation annuelle générait un désengagement des employés. Selon l’ancienne méthode, 70 % des employés étaient considérés comme compétents et 20 %, exceptionnels. Mais Pratt est une entreprise exigeante et ce n’est pas vrai qu’il y a juste 20 % d’employés très performants. Il y en a beaucoup plus. Et ils étaient déçus de leur score. »  

Autre objectif de l’entreprise en aéronautique : réduire la lourdeur administrative. « Nous avons des dizaines de milliers d’employés. Le temps passé aux évaluations et aux formulaires à remplir était hallucinant. Aujourd’hui, les gestionnaires n’ont qu’un petit sommaire à remplir. »

Pour Seedbox, le changement reflétait la volonté de la direction de mettre en place une gestion plus moderne et plus adaptée aux méthodes agiles. « L’évaluation annuelle fondée sur des plans d’entreprise de 3 à 5 ans n’était plus appropriée, a dit Stéphanie Badouix. Nos objectifs et nos priorités changent constamment. Il fallait quelque chose qui correspond à ça. »

SST 2018

Prendre les préoccupations de front

Accenture, quant à elle, souhaitait aider ses quelque 440 000 employés à être plus performants. « La meilleure façon d’y arriver, c’était d’offrir à chacun une expérience personnalisée », a indiqué Nicholas Greschner, directeur RH Canada. L’entreprise de services-conseils et d’impartition a donc remplacé les cotes et la « gestion » de la performance par la « réalisation » de la performance (Performance Achievement).

« Comme on voulait faire une cassure avec le passé, on a insisté au début sur l’importance de bien se connaître et de réfléchir sur ce que chacun peut faire pour se développer, a dit Stéphanie Denino, membre du centre d’expertise sur l’expérience employé d’Accenture. Ça a créé un vent de fraîcheur. Mais en même temps, les gens se posaient beaucoup de questions : qu’est-ce qui va remplacer les cotes de rendement ? Comment je serai évalué désormais ? Comment mon salaire sera ajusté ? »

Si c’était à refaire, Accenture répondrait dès le départ aux préoccupations des employés pour les amener ensuite vers le nouveau paradigme quant à la performance, a reconnu la conférencière.  

Par ailleurs, la question de la rémunération a posé tout un défi à l’entreprise. Avant, la rémunération fixe et variable dépendait de la cote de performance, chacune étant associée à un taux précis d’augmentation. Ces taux étaient publiés et les employés savaient exactement à quoi s’attendre. En ce qui concerne le salaire de base, les gestionnaires ont maintenant comme consigne d’allouer la plus grande part possible de leur budget aux employés qui gagnent moins que la moyenne du marché. La rémunération variable, toutefois, demeure liée aux résultats.

« Après le premier exercice, les employés voulaient ravoir la grille de taux d’augmentation, a reconnu M. Greschner. Mais la deuxième fois, ça allait déjà mieux, car les gestionnaires étaient capables d’expliquer leurs décisions. D’où l’importance de bien outiller les gestionnaires. » Cet aspect est d’ailleurs la priorité d’Accenture en ce moment, car « le succès de notre modèle repose sur la qualité des conversations », a affirmé Mme Denino.

Des gestionnaires lâchés lousses ?

Dans tout ce processus, laisser les gestionnaires à eux-mêmes est en effet une erreur à éviter. Pour que ça fonctionne, ces derniers ont besoin de développer leurs compétences en communication et en relations interpersonnelles. « On leur demande de changer d’état d’esprit en passant d’un leader directif à un leader coach, a résumé Mme Badouix. Il faut les accompagner. »

Les gestionnaires de Seedbox ont ainsi suivi des formations pour apprendre à donner de la rétroaction positive ou encore à se préparer aux rencontres avec les employés. Pour faire évoluer leur style de gestion, ils ont aussi eu accès à un coach externe. Pratt & Whitney, pour sa part, a eu recours à des webinaires pour former ses gestionnaires, entre autres méthodes.

Malgré cela, le changement n’est pas évident. « Des gestionnaires ont dû faire des prises de conscience, a dit Mme Badouix. D’autres ont quitté l’entreprise parce qu’ils n’étaient pas à l’aise avec la nouvelle orientation. »

Cependant, les conférenciers ont été unanimes : la qualité des conversations entre gestionnaires et employés s’est de beaucoup améliorée. « Les gens sont bien plus qu’une cote de performance, a lancé Johanne Bohn, première directrice Développement organisationnel chez Pages jaunes Canada. Maintenant, on met l’accent sur leur contribution, on se demande comment attaquer une problématique ensemble. C’est bien plus valorisant. » 

« Au lieu d’insister sur les faiblesses des gens, on se concentre sur leurs forces », a conclu Mme Badouix.