L'après COVID-19 par la technique des scénarios (3 de 3)

Publié le 31/03/2020 à 14:44

L'après COVID-19 par la technique des scénarios (3 de 3)

Publié le 31/03/2020 à 14:44

Un écran d'ordinateur qui montre COVID-19.

(Photo: 123RF)

BLOGUE INVITÉ. Nous envisageons l’après-crise de la COVID-19 en termes d’interactions entre les trois acteurs suivants:

(1 de 3) LE MONDE EN 2020 – tel qu’imaginé en 1997

(2 de 3) LE CANADA VERS 2030 (sous l’angle des pandémies) – tel qu’imaginé en 2013

• (3 de 3) L’après COVID-19 par la technique des scénarios – exercice pratique

 

 

 

• (2 de 3) LE CANADA VERS 2030 (sous l’angle des pandémies) – tel qu’imaginé en 2013

• (3 de 3) L’APRÈS-COVID-19 PAR LA TECHNIQUE DES SCÉNARIOS – exercice pratique (à venir)

Hypothèse: la COVID-19 est contrôlée et curable

Nous envisageons l’après-crise à partir du trilemme ci-dessous -


Nous envisageons l’après-crise de la COVID-19 en termes d’interactions entre trois acteurs:

• COMMERCE: des entreprises et des investisseurs prêts pour la reprise? Un secteur privé en pleine remondialisation ou démondialisation?

• CITOYENS: des individus optimistes et confiants que le pire est passé, ou non? Des employés et des consommateurs qui reprennent le temps et des habitudes perdus?

• GOUVERNANCE: des politiciens et une fonction publique hésitants et inefficaces, ou courageux et efficaces? Des règles pro-reprise ou trop prudentes ou interventionnistes?

… et 8 scénarios.

 

S1. «En arrière, tousse!» (ou perpétuels marasme et imprévus)

Citoyens malades ↔ Commerce fragmenté ↔ Gouvernement trop passif

Longue convalescence ou isolement, nouveaux cas fréquents et séquelles sur la santé ralentissent l’élan des travailleurs et des consommateurs et affligent les secteurs du commerce et du manufacturier (mal organisés en raison de la rareté de personnel-clé et de fonds, de ruptures de stock et de stagflation). Par manque de conviction, l’activité économique redémarre difficilement dans les services. Pendant ce temps, l’État, souvent indécis, manque de plans adéquats et de ressources et impose des restrictions qui nuisent à la cohésion sociale, à la reprise économique et à la confiance envers le gouvernement.

 

S2. «Prêt, le business patiente...»

Citoyens malades ↔ Commerce fluide ↔ Gouvernement trop passif

Longue convalescence ou isolement, nouveaux cas occasionnels et séquelles sur la santé ralentissent l’élan des travailleurs et des consommateurs pendant que l’État, souvent indécis, manque de plans adéquats et de ressources et impose des restrictions qui nuisent à la cohésion sociale et à la confiance envers le gouvernement. Malgré tout, cela ne nuit pas trop aux entreprises qui ont su s’en remettre, se restructurer, bien improviser et se concentrer à répondre aux besoins des consommateurs et des investisseurs et à créer une reprise graduelle et suffisamment rentable.

 

S3. «L’ambulance gouvernementale tourne en rond»

Citoyens malades ↔ Commerce fragmenté ↔ Gouvernement pro-actif

Bien que la majorité des citoyens concernés profitent du maintien de politiques publiques généreuses (assurance-emploi, réduction d’impôt, aide matérielle), de longues convalescences ou isolements, de nouveaux malades et des séquelles sur la santé continuent malheureusement de ralentir la participation au travail et à la vie sociale. Ce qui nuit à la consommation, affligeant les secteurs du commerce et du manufacturier (mal organisés par manque de personnel-clé et de fonds et en raison de ruptures de stock) et accablant le redémarrage de l’activité économique dans les services (manque de conviction) et ce malgré la continuité de politiques publiques généreuses (subventions, fiscalité allégée, garantie de prêt, aide matérielle) censées aider le secteur privé.

 

S4. «Patrons et élus font les médecins»

Citoyens malades ↔ Commerce fluide ↔ Gouvernement pro-actif

Bien que la majorité des citoyens concernés profitent du maintien de politiques publiques généreuses (assurance-emploi, réduction d’impôt, aide matérielle) et d’interventions déterminées et efficaces en santé, en sécurité et en services sociaux, de longues convalescences ou isolements, de nouveaux cas occasionnels et des séquelles sur la santé continuent malheureusement de ralentir la participation au travail et à la vie sociale. Toutefois, la continuité de politiques publiques généreuses (subventions, fiscalité allégée, garantie de prêt, aide matérielle) et des interventions efficaces en approvisionnement et infrastructure publics, en commerce et en sécurité internationales profitent aux entreprises dont les activités restructurées (opérations, import/export, investissement, etc.) pointent vers le retour à la croissance et à la rentabilité.

 

S5. «Qu’est-ce qu’ils attendent?!»

Citoyens en santé ↔ Commerce fragmentée ↔ Gouvernement trop passif

Courte convalescence ou isolement et faible nombre de nouveaux cas accélèrent les espoirs et l’élan des travailleurs et des consommateurs, mais les entreprises restent nerveuses, peinent à retrouver des fournisseurs, souffrent de l’inflation imposée par des marchés fragmentés et de la prudence excessive des créanciers et des autorités publiques. Un État anxieux, indécis et affaibli, qui manque de plans dynamiques et de ressources et qui tarde à retirer des restrictions inutiles, ne nuit pas trop aux citoyens mais ajoute de l’incertitude politique aux problèmes des entreprises.

 

S6. «Vacciné contre la politique»

Citoyens en santé ↔ Commerce fluide ↔ Gouvernement trop passif

Courte convalescence ou isolement et faible nombre de nouveaux cas accélèrent l’élan des travailleurs et des consommateurs, ce qui stimule la reprise de tous les secteurs de l’économie et l’investissement avec des entreprises dynamiques et prêtes à répondre à la demande. Autant les citoyens que les entreprises apprennent à vivre avec des gouvernements appauvris et une instabilité politique caractérisée par un État souvent indécis et des politiciens polarisés qui imposent des restrictions et des mesures interventionnistes inutiles ou inefficaces.

 

S7. «Des spectateurs, des arbitres mais pas de joueurs»

Citoyens en santé ↔ Commerce fragmenté ↔ Gouvernement pro-actif

Aidés par le maintien de politiques publiques généreuses (assurance-emploi, réduction d’impôt, aide matérielle) et d’interventions déterminées et efficaces en santé, en sécurité et en services sociaux, et profitant de courtes convalescences ou isolements et de peu de nouveaux cas d’infection, travailleurs et des consommateurs sont capables de reprendre leurs activités et le temps perdu. Mais les entreprises ne profitent pas de la continuité de politiques publiques généreuses et d’interventions économiques pourtant en apparence bien conçues. Toujours fragilisé et anxieux, le secteur privé manque de conviction, de personnel-clé et de capitaux, souffre de problèmes de gestion et de ruptures de stock. La confiance des entrepreneurs et des investisseurs semble éternellement effritée.

 

S8. «En avant, tous!» (ou quand ça va mieux que prévu)

Citoyens en santé ↔ Commerce fluide ↔ Gouvernement pro-actif

Aidés par le maintien de politiques publiques généreuses (assurance-emploi, réduction d’impôt, aide matérielle) et d’interventions déterminées et efficaces en santé, en sécurité et en services sociaux qui visent les derniers citoyens malades (courtes convalescences ou isolements) et de la quasi-absence de nouveaux cas d’infection, travailleurs et desconsommateurs accélèrent l’aspiration du retour à la normale. En parallèle, la continuité de politiques publiques généreuses (subventions, fiscalité allégée, garantie de prêt, aide matérielle) et des interventions efficaces en approvisionnement et infrastructure publics, en commerce et en sécurité internationales profitent aux entreprises. L’enthousiasme du secteur privé se dénote dans la forte hausse des embauches, des opérations, de l’import/export et de l’investissement.

 

 

Comment faire?

 

ÉTAPE 1

Dans l’article sur la prévision et planification par scénarios, je proposais les quatre questions stratégiques suivantes à transposer à votre contexte micro:

 

  1. Qui deviendront les acteurs-clés dans chaque scénario ? Nos concurrents, nos clients, nos fournisseurs, nos employés, nos actionnaires et créanciers, les gouvernements, des groupes de pression ?
  2. Qui ce scénario favorisera ou défavorisera-t-il ?
  3. Comment réagiront les personnes concernées (nouvelles attentes ou actions)?
  4. Quels choix s’offrent à nous et quand ? Par exemple, devrions-nous favoriser la pro-action (acheter, vendre, investir), l’attente (deux ou trois trimestres ou plus ?) ou l’atténuation (minimiser les risques en attendant la fin d’un phénomène) ?

 

En abordant ces questions, on pourrait aussi distinguer ici deux périodes de temps qui précéderont l’hypothèse de la «COVID-19 Contrôlée et curable»:

Si la crise dure jusqu’à l’été:

 

  • Qui perd trop et ne s’en remet pas?
  • Qui remplace qui ? Nouvel équilibre ou déséquilibre?

 

Si la crise perdure pendant une à deux années (ex : isolement continu jusqu’en mai 2021, avec une pause de juin à octobre 2020, avec des mesures de distanciation sociale et de fermeture qui restent en place et de nouvelles règles sanitaires contraignantes)

 

  • Qui perd trop et ne s’en remet pas?
  • Qui remplace qui?
  • Nouvel équilibre ou déséquilibre?

 

 

ÉTAPE 2

Puisque les scénarios possibles sont nombreux et qu’il faut en définir les risques et les opportunités émergents, commencez par répondre aux deux questions suivantes :

 

  • Quels scénarios seraient les deux meilleurs pour mon organisation et pourquoi? Définir les opportunités nouvelles.
  • Quels scénarios seraient les deux pires pour mon organisation et pourquoi? Définir les risques nouveaux.

 

Si vous en avez les ressources, vous pouvez également créer huit petites équipes et confier l’étude d’un des huit scénarios à chacune. Vous trouvez qu’aucun des huit scénarios proposés ne satisfait à votre vision du futur? Ou qu’il manque des événements ou des détails spécifiques à votre situation ? Parfait chers/chères visionnaires, prenez quelques minutes et rédigez votre propre scénario. Mieux, en équipe, écrivez-en quatre ou cinq collés à votre réalité (attention aux biais) et poursuivez l’exercice avec votre matériel.

Tel que suggéré dans l’article sur les scénarios, toujours en vous concentrant sur les caractéristiques propres à votre marché et à votre organisation, « chercher dans quelle mesure des causalités incohérentes pourraient interagir à certains stades d’un scénario peut, soit en révéler les failles, soit illuminer une nouvelle évolution (souvent dans la même direction, positive ou négative). » Confrontés à une crise extraordinaire et déstabilisante qui met au défi notre gestion de l’incertitude et la confiance mutuelle, certains acteurs économiques ou politiques pourraient réagir de façon incohérente à la guerre au COVID-19 et à ses post-traumatismes.

On peut aussi s’attendre à ce que des « cartes surprises » ou des cygnes noirs s’ajoutent : leaders politiques malades et gouvernements de transition, écroulement politique de la Chine ou économique de pays (l’Italie), report de l’élection américaine donnant lieu à une crise socio-économique aux États-Unis, panique financière répétée, afflux de réfugiés vers le Canada, tests de dépistage contrefaits, nouvelles souches virales (COVID-21), hausse du cyber-terrorisme, crash des télécommunications et d’internet, etc. Prenez le temps d’y penser et restez aux aguets – il y aura aussi de bonnes nouvelles inattendues.

 

ÉTAPE 3

Il faut ensuite faire la liste (1) des impacts directs évidents dans l’après-coronavirus (ex : occasion d’acquisition, perte de clientèle permanente, nouveaux modes de travail, produits, réseaux de distribution ou gains de productivité, dépenses coupées en permanence) et (2) des effets-ricochets moins évidents (ex : fournisseurs aux prises avec de nouvelles normes sanitaires ou des quotas qui en viennent à imposer des délais et des frais supplémentaires; faillites en cascade qui perturbent vos créanciers et investisseurs; interventionnisme et réformes illimités pour apaiser les revendicateurs de tout acabit).

 

ÉTAPE 4

Il faut maintenant intégrer les anticipations stimulées et clarifiées ci-haut à votre planification stratégique post-COVID-19. Pour bien des organisations, la « réactivation » des opérations sera une étape jamais vécue précédemment. Il faudra modifier cette planification pour calibrer le rythme et la taille des efforts de redémarrage dans un contexte d’offre et de demande et de flexibilité opérationnelle probablement différent de l’avant COVID-19.

Dans un premier temps, votre planification stratégique doit s’inspirer de la réalisation du ou des scénarios idéaux et en organiser l’exécution (que devrions nous faire maintenant pour nous rapprocher d’un positionnement parfait dans ce scénario de demain ?). Deuxièmement, se concentrer à minimiser les impacts du ou des pires scénarios permettra d’ébaucher un début de « plans B » (que devrions nous prévoir maintenant pour nous éviter le pire dans ce scénario de demain?). Troisièmement, la rédaction en équipe d’une nouvelle liste de « choses à faire » ainsi qu’une « à ne plus faire » dans l’avenir a été facilitée et elle doit être rapidement entamée. À trop attendre, vous oublierez des idées et des actions utiles et votre attention, interpelée par l’urgence du jour, vous ramènera en mode réactif.

Enfin, mettez en vigie les signaux précurseurs, les propulseurs, les freins et les acteurs-clés décelés pendant votre réflexion. Vous pourrez ainsi suivre l’évolution de vos scénarios (nature, timing et impact), les corriger au besoin (mais pas trop vite) et peut-être même visualiser le passage d’un scénario à l’autre.

L’humain étant parfois tiré par des extrêmes, pour stimuler vos idées je termine donc avec cette liste de «polarités », en espérant que nos dirigeants et nous-mêmes sauront lesquelles éviter!

 

COMMERCE ET GOUVERNANCE

Réactif, défensif, usé ↔ Pro-actif, préparé pour redémarrer, motivé

Flexibilité organisationnelle ↔ Rigidité organisationnelle

Tactiques de prévention gagnantes ↔ Tactiques de prévention perdantes

Impartition et privatisation ↔ Tout-faire-à-l’interne

Abondance de ressources matérielles ↔ Rareté des ressources matérielles

Abondance d’expertise et de talents ↔ Rareté des ressources humaines

Frontières et marchés ouverts ↔ Isolationnisme

Gestion du risque obsessive ↔ Recherche d’avantages obsessive

Fermetures prolongées ↔ Ouvertures trop hâtives

Bonne fin du soutien financier de l’État ↔ Mauvaise fin du soutien financier de l’État

Réglementation prévisible et facile à suivre ↔ Réglementation imprévisible et contraignante

Moins de compétition, plus de stabilité ↔ Plus de perturbation concurrentielle et d’instabilité

Faibles taux d’intérêt et surplus de capitaux ↔ Forte hausse des taux d’intérêt et rareté de capitaux

Stagflation ↔ Déflation

Cyber-calme ↔ Cyber-attaqué

Chine normalisée ↔ Chine écroulée ou détestée

 

CITOYEN

Rétabli et/ou en santé ↔ Malade, séquelles pulmonaires

Guéri et vacciné ↔ Affaibli et infecté à chaque hiver

Peut travailler ↔ Peut pas travailler

Satisfait et optimiste ↔ Frustré ou en colère

Bonne fin des mesures spéciales de l’État ↔ Mauvaise fin des mesures spéciales de l’État

Confiance aux élus ↔ Aucune confiance aux élus

Pro-secteur privé ↔ Anti-secteur privé

Participation citoyenne ↔ Désengagement civic

Solidarité, partage et compassion ↔ Me, myself and I

Retour vers l’abondance ↔ Ère de la précarité

Hausse des prix ↔ Baisse des prix

Déconsommation ↔ Surconsommation

Faibles taux d’intérêt et surplus de capitaux ↔ Forte hausse des taux d’intérêt et rareté de capitaux

Hausse de l’épargne, du désendettement et de l’investissement ↔ Hausse de l’endettement pour survivre

 

 

Le passé nous est caché comme l’avenir ; nous vivons entre deux nuées épaisses, dans l’oubli de ce qui fut et l’incertitude de ce qui sera. Et pourtant la curiosité nous tourmente de connaître les causes des choses et une ardente inquiétude nous excite à méditer les destinées de l’homme et du monde.

Anatole France

(Sur la pierre blanche, 1905)

 

À propos de ce blogue

Pressé par l’hyperactivité professionnelle et la vitesse de l’actualité, on oublie que la pensée à long terme demeure essentielle à la pérennité de nos réussites. Échouer de planifier, c’est planifier d’échouer, rappelle Eric Noël, qui a plus de 30 ans d’expérience en stratégie à long terme et a conseillé des transactions de plus de 30 G$ dans plus de 30 pays. Le prospectiviste et initiateur du projet Canada vers 2030 nous propose de réfléchir aux macro-tendances pour mieux anticiper leurs conséquences et mieux s’adapter, voire changer l’avenir.