Troquer le dollar contre une monnaie locale

Publié le 22/02/2023 à 11:30

Troquer le dollar contre une monnaie locale

Publié le 22/02/2023 à 11:30

La chouenne, une monnaie créée en 2021 dans la région de Charlevoix, encourage les consommateurs à rester dans la région et à soutenir son économie. (Photo: 123RF)

BLOGUE INVITÉ. Et si l’on changeait un peu le monde avec quelques pièces de monnaie… locale? Des initiatives encouragent les consommateurs, les PME et les municipalités à se réapproprier l’économie de leur région en ayant recours à des monnaies autres que celle en vigueur à l’échelle nationale. 

Le principe de base typique est celui de monnaies convertibles. Par exemple, pour 100 dollars ou 100 euros, on reçoit 100 unités de la monnaie alternative. L’argent est placé dans un fonds de réserve et peut ainsi être reversé pour financer des projets de transition socioécologique sur le territoire. Donc, avec une monnaie locale, on double la masse monétaire, mais on favorise aussi l’essor de projets novateurs et bénéfiques pour la collectivité. Une monnaie locale peut être utilisée pour payer des fournisseurs, des biens et des services, notamment. L’idée est de créer un réseau de flux monétaires sur un territoire donné. 

Chercheur en sociologie économique, Christoph B. Stamm est fasciné depuis longtemps par les alternatives monétaires, lui qui a vécu en Suisse où le WIR existe en parallèle du franc suisse depuis les années 1930. Entrevue avec le chargé de cours en sociologie et en science politique à l’Université de Montréal et chercheur membre de la Chaire de recherche sur la transition écologique de l’Université du Québec à Montréal, qui en a fait son sujet de recherche de prédilection.

 

Quelles sont les motivations derrière la création d’une monnaie locale? 

D’une part, il y a une critique des monnaies nationales et officielles et, d’autre part, il y a les changements qu’on souhaite apporter. 

D’un point de vue écologique, on pourrait dire que la création monétaire pose un problème. La monnaie est créée par le crédit bancaire et les banques donnent du crédit à des entreprises qui souhaitent faire des investissements à profit. Finalement, le seul critère pour donner du crédit, c’est le profit ou la solvabilité. Il n’y a aucun critère social ou environnemental. 

Un deuxième élément problématique est la circulation monétaire: il y a de la spéculation, de l’argent qui sort de l’économie réelle, des multinationales qui mettent leur argent dans les paradis fiscaux, etc. Pour beaucoup d’acteurs, c’est critiquable, tout comme le manque de démocratie dans l’économie. 

On parle beaucoup de monnaies locales, mais plus largement, les monnaies alternatives ou sociales peuvent servir à la communauté et à l’économie locale. Elles peuvent même transformer l’économie vers une économie plus durable. Une autre motivation derrière ces initiatives est aussi de créer du lien social.

 

Qui peut être impliqué dans ces initiatives? 

Cela dépend des visées de chaque monnaie. Il y a les monnaies locales citoyennes qui sont initiées par des groupes citoyens qui créent une association ou un OBNL pour ce faire. Souvent, les municipalités ou les acteurs régionaux peuvent être impliqués. 

Il y a aussi les initiatives issues de collectivités locales, de municipalités ou de régions. On retrouve également des monnaies initiées par des associations de commerçants qui souhaitent dynamiser les petits commerces ou les petites entreprises de leur localité. 

Donc, ça dépend des visées, mais si l’on regarde le boum des monnaies locales en France, où il y en a 80, ce sont majoritairement des monnaies citoyennes. En général, on observe que les initiateurs créent des collaborations avec les municipalités, avec les acteurs de l’économie sociale et solidaire. 

 

Quel est l’intérêt pour des entreprises à prendre part à de tels projets? 

Ça peut être de renforcer les liens avec les consommateurs et de créer un réseau entre petites entreprises pour consolider le tissu d’économie locale, et ne pas devoir faire place aux grandes bannières, par exemple. Dans certaines régions plus rurales, les gens sortent de leur localité pour aller faire leurs courses. Donc dans ce cas, on veut soutenir les achats dans certains lieux. C’est la motivation de la chouenne, une monnaie créée en 2021 dans la région de Charlevoix. On ne souhaitait pas que les gens aillent faire leurs courses dans le coin de Québec, on voulait qu’ils restent dans la région et soutiennent son économie. 

Aussi, dans le cas de monnaies à visée plus environnementale, les PME peuvent vouloir renforcer les liens entre les acteurs. Par exemple, un magasin qui vend des produits bio peut s’associer avec des fournisseurs écoresponsables dans la région qui acceptent d’être payés en monnaie locale. Pour ceux qui utilisent la monnaie, ça représente en quelque sorte un label qui veut dire «nous, on fait partie d’une communauté de valeurs». 

 

Y a-t-il des exemples dans le monde de monnaies alternatives qui ont eu un effet significatif sur le renforcement des économies à l’échelle locale? 

À beaucoup d’endroits, les monnaies sont relativement petites, donc on ne mesure pas leurs répercussions en matière de PIB. Il y a une étude intéressante qui a été faite en France, il y a un an et demi, pour essayer de mesurer l’utilité des monnaies locales. Cela a permis de démontrer des effets généralement positifs, surtout en ce qui a trait au renforcement des liens entre les acteurs locaux.

Par exemple, il y a une amélioration des pratiques responsables des commerçants. Il y a des éléments de solidarité, de renforcement de la citoyenneté. Les gens commencent à se poser des questions sur la monnaie, sur la provenance des produits. Il y a une sensibilisation qui a lieu et c’est utilisé comme un outil d’éducation populaire. Ça montre que des alternatives sont possibles et que les citoyens peuvent s’impliquer pour une économie différente. 

Il faut préciser qu’il y a d’autres types d’initiatives monétaires qui peuvent avoir un effet sur une économie locale. Un exemple intéressant est celui du Sardex en Sardaigne [en Italie]. C’est un crédit mutualisé pour les PME qui a plusieurs milliers d’adhérents et qui est géré par 50 employés. Ça fonctionne comme un crédit mutualisé. C’est un modèle différent, car ce n’est pas pour les consommateurs, mais c’est une monnaie interentreprises. D’autres initiatives en Italie sont basées sur ce modèle. 

Ailleurs, on essaie aussi de combiner les deux systèmes à la fois, comme dans le bassin lémanique où il y a une monnaie locale et une forme de crédit mutualisé. Tout ça pour dire que plusieurs outils monétaires peuvent être utilisés en même temps, un modèle n’exclut pas l’autre. Après tout, ce ne sont pas des solutions miracles, ce sont des outils intéressants pour transformer l’économie et contribuer à la transition socioécologique.

 

Quel est l’état des lieux de telles initiatives au Québec?

Au Québec, il y a le modèle des Accorderies qui fonctionne avec le système de crédit mutualisé, mais entre particuliers, et c’est une monnaie en temps. Quelqu’un offre un service [d’] une heure, il reçoit un crédit [d’] une heure et l’autre [a une] dette d’une heure. On peut utiliser ces heures pour avoir différents services et c’est régi par différentes balises pour s’assurer du maintien de la participation. 

La plus ancienne initiative de monnaie locale au Québec, c’est le dollar johannois de la municipalité de Saint-Jean-de-Dieu, près de Trois-Pistoles, qui a été initiée par la municipalité et l’association des commerçants en 2004 pour dynamiser l’économie locale. C’est aussi le but de la chouenne à Charlevoix, dont j’ai déjà parlé.

Depuis 2018, il y a le BLÉ à Québec. C’est une monnaie citoyenne créée autour des valeurs de la transition socioécologique, avec une charte éthique que les membres doivent signer.

Sur l’île de Montréal, il y a l’initiative de l’îlot dans laquelle je suis impliqué et qu’on travaille à relancer. On est en train de chercher des partenaires institutionnels et des partenaires pour financer le lancement de la monnaie. Il y a une plateforme électronique à mettre en place, il faut imprimer la monnaie et éventuellement, il faudrait avoir une personne engagée pour la promotion et l’administration. L’idée est d’engager les acteurs de l’économie sociale et solidaire et de la transition, ainsi que la Ville de Montréal et les autres municipalités de l’île.

À propos de ce blogue

Pour faire face aux changements climatiques et aux perturbations environnementales, des transformations sont nécessaires dans divers domaines, comme la régulation économique et les infrastructures technologiques, mais aussi l’organisation sociale et territoriale des activités quotidiennes et des modes de vie. Ce sont ces transformations, certaines déjà en cours, d’autres devant être mises en œuvre ou s’accélérer, qu’étudie la Chaire de recherche sur la transition écologique de l’UQAM. Avec ce blogue, Éliane Brisebois, agente de recherche et coordonnatrice de la Chaire (et ancienne journaliste), explorera les défis de la transition sociale et écologique à partir de sujets d’actualité et des travaux de recherche de la communauté de chercheurs et de chercheuses qui s’intéressent à ces problématiques.

Éliane Brisebois

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