Les dirigeants américains auraient souhaité que la SEC change d’idée. Que cette nouvelle règle ne passe pas. Il s’en est fallu de peu; la décision a été votée à 3 commissaires contre 2.
À partir de 2017, la majorité des entreprises inscrites en bourse aux États-Unis (pas les sociétés Canadiennes pour l'instant) devront dévoiler le ratio de la rémunération de leur pdg par rapport à la rémunération médiane de leurs employés.
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Pourquoi a-t-on voté cette règle?
1- Pour tenter de désamorcer les tensions sociales résultant de la croissance des inégalités. Des tensions qui ont atteint un point tel que certains dirigeants eux-mêmes s’en inquiètent. Comme le gestionnaire de fonds Paul Tudor II qui a fondé Just Capital, un organisme à but non lucratif (OBNL) qui se penche sur le «capitalisme juste». Just Capital a sondé 43 000 Américains pour leur demander leur définition d’un salaire juste, d’un traitement des clients et des fournisseurs juste, etc.
2- Pour donner aux actionnaires un outil supplémentaire pour les aider à évaluer l’efficacité des dirigeants. La SEC avance que les actionnaires pourront, par exemple, comparer les ratios des entreprises d’un même secteur.
Les 5 failles de cette règle
1- La SEC laisse à chaque entreprise le choix de sa méthode de calcul du salaire médian de ses employés.
2- Chaque entreprise peut se contenter d’un échantillon de travailleurs pour calculer le salaire médian. Elle n’a pas à inclure tout le personnel.
3- Chaque entreprise peut calculer ce ratio au moment de son choix au cours des trois derniers mois de son année financière. Elle peut donc choisir le moment où elle a le moins d’employés saisonniers, dont la rémunération est généralement moins élevée.
4- La médiane ne reflète pas toujours fidèlement la réalité salariale d’une entreprise, comme l’explique ce commentateur de Fortune. Si une entreprise a 4 employés gagnant chacun 15 000$, un autre gagnant 50 000$ et 4 autres gagnant 80 000$, la médiane sera 50 000$. Mais la moitié des employés reçoivent un salaire bien inférieur à la médiane. Le ratio retenu par la SEC ne donnerait donc pas une image réaliste de la disparité salariale entre un pdg et ses employés.
5- Par ailleurs, un ratio plus faible ne signifie pas nécessairement une rémunération plus «juste», comme a illustré Yvan Allaire, président de l'Institut sur la gouvernance d'organisations privées et publiques (IGOPP), en comparant une entreprise de services spécialisés et une entreprise de distribution ou de commerce de détail.
« (...) Ainsi, le rapport entre la rémunération du premier dirigeant et la rémunération médiane dans une entreprise de services spécialisés (banques d’affaire, comme Goldman Sachs, etc.) sera assurément plus faible en raison des hauts salaires généralement payés dans cette industrie que pour une entreprise de distribution ou de commerce de détail où l’employé médian est, par exemple, un(e) caissier(ière) à temps partiel. Dans cet exemple, la première firme pourrait avoir un ratio de 50 et la seconde de 300. Doit-on applaudir la première pour sa frugalité et critiquer la seconde pour un score aussi scandaleux? Pourtant, le PDG de la première firme reçoit, disons, une rémunération de 10M$ et l’employé médian de 200 000$, alors que le PDG de la seconde entreprise a obtenu une rémunération de 6M$ et l’employé médian de 20 000$. Le premier PDG dirige 300 employés répartis dans 3 bureaux aux États-Unis et le second 75 000 employés répartis dans un réseau de 1 000 établissements dans 5 pays.(...)»
Le risque associé à cette règle
On pourrait craindre que cette règle ait le même effet pervers que la divulgation des salaires des pdg. On constate la divulgation des salaires des dirigeants a pour effet d’augmenter ceux-ci plutôt que de les modérer. Comme si l’effet de comparaison poussait les pdg à demander plus et les C à leur accorder. Pourrait-il en être de même pour la divulgation du ratio salaire du pdg/salaire médian des employés?
Pourquoi cette règle est une bonne idée malgré tout
Cette règle est loin d’être parfaite. Mais elle permet d'entretenir le débat sur les inégalités et la répartition de la richesse. Rappelons que ce dont une société n’a pas besoin c’est du capital improductif. Or, augmenter la rémunération de la classe moyenne a un impact direct et immédiat bien plus élevé sur l’économie qu’augmenter la rémunération des mieux nantis. Pourquoi? Parce que dans le cas de la classe moyenne, cet argent supplémentaire sera consacré à la consommation alors que dans le cas de la classe aisée, il ira à l’épargne.
