Des trucs pour collaborer avec vos ennemis

Publié le 07/02/2018 à 11:43

Des trucs pour collaborer avec vos ennemis

Publié le 07/02/2018 à 11:43

Par Diane Bérard

Avez-vous déjà eu à collaborer avec un de vos ennemis?

Travaillez-vous, sur une base récurrente, avec des gens ou des organisations que vous n’aimez pas, à qui vous ne faites pas confiance ou avec qui vous vivez des conflits ou des tensions? Ce billet parle de cette réalité.

J’ai assisté à un atelier du Montréalais Adam Kahane, auteur des livres dont «Solving Tough Problems», «Power and Love» et «Collaborating with the Enemy», organisé par l’Institut du Nouveau Monde (INM). Nous étions une quinzaine d’organisations aussi variées que le SPVM, le BAPE, la Fondation David Suzuki, le Chantier de l’économie sociale, l’Union des artistes, la clinique Juripop et la CSDM.

Je vais vous confier un secret: le plan orignal de l'INM pour cet atelier n'a pas fonctionné. Il était trop audacieux. L'INM voulait que chaque participant vienne en compagnie d'un «ennemi». Ça n'a pas passé. Chacun et chacune est venu seul, avec son ennemi dans sa tête. On a évoqué nos »ennemis» respectifs pendant l'atellier, mais ils n'étaient pas là pour se défendre ni pour profiter des lumières d'Adam Kahane.

En quoi la cohabitation entre les FARC et le gouvernement colombien ressemble à celle d'une entreprise avec la communauté?

Adam Kahane a collaboré, entre autres, au processus de paix en Afrique du Sud et à l’accord de 2017 entre le gouvernement colombien et les FARC. Il poursuit sa collaboration avec le gouvernement colombien. «On a célébré la signature de cet accord comme une victoire, m’a-t-il confié. Comme s’il marquait la fin du conflit. C’est une erreur. L’accord de paix n’a pas réglé la situation. Il a résolu certaines questions pour passer d’une situation de guerre à une coexistence plus ou moins pacifique. Maintenant la grande question dans laquelle je suis impliqué est: comment vivre ensemble, avec les craintes, les mésententes et les doutes?»

Signature de l'accord de paix entre le gouvernement colombien et les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC), le 26 septembre 2016, à La Havane. (Photo: CC / Gouvernement chilien)

Le cas de la Colombie et des FARC ne diffèrent guère de bien des situations en entreprise, estime Adam Kahane. «On confond souvent problème et situation problématique. Un problème peut être résolu par la négociation. La solution, l’accord, marque la fin du conflit. Une situation problématique ne peut être résolue. Il faut simplement apprendre à vivre avec elle.» Il poursuit, «Un problème se situe dans l’univers du jeu fini. Lorsque la partie se termine, le jeu est fini. Une situation problématique est un jeu infini. Il y a toujours une autre manche.»

Il cite l’exemple de la cohabitation entre une entreprise et la communauté. L’entreprise veut exploiter les ressources de la région. La population veut un milieu de vie sain et des emplois. Le gouvernement veut des revenus. Imposer une solution pour terminer la partie ne fonctionne pas. Nous ne sommes pas face à un problème, mais bien une situation problématique.

Même situation dans le cas d’une grande société et de ses filiales. Il existe une tension constante entre la centralisation et la décentralisation. Cette tension ne disparaîtra pas. Il faut naviguer entre ces deux pôles constamment.

«Devant une situation problématique, vous ne pouvez pas vous rabattre sur l’accord ou l’entente signé, prévient Adam Kahane. Ce type de situation évolue constamment. Vous n’avez d’autre choix que de vous appuyer sur votre relation.» D’où la nécessité d’apprendre à collaborer avec «l’ennemi».

Avec vos ennemis, Adam Kahane suggère d’employer la collaboration «étirée». Celle-ci mène à l’extérieur de nos comportements habituels.

Les trois étapes de la collaoration avec l'ennemi

Cette collaboration suppose trois temps. Chaque temps est assorti d’une question.

Première étape: comment nous entendons-nous avec nos collaborateurs?

En collaboration conventionnelle, on met accent sur l’harmonie.

«Nous sommes un et il n’y a pas de conflit».

En collaboration étirée, on accueille le conflit et l’appartenance de chacun à des univers différents. «Nous sommes un, mais nous sommes différents et il y a des conflits.»

Et nous reconnaissons que nous devons travailler ensemble, car nous avons besoin des autres pour atteindre nos objectifs.

Les quatre façons de parler et d'écouter

Il existe quatre façons de parler et d’écouter. Parfois, pendant la conversation on glisse de l’une à l’autre. Parfois, on saute des étapes. Parfois, on en reste à l’étape 1.

1- On vide son sac. Nos phrases débutent par « En vérité… » On n’écoute que pour répondre aux arguments de l’autre.

2- On débat. Nos phrases débutent par «Je crois que… »

3- On dialogue (introspection, empathie). Nos phrases débutent par «D’après mon expérience…» Cette fois, on écoute pour comprendre ce que si passe chez l’autre.

4- On est présent. Nos phrases débutent par «Ce que je vois émerger ici et maintenant… ». Cette fois, on écoute pour comprendre la situation.

Deuxième étape: comment le travail progresse-t-il?

En collaboration traditionnelle, ça se passe ainsi :

-Les personnes intelligentes réfléchissent au problème et à la solution et développent le plan pour mettre en œuvre la solution;

-Les personnes autorisées approuvent le plan;

-Les personnes en position d’autorité disent à leurs subalternes d’exécuter le plan.

Cette méthode ne fonctionne pas dans les situations complexes ni conflictuelles. Dans ces situations, il n’y a qu’une voie possible pour avancer: expérimenter, tester, tenter plusieurs solutions.

Troisième étape: comment contribuons-nous à la situation conflictuelle?

Adam Kahane nous a fait vivre l’expérience suivante.

Pensez à une collaboration conflictuelle que vous vivez.

Décrivez-la d’abord comme un observateur. Dites ce que font les acteurs et ce que vous suggérez pour dénouer l’impasse.

Décrivez maintenant la même situation comme si vous étiez le metteur en scène ou un acteur. Vous êtes cocréateur, vous avez du pouvoir.

Ce changement de perspective a donné lieu aux réactions suivantes de la part des participants de l'atelier :

«J’ai réalisé que ça fait mon affaire de ne pas régler le problème, parce que si je le règle, je devrai concéder des choses.»

«Devenu metteur en scène, je sentais à la fois un sentiment de responsabilité - à concevoir le plan - et d’impuissance - à le déployer.»

«J’ai réalisé que c’est angoissant de se commettre. Ça implique qu’on peut avoir tort, qu’on peut se faire dire qu’on n’a pas la légitimité. Ça explique pourquoi on maintient le statu quo malgré le conflit.»

«J’ai réalisé à quel point je personnalise ce conflit. Et puis à quel point je ne m’intéresse pas du tout aux objectifs de l’autre partie.»

Quelques réponses en vrac

Comment peut-on vivre des conflits respectueux?

«Il faut créer un espace mental entre nous, notre point de vue et nos opinions. Votre point de vue n’est pas vous. Essayer de suspendre votre point de vue devant vous pour que tout le monde le regarde ensemble. Si on attaque votre point de vue, on ne vous attaque pas personnellement.»

Comment initier une collaboration dans une organisation archi-hiérarchisée?

On n’élimine pas la hiérarchie. On ne la court-circuite pas non plus. On crée un espace parallèle qui devient un espace d’apprentissage et d’expérimentation.

Faut-il s’entendre sur le problème?

Non, il faut être d’accord sur le fait que nous sommes en présence d’une situation problématique. Mais chacun peut avoir une vision différente du vrai problème. «C’est utile de comprendre le point de vue de l’autre pour avancer, mais on peut accomplir beaucoup de choses ensemble sans être d’accord», conclut Adam Kahane.

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