Cet entrepreneur veut réinventer l'expérience utilisateur du deuil

Publié le 25/07/2019 à 10:25

Cet entrepreneur veut réinventer l'expérience utilisateur du deuil

Publié le 25/07/2019 à 10:25

Par Diane Bérard

David Beaulieu, thanatologue et cofondateur de Fragment, en conférence au Creative Mornings (Photo: Tora Photography)

16 mai 2012

21 juin 2016

19 octobre 2018

Ces dates sont celles du décès de ma mère, de mon père et de mon beau-père. On dit que le deuil est comme ces blessures au genou dont on ne guérit jamais. Elles se manifestent les jours de pluie ou lorsqu’on est fatigué. On s’y habitue. Chaque fois que je vais au guichet automatique, je lève la tête pour regarder un certain balcon, celui de l’appartement où ma mère a habité pendant 10 ans.

Pour mes trois deuils, j’ai vécu trois expériences fort différentes, car le deuil est une expérience. Avec l’accouchement, je crois que c’est l’expérience humaine la plus puissante. Vous me direz qu’elles n’ont rien à voir l’une avec l’autre. La première apporte la joie. La seconde, la peine. Elles ont pourtant un point commun: elles nous changent et changent nos vies pour toujours.

En Gaspésie, un entrepreneur veut réinventer l’expérience utilisateur du deuil. J’ai fait sa connaissance vendredi dernier, à l’espace éphémère Nouvelle Vague, sur la rue de la Commune dans le Vieux-Montréal. C’était lors de la conférence mensuelle Creative Mornings.

Je sais, ça surprend de juxtaposer les termes «expérience utilisateur» et «deuil». «Je les colle volontairement, pour brasser», reconnaît David Beaulieu, cofondateur et PDG de Fragment, une jeune pousse qui veut «renouveler l’expérience funéraire grâce à des produits et des services qui tiennent compte des besoins humains actuels.»

David est thanatologue. Sa vie est une version réelle de la série à succès «Six feet under». Il a grandi «dans» un salon funéraire, l’entreprise de ses parents dont il est aujourd’hui copropriétaire. Aujourd’hui, il habite au-dessus d’un salon funéraire. «Mes enfants jouent autour des corbillards. La mort est un sujet récurrent de nos conversations familiales», dit-il.

En plus d’embaumer des morts, David organise des funérailles, toutes sortes de funérailles. «La demande la plus étrange que nous avons reçue était des funérailles sans le défunt, raconte-t-il. On ne voulait pas que l’urne soit présente au salon, parce que c’était trop morbide. J’ai répondu que des funérailles sans urne ça s’appelle un 5 à 7.»

Je vous l’ai dit plus haut, j’ai vécu trois deuils significatifs. Dans deux cas, les funérailles étaient traditionnelles: un prêtre, une messe et un musicien. Dans le troisième cas, il n’y avait ni messe ni prêtre, à la demande du défunt qui était athée. Ma conclusion, très personnelle: je préfère l’expérience funéraire religieuse imparfaite, poussiéreuse et formattée à l’expérience athée. J’ai besoin de rituels. Il m’a été plus facile de boucler la boucle en présence d’un cadre qu’en l’absence de celui-ci.

«On a oublié que les rituels sont d’abord humains, ensuite religieux, estime David. Nous avons tassé les rituels catholiques, depuis on cherche de nouvelles façons de ritualiser la mort. On ne célèbre plus les funérailles à l’église, mais les salons funéraires ont bâti des salles qu’ils ont nommé chapelles où on a installé des bancs d’église…» Il poursuit, «La plupart des gens quittent les funérailles sans en tirer grand-chose. Nous avons oublié le but ultime de la célébration de la mort. Chaque moment qui suit un décès a une signification. Se réunir et manger des petits sandwiches pas de croûte, par exemple, n’est pas anodin. Le geste de manger nous rappelle que nous sommes encore en vie, que nous continuons à vivre et à avancer, malgré le deuil.»

Une plateforme pour créer un diaporama collectif

David Beaulieu a débuté sa réflexion sur de nouveaux rituels funéraires en se penchant sur le diaporama. Vous savez cet hommage rétrospectif au défunt que l’on présente en boucle au salon. «Comme entrepreneur, je vivais des enjeux techniques. La famille me faisait parvenir des photos de différents formats sur différents supports. On comprend que ce n’est pas leur priorité et que le délai de production est très court. J’ai donc imaginé une plateforme web collaborative où tous ceux qui y sont invités peuvent envoyer des photos. Grâce à l’intelligence artificielle, les photos sont transformées facilement en une vidéo.» Depuis 18 mois, l’entrepreneur vend ce SAS (software as a service) à des salons funéraires au Québec, en Ontario et en Europe.

Cette approche est révolutionnaire. La production du diaporama hommage est habituellement la chasse gardée de la famille du défunt. David estime que cela prive les autres endeuillés d’une expérience utilisateur satisfaisante. «Les gens qui se trouvent dans le 2e et 3e cercle du défunt ont aussi besoin de sentir qu’ils ont compté pour lui. Cela fait partie du processus de deuil. S’ils n’apparaissent sur aucune photo, ils se sentiront exclus. Et puis, les photos avec les chums de pêche, les copines de vélo ou les amis du secondaire donnent un portrait plus complet et juste de la vie du défunt.» Il faut préciser que la plateforme permet d’accorder des droits de filtre aux membres de la famille. Et pour contribuer, il faut être invité.

Une urne connectée créée avec Sid Lee

Après le diaporama, David s’est penché sur le rôle des objets dans le rituel funéraire. Les salons proposent des signets, des livres commémoratifs, des bijoux renfermant des cendres du défunt, des reliquaires, des chandeliers et autres. Autant d’objets transitionnels destinés à adoucir le deuil. «J’ai voulu rendre cette pratique plus contemporaine.» Il rencontre Vincent Ramsay-Lemelin, directeur principal de la création numérique chez Sid Lee Montréal. Ce dernier rassemble une petite équipe exécuter ce mandat peu commun. Ça donne l’urne connectée, un objet rectangulaire. Lorsque vous y approchez votre téléphone intelligent, l’urne s’allume, pour évoquer un lampion. Cela déclenche une application où se trouvent la boîte à souvenirs, le diaporama collectif qui peut être alimenté même après les funérailles, et une application d’accompagnement au deuil. «Elle ne remplace pas la thérapie, insiste le cofondateur de Fragment. Il s’agit de textes, de capsules vidéo, d’activités et de lien avec des groupes de soutien.» L’accompagnement a été développé par Deuil Jeunesse, un organisme destiné aux adolescents endeuillés.

L’urne connectée serait vendue 449$, dans sa version premium. Une version plus petite et plus abordable est prévue. Pour l’instant, Fragment mène une ronde de financement pour créer ces objets.

L’urne connectée remplace-t-elle l’urne traditionnelle, contient-elle les cendres du défunt? «Ce n’est pas sa fonction. Mais elle peut contenir des cendres du défunt.» Rares sont ceux qui conservent l’urne sur le manteau de la cheminée toute leur vie… Alors que faire de l’urne connectée? «Elle fait partie du processus de deuil, il est normal de s’en départir lorsqu’on se sent prêt. C’est une composante du rituel de séparation.» L’équipe de Fragment travaille sur différents scénarios autour de ce rituel. Voici quelques exemples de fin de vie: retourner l’urne connectée à Fragment pour qu’il la transforme et lui donne un autre usage, l’enterrer, la séparer en deux et enterrer la partie qui contient des cendres.

Les défis de Fragment

David Beaulieu est un «vieux routier» de son secteur, mais Fragment est une jeune pousse. Quels sont ses défis à court terme? «Un défi d’influence, dans un secteur qui se montre plutôt lent à se renouveler. Un défi d’innovation, comment créer une expérience humaine à partir d’un objet connecté? Comment éviter le piège du gadget? L’urne connectée n’est qu’un outil. Je dois constamment me rappeler ma mission: redonner un sens à un moment fondamentalement humain.»

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