«8 000 internautes ont choisi le prix et les attributs de notre compote de pommes»


Édition du 22 Septembre 2018

«8 000 internautes ont choisi le prix et les attributs de notre compote de pommes»


Édition du 22 Septembre 2018

Par Diane Bérard

Nicolas Chabanne a du bagout et des idées. Le premier produit de la gamme qu’il a cofondée, « C’est qui le patron ? », la brique de lait (un litre), serait l’innovation agroalimentaire française la plus réussie des 30 dernières années. Comme tous les 18 produits de cette marque, ce sont les consommateurs qui ont choisi le prix, la rémunération du producteur et autres attributs.

Nicolas Chabanne a du bagout et des idées. Le premier produit de la gamme qu'il a cofondée, «C'est qui le patron ?», la brique de lait (un litre), serait l'innovation agroalimentaire française la plus réussie des 30 dernières années. Comme tous les 18 produits de cette marque, ce sont les consommateurs qui ont choisi le prix, la rémunération du producteur et autres attributs.

Diane Bérard - La création de la marque «C'est qui le patron ?» repose sur une question toute simple. Laquelle ?

Nicolas Chabanne - Nous étions au plus fort de la crise agricole française, en 2016. Crise climatique, crise des marchés, désespoir et suicide des agriculteurs... Le ministère de l'Agriculture avait invité notre petit groupe de consommateurs à l'origine de la marque «Les gueules cassées» - créée pour revaloriser les légumes moches - pour échanger. En cours de discussion, le fonctionnaire nous a demandé «Auriez une idée pour dénouer la crise du lait ?». J'ai répliqué par une question : «Combien manque-t-il sur un litre de lait afin que l'éleveur puisse gagner sa vie décemment ?» C'était simple, comme question. Et la réponse fut étonnante : 8 centimes !

D.B. - Parlons du premier produit de la gamme «C'est qui le patron ?», la brique de lait lancée en octobre 2016...

N.C. - Nous sommes partis de ces huit centimes, considérant que chaque Français consomme en moyenne 50 litres de lait par année. On parle de 4 euros par année de plus à débourser pour offrir aux agriculteurs une vie décente. De là, nous avons décidé d'élargir notre réflexion. Nous avons établi un questionnaire dynamique qui ajoute d'autres critères : l'absence d'OGM, la possibilité que l'éleveur prenne des congés, la possibilité que les vaches soient dans un pâturage plutôt qu'en étable, etc. Pour chaque critère coché, le consommateur voit le prix final bouger. Ce questionnaire, et tous ceux qui ont suivi pour nos autres produits ont été créés par Laurent Pasquier, cofondateur de la marque. Il visite tous les acteurs : producteurs, distributeurs, etc. Il s'assure ainsi de recueillir des informations objectives sur les coûts. On propose donc au consommateur une foule d'améliorations possibles : équité, qualité, transparence... Il voit combien ça vaut et décide s'il est prêt à payer.

D.B. - Vous visiez 5 millions de litres de lait, vous en avez vendu 35 millions. Doit-on comprendre que le consommateur est disposé à payer plus cher et que les entreprises laissent de l'argent sur la table ?

N.C. - Non, ce n'est pas ce qu'il faut comprendre. Il faut plutôt conclure que le consommateur est disposé à payer davantage lorsqu'on lui démontre à quoi sert cet argent et qu'il accorde une valeur à ces attributs. Ce sont là deux attentes importantes que la structure de notre marque permet de combler. Le juste prix du lait, ce sont 7 850 internautes qui l'ont décidé à partir du cahier des charges qu'on leur a fourni. Les consommateurs ont une capacité d'arbitrage, pour peu qu'on leur fournisse les renseignements nécessaires.

D.B. - Parlez-nous de la structure de votre organisation.

N.C. - Nous sommes composés d'une société par actions simplifiée (SAS), d'une coopérative, composée de salariés, et de sociétaires. La société par actions mène les études de marché, crée les questionnaires, développe les contrats, recherche et accompagne les fabricants partenaires et assure le lien entre les acteurs. La coopérative choisit les produits développés, contrôle et garantit que ceux-ci sont conformes à leurs attentes, assure le lien avec les consommateurs et devient la porte-parole par des actions de communications ciblées. Les sociétaires, quant à eux, souscrivent une cotisation unique de 1 euro, afin de pouvoir voter pour les produits qu'ils souhaitent développer et les critères qu'ils veulent leur assortir.

D.B. - Et le secteur, comment vous a-t-il accueilli ?

N.C. - Je dirais avec un mélange d'étonnement et d'admiration. Notre démarche combine la spontanéité et le bon sens. Ce n'est pas un modèle d'entreprise courant.

D.B. - Prenons un exemple récent, votre compote de pommes. Pour quels critères les consommateurs ont-ils voté ?

N.C. - Ils ont voté pour des fruits d'origine française, une recette qui n'inclue que des pommes nature, sans sucre ajouté, qui est fabriquée dans une usine française selon des principes écoresponsables et est vendue par paquets de quatre sans suremballage et à un prix qui permet au producteur de profiter de temps libre. Plus de 8 000 consommateurs se sont prononcés.

D.B. - Pourquoi un fabricant manufacturerait-il vos produits plutôt que de se consacrer à sa marque ?

N.C. - Tout simplement parce que les membres de notre coopérative connaissent nos fabricants partenaires. Ils les visitent et voient ce qu'il y a derrière le rideau. Ils observent leurs efforts pour respecter le cahier des charges et les attentes des clients. De là naît une confiance qui rejaillit forcément sur les autres marques du fabricant. C'est ce que nous a dit St-Mamet, le fabricant de notre compote de pommes.

D.B. - Pourquoi la multinationale Bel, qui fabrique, entre autres, les marques Kiri, la Vache qui rit et Babybel, a-t-elle communiqué avec vous ?

N.C. - Bel a augmenté la rémunération de ses fournisseurs sans augmenter ses prix. Elle a aussi retiré les OGM de ses produits. Mais cela n'a eu d'impact ni auprès des consommateurs ni des médias. La direction a communiqué avec nous parce qu'elle a réalisé qu'aujourd'hui, il faut un tiers pour reconnaître les efforts de l'entreprise. Les milliers d'heures d'implication des membres de notre coop chez nos fabricants ont une valeur inestimable.

D.B. - Vous discutez avec Emmanuel Faber, le PDG de Danone. De quoi parlez-vous ?

N.C. - Danone a évalué la possibilité d'utiliser notre lait pour ses yaourts. Cela ne s'est pas concrétisé pour l'instant. Présentement, nous discutons d'une collaboration sur la méthode. Danone veut employer notre façon de cocréer les produits avec les consommateurs. En fait, 50 marques et deux distributeurs, dont Carrefour, souhaitent adopter notre méthode. Je dois toutefois préciser que ce sont les salariés de la coop qui ont décidé que nos questionnaires pourraient être utilisés par d'autres marques que «C'est qui le patron ?»

D.B. - En deux ans, «C'est qui le patron ?» est devenue une gamme de 18 produits. Combien de temps faut-il pour en développer un en suivant votre méthode ?

N.C. - Il faut compter trois mois de préparation pour le questionnaire, puis deux de tests. On peut ensuite lancer la fabrication.

D.B. - Pourquoi une entreprise se ferait-elle dicter le prix de ses produits par les consommateurs ?

N.C. - Parce que cela enlève la contrainte et la souffrance de la négociation de toute la chaîne d'approvisionnement. Vous savez, négocier, ce n'est pas agréable. Notre modèle garantit que le consommateur achètera le produit puisqu'on a exaucé ses souhaits. Nous nous définissons comme une marque utile.

D.B. - D'autres pays veulent répliquer votre formule...

N.C. - En effet, deux entrepreneures américaines nous ont approchés pour lancer la marque «It's my choice», qui s'appuiera sur notre philosophie, notre processus et notre logiciel.

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