Le mégaprojet de port de conteneurs en Nouvelle-Écosse ne menace pas Montréal

Publié le 15/07/2023 à 09:00

Le mégaprojet de port de conteneurs en Nouvelle-Écosse ne menace pas Montréal

Publié le 15/07/2023 à 09:00

Le port de Montréal permet d'exporter et d'importer des marchandises avec des navires qui peuvent se rendre loin au coeur du nord-est de l'Amérique du Nord. (Photo : Administration portuaire de Montréal)

ANALYSE ÉCONOMIQUE. Si le mégaprojet de port de conteneurs en Nouvelle-Écosse suscite plusieurs interrogations dans l’industrie maritime, il ne menace pas vraiment en revanche les activités et le positionnement concurrentiel du port de Montréal, affirment des spécialistes et des sources de ce secteur.

Cette idée de nouveau port de conteneurs en Nouvelle-Écosse ne date pas d’hier. Elle remonte en fait à la fin des années 2000, montre un document du gouvernement néo-écossais. Toutefois, elle est redevenue d’actualité cette semaine, quand le Globe and Mail et La Presse ont publié des reportages à ce sujet.

Il s’agit du projet du groupe Melford International Terminal inc., qui consiste à construire un terminal maritime de 315 acres (environ 240 terrains de football) sur les rives de la ville de Guysborough.

S'il voit jour, ce port deviendrait le quatrième port de conteneurs dans l'est du Canada avec ceux de Montréal, Halifax et Saint John, au Nouveau-Brusnwick.

Melford International Terminal est un groupe dont les administrateurs et les dirigeants comprennent plusieurs hommes d'affaires néo-écossais. Il compte aussi Dan Bordessa, vice-président de Cyrus Capital Partners, un fonds spéculatif basé à New York, selon un dossier d'entreprise consulté par le Globe and Mail.

Selon le quotidien torontois, le gouvernement fédéral considère d’appuyer financièrement ce projet de port en eau profonde en Nouvelle-Écosse, qui serait situé à plus de 200 kilomètres au nord-est du port d’Halifax.

On parle d’un chantier évalué à au moins 350 millions de dollars canadiens (M$).

Toutefois, une source de l’industrie en Nouvelle-Écosse qui requiert l’anonymat, car elle n’est pas autorisée à commenter publiquement le volet politique du dossier, affirme que le projet pourrait en fait atteindre jusqu’à 1,58 milliard de dollars (G$).

Elle appuie ses dires sur une analyse effectuée par une firme indépendante, que Les Affaires a pu consulter en partie.

Selon cette source, le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, pourrait même faire une annonce à ce sujet dans les prochains jours.

L’Administration portuaire de Montréal (APM) a décliné notre demande d’entrevue afin de commenter le projet de Melford International Terminal, tout comme l’Halifax Port Authority (HPA).

Dans un courriel, cette dernière s’est limitée à dire que «le port d'Halifax dispose d'une capacité disponible, d'un plan de croissance sur 50 ans, et qu'il n'y a pas de navires trop grands pour être manutentionnés par le port. Nous avons de la place pour grandir, tout comme le port de Saint John et le port de Montréal ».

 

Plusieurs vents de face pour ce projet

Jacques Roy, spécialiste en logistique à HEC Montréal, ainsi qu'une seconde source de l’industrie (qui requiert aussi l’anonymat, car elle ne peut pas commenter publiquement le projet de Melford International Terminal) estiment que ce projet fait face à plusieurs vents de face, en plus de ne pas menacer vraiment le port de Montréal.

1. Ce projet est situé loin des marchés. Proposé à l’est et non pas à l’ouest d’Halifax, ce projet de port de conteneurs éloigne en fait les futurs clients qui pourraient se servir de cette infrastructure portuaire pour exporter par exemple d’Europe des produits sur la côte est américaine, dans le centre du Canada ou dans le cœur industriel des États-Unis, autour des Grands Lacs.

2. Il va à l’encontre de la logique économique maritime. Dans cette industrie, plus une marchandise navigue longtemps sur l’eau, moins elle est couteuse à transporter. C’est pourquoi le port de Montréal n’est pas menacé par ce projet, et ce, pour les marchés du centre du Canada, du Midwest américain et des Grands Lacs.

 

Plus une marchandise navigue longtemps sur l’eau, moins elle est couteuse à transporter. (Photo: 123RF)

3. Ce terminal générera plus de pollution et de GES. Comme ce projet est très éloigné des marchés, le transport intermodal (par train et par camion) pour y acheminer ou en faire sortir des marchandises générera plus de pollution atmosphérique et d’émissions de gaz à effet de serre (GES).

Selon les Armateurs du Saint-Laurent, le transport maritime consomme moins de carburant et émet moins de GES. Par exemple, un litre de carburant permet de parcourir 243 km en bateau, comparativement à 213 km en train et à 35 km en camion. Par ailleurs, le bateau émet 11,9 grammes de CO2 par tonne métrique par kilomètre comparativement à 14,2 grammes pour le train et 75,5 grammes pour le camion.

4. Ce futur port n’est pas lié au réseau ferroviaire. Contrairement aux ports de Montréal et d’Halifax, le futur terminal de Guysborough ne serait pas lié au réseau du Canadien National (CN), comme on peut le constater sur le site du transporteur ferroviaire. Non seulement cela nécessiterait des investissements importants pour relier le futur site portuaire au réseau du CN, mais cela risquerait aussi de réduire les capacités de transport intermodal du port d’Halifax.

5. Les ports américains peuvent accueillir de grands navires. Comme le souligne un spécialiste du transport maritime cité par La Presse, les ports de la côte est américaine ont effectué ces dernières années des travaux de dragage. Ils peuvent ainsi accueillir de gros porte-conteneurs à l’instar du projet de Melford International Terminal. 

6. Le rendement sur l’investissement est incertain. La rentabilité à long terme de ce nouveau mégaprojet de port de conteneurs en Nouvelle-Écosse est aussi un facteur à prendre en considération. Dans l’industrie des ports, il faut compter de 30 à 40 ans pour espérer réaliser un rendement sur l’investissement.

Tout dépend bien entendu de la mise de fonds initiale (500 M$, 1,6G$, 2 G$, voire plus?), mais aussi de facteurs comme les coûts de construction, l'inflation, le coût du capital et les revenus générés par l’activité portuaire. Il faut aussi notamment garder en tête que la concurrence – à commencer par celle du port d’Halifax – ne se laissera pas prendre des parts de marché sans contrattaquer.

 

Les analystes ont-ils des angles morts?

Comme on peut le constater, ce projet fait face à de nombreux défis géographique, économique, financier, sans parler de considérations environnementales, alors que les critères ESG sont de plus en plus importants aux yeux des consommateurs, des entreprises et des investisseurs – et, en principe, des gouvernements.

Ce projet peut-il voir le jour dans les prochaines années, voire décennies? C’est du reste possible, car nous ne sommes pas dans la tête de ses promoteurs.

De plus, les analystes extérieurs à ce dossier ont sans doute des angles morts.

Par exemple, ce futur terminal pourrait-il être une plaque tournante de transbordement, et ce, pour faire ensuite du transport maritime courte distance avec de plus petits bateaux dans les Maritimes, au Québec et sur la côte est des États-Unis?

Cela dit, reste encore la logique économique maritime dans ce scénario : pourquoi faire deux transports maritimes sur l’océan et le fleuve Saint-Laurent pour une même marchandise, alors qu’on peut en faire un seul?

À suivre...

 

 

À propos de ce blogue

Dans son analyse bimensuelle Dans la mire, François Normand traite des enjeux auxquels font face les entrepreneurs aux quatre coins du Canada, et ce, de la productivité à la pénurie de la main-d’œuvre en passant par la 4e révolution industrielle ainsi que la gestion de l’énergie et des ressources naturelles. Journaliste à «Les Affaires» depuis 2000 (il était au «Devoir» auparavant), François est spécialisé en ressources naturelles, en énergie, en commerce international et dans le manufacturier 4.0. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières, et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke.

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