Et si François Legault s'inspirait de l'autre modèle allemand?

Publié le 01/10/2022 à 09:00

Et si François Legault s'inspirait de l'autre modèle allemand?

Publié le 01/10/2022 à 09:00

Avec 37% des intentions de vote, la CAQ de François Legault pourrait récolter près de 80 des 125 sièges à l’Assemblée nationale. (Photo: La Presse canadienne)

ANALYSE ÉCONOMIQUE. Le premier ministre sortant François Legault vante souvent et avec raison le dynamisme du modèle économique allemand et son fameux secteur manufacturier. Le chef de la Coalition avenir Québec (CAQ) aurait tout intérêt à s’intéresser aussi au modèle électoral allemand, qui fait du pays de Goethe l’une des démocraties libérales les plus stables et représentatives au monde.

Le Québec — l’une des plus vieilles démocraties, qui tient des élections depuis 1792, à l’époque, dans le Bas-Canada — a lui aussi un système politique très stable, inspiré du parlementarisme britannique.

En revanche, on peut sérieusement remettre en question la représentativité de son système électoral (comme l'ont fait plusieurs partis politiques dans l'histoire du Québec, mais qui ont renoncé à changer le système une fois au pouvoir), c’est-à-dire un scrutin uninominal majoritaire à un tour.

Selon François Legault, cette problématique «n’intéresse que les intellectuels». Non seulement c’est faux, mais cela sous-estime aussi le fait que chaque citoyen et chaque citoyenne souhaite que son vote compte vraiment.

Voici quelques chiffres pour comprendre cette problématique.

Selon le dernier sondage Léger sur les intentions de vote des Québécois (réalisé après le second débat des chefs), la CAQ a récolté 37% des voix, suivie par Québec solidaire (17%), le Parti libéral du Québec (16%), le Parti québécois (15%) et le Parti conservateur du Québec (15%).

Or, avec ces intentions de vote, le parti de François Legault pourrait récolter près de 80 des 125 sièges à l’Assemblée nationale.

Cela représente les deux tiers des circonscriptions avec seulement un peu plus du tiers des voix, selon les dernières projections du site Qc125, qui produit des analyses et des projections électorales.

De leur côté, les libéraux, les solidaires et les péquistes pourraient respectivement récolter 20, 10 et 3 sièges. Les conservateurs d’Éric Duhaime pourraient même ne gagner aucun siège, selon les projections de Qc125.

Comme l’a expliqué publiquement à maintes reprises Jean-Pierre Charbonneau, président du Mouvement Démocratie nouvelle et ex-député du PQ, le système électoral québécois peut créer deux distorsions.

 

Les deux distorsions

D’une part, des partis peuvent être surreprésentés ou sous-représentés au terme d’une élection. Ce sera par exemple le cas de la CAQ au lendemain du scrutin, le 4 octobre. Elle sera surreprésentée, car elle bénéficiera d’une grande majorité à l’Assemblée nationale, alors que 6 Québécois sur 10 n’auront pourtant pas voté pour elle.

D’autre part, notre système peut faire en sorte qu’un parti récoltant la majorité des voix se retrouve dans l’opposition en raison de la répartition des sièges. Cela n’arrivera pas lundi. À vrai dire, ce scénario était davantage probable quand le bipartisme était la norme dans la vie politique québécoise, par exemple à l’époque du duo PLQ-PQ.

C’est dans ce contexte qu’il est bon de s’intéresser au modèle électoral allemand, à commencer par François Legault dans un second mandat.

En 1949, quatre ans après la fin la Deuxième Guerre mondiale, les Allemands de l’Ouest ont créé la République fédérale d’Allemagne (RFA), une jeune démocratie libérale, alors qu’était créée la même année la République démocratique allemande (RDA), une dictature communiste sous l’influence de Moscou.

Or, pour élaborer leur système électoral, les Allemands de l’Ouest se sont grosso modo inspirés de ce qui se faisait de mieux dans le monde.

Aujourd’hui, l’Allemagne réunifiée est une république parlementaire qui un système électoral mixte.

Cela signifie que la moitié des députés sont élus comme au Québec, avec un scrutin uninominal majoritaire à un tour. L’autre moitié est élue par le biais d’un scrutin proportionnel.

Chaque citoyen allemand se prononce toutefois dans les deux modes scrutins. Les votes sont ensuite répartis pour attribuer les sièges au Bundestag (le parlement allemand).

Fait important: un parti doit récolter au moins 5% des voix au niveau national afin de pouvoir siéger au Bundestag.

 

Le système allemand permet d’avoir toujours un bipartisme, mais avec la présence de quelques petits partis, et ce, aussi bien à gauche qu’à droite de l’échiquier politique. (Photo: 123RF)

Allemagne, entre bipartisme et diversité politique

Le système électoral allemand donne des résultats très intéressants.

Ce système mixte permet d’avoir toujours un bipartisme, mais avec la présence de quelques petits partis, et ce, aussi bien à gauche qu’à droite de l’échiquier politique.

Par exemple, la coalition au pouvoir actuellement en Allemagne est dirigée par les sociaux-démocrates du chancelier Olaf Scholz, de concert avec les écologistes et les libéraux.

En revanche, le Bundestag compte aussi plusieurs députés du groupe CDU/CSU (les conservateurs), la deuxième formation politique en importance, mais aussi de l’AfD (extrême droite) et de Linke (extrême gauche).

Ce système électoral assure une stabilité et une bonne représentativité aux Allemands, contrairement à l’Italie, dont les gouvernements sont élus et défaits à répétition. Depuis la création de la république en 1946, l’Italie a connu 67 gouvernements, si l’on exclut celui qui été élu le 25 septembre.

Fait méconnu, l’Italie a aussi un système mixte. En revanche, ce sont les deux tiers des députés qui sont élus au scrutin proportionnel et un tiers seulement au scrutin uninominal majoritaire à un tour.

Bien entendu, le Québec n’est pas obligé d’adopter de jour au lendemain le système électoral mixte de l’Allemagne.

On pourrait par exemple très bien imaginer une formule où 25% des députés québécois seraient élus au scrutin proportionnel et 75% comme à l’heure actuelle. Après quelques élections, nous pourrions au besoin nous rendre jusqu’à 50%, comme en Allemagne.

L’implantation même partielle d’un mode de scrutin proportionnel changerait notre culture politique.

Non seulement la voix des électeurs serait mieux représentée à l’Assemblée nationale, mais ce changement forcerait aussi sans doute la création de coalitions ou d’alliances entre des partis, comme le permet déjà du reste notre système politique, au fédéral et au provincial.

Avec cinq partis politiques (dont quatre pratiquement à égalité dans les intentions de vote), le scrutin uninominal majoritaire à un tour au Québec n’a plus vraiment de sens.

Il crée de plus en plus d’anomalies électorales, comme nous en serons encore témoin ce lundi, et ce, peu importe votre allégeance politique.

D’aucuns diront que le Québec est une démocratie stable et qu’il pourrait être risqué, voire téméraire, de changer ainsi nos traditions démocratiques.

 

La vieille démocratie québécoise doit évoluer

Après 230 ans d’élections (dans le Bas-Canada et au Québec, depuis 1867), la société québécoise peut certainement se permettre un peu d’audace et faire confiance à sa culture démocratique exemplaire dans le monde.

Cela renforcerait sa vie politique sur des enjeux aussi fondamentaux que la lutte aux changements climatiques, par exemple.

Osons poser la question.

Trouvez-vous normal que la CAQ — qui remportera selon toute vraisemblance les deux tiers des sièges à Québec avec un peu plus du tiers des voix — puisse imposer aux Québécois sa stratégie climatique qui manque cruellement d’ambitions, selon la plupart des spécialistes?

Pendant ce temps, au moins 48% des Québécois — la somme des intentions de vote de QS, du PLQ et du PQ — souhaitent qu’on en fasse beaucoup plus en matière d’environnement.

Depuis quelques années, des usines aux quatre coins du Québec se modernisent en s’inspirant du manufacturier intelligent ou dit 4.0, un système de production inventé en Allemagne au tournant des années 2010.

Cette stratégie industrielle au Québec — poussée en grande partie par les gouvernements libéral et caquiste — a contribué à faire renaître notre secteur manufacturier.

L’autre modèle allemand pourrait aussi contribuer à faire renaître notre système électoral.

À propos de ce blogue

Dans son analyse bimensuelle Dans la mire, François Normand traite des enjeux auxquels font face les entrepreneurs aux quatre coins du Canada, et ce, de la productivité à la pénurie de la main-d’œuvre en passant par la 4e révolution industrielle ainsi que la gestion de l’énergie et des ressources naturelles. Journaliste à «Les Affaires» depuis 2000 (il était au «Devoir» auparavant), François est spécialisé en ressources naturelles, en énergie, en commerce international et dans le manufacturier 4.0. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières, et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke.

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