Blocus: les entreprises étrangères ne bouderont pas le Canada

Publié le 19/02/2022 à 08:00

Blocus: les entreprises étrangères ne bouderont pas le Canada

Publié le 19/02/2022 à 08:00

L'occupation d’Ottawa et le blocus momentané du pont Ambassador ont sans doute surpris bien des chefs d’entreprise et des investisseurs dans le monde. (Photo: La Presse Canadienne)

ANALYSE ÉCONOMIQUE. Il y a plus de peur que de mal. Si le passé est garant de l’avenir, la crise des «convois de la liberté» n’aura pas d’impact notoire sur l’intérêt que portent les entreprises et les investisseurs étrangers au marché canadien.

Depuis le début de la crise (qui connaît son dénouement avec l’intervention policière à Ottawa depuis ce vendredi pour déloger les derniers manifestants), des observateurs ont dit craindre que l’image du Canada ne soit ternie par les blocus dans la capitale fédérale et ailleurs au pays.

Certes, l’occupation d’Ottawa et le blocus momentané du pont Ambassador (reliant Windsor, en Ontario, à Détroit, au Michigan) ont sans doute surpris bien des chefs d’entreprise et des investisseurs dans le monde, et ce, de Berlin à New York.

Après tout, s’il y a un pays qui est reconnu pour sa stabilité politique exemplaire (des médias internationaux parlent même d’une société canadienne où il ne se passe jamais rien), c’est bien le Canada.

Du moins, c’était le cas il y a encore trois semaines…

Pour autant, il n’y a pas vraiment lieu de craindre que des entreprises ou des investisseurs boudent l’économie canadienne en raison de cette crise qui, aussi grave soit-elle, n’a rien à voir par exemple avec une attaque terroriste de grande envergure.

 

Mettons les choses en perspective

«On est loin de l’attaque terroriste dans le métro de Londres», souligne Christian Bourque, vice-président exécutif et associé chez Léger, en faisant référence à la crise politique qui afflige le Canada depuis trois semaines.

Le 7 juillet 2005, des terroristes ont coordonné quatre attentats dans le système de transport en commun de la capitale britannique, qui ont fait 56 morts et plus de 700 blessés.

À l’époque, cette attaque avait eu un impact économique important, faisant reculer la livre sterling par rapport au dollar américain.

La Bourse de Londres avait même dû prendre des mesures pour restreindre les ventes de panique, rappelle une analyse de la Chambre de commerce indienne du Luxembourg, portant sur l’impact financier du terrorisme sur l’économie, les marchés financiers et le tourisme.

«Les attentats de Londres ont provoqué une détérioration de l'économie qui allait déjà mal pendant cette période, soulignent les auteurs de l'analyse. […] Les gens avaient plus peur de se rendre à Londres après les attentats à la bombe, qui ont affecté l'industrie du tourisme en Grande-Bretagne et, par conséquent, l'économie.»

On voit bien que le contexte est totalement différent au Canada: non seulement cette violence extrême est absente, mais les autorités sont en train de reprendre le contrôle de la situation — même si elles auraient dû agir plus rapidement.

D’autres éléments permettent de mettre en perspective l’impact limité que peut avoir l’image ternie d’un pays sur l’investissement direct étranger (IDE).

 

Les investissements n’ont pas reculé aux États-Unis

Par exemple, durant les quatre années où le républicain Donald Trump a été au pouvoir (de janvier 2017 à janvier 2021), l’IDE aux États-Unis a augmenté de manière constante, progressant de 17,2% durant l’ensemble de cette période.

Aussi, malgré les frasques du président et ses politiques économiques souvent hostiles aux autres pays, les États-Unis ont continué d’attirer des entreprises et des investisseurs étrangers.

L’évolution des exportations canadiennes sur le marché américain renforce aussi l’argument selon lequel l’image d’un pays à l’étranger n’influence pratiquement pas la conduite des affaires.

Continuons l’analyse avec l’administration Trump.

Ainsi, de 2017 à 2019 (j'exclus 2020 en raison de la pandémie de COVID-19 qui a fait chuter le commerce cette année-là), les exportations canadiennes de marchandises aux États-Unis ont progressé de 8% pour atteindre 446,6 milliards de dollars canadiens.

 

Malgré les frasques du président et de ses politiques économiques souvent hostiles aux autres pays, les États-Unis ont continué d’attirer des entreprises et des investisseurs étrangers. (Photo: Getty Images)

Durant le second mandat de l’administration démocrate de Barack Obama (de janvier 2013 à janvier 2017), qui a aussi renforcé des mesures protectionnistes (Buy American, Buy America), les exportations canadiennes au sud de la frontière ont augmenté de 10%.

 

Même Israël continue d'attirer les investissements

Enfin, même si le cas d’Israël est bien imparfait, il démontre qu’un pays situé dans une région instable, qui a lui-même des tensions internes et une réputation controversée, peut continuer d’attirer des investisseurs étrangers.

Ainsi, de 2009 à 2019, les IDE en Israël ont progressé très rapidement dans ce pays de 9 millions d’habitants, que l’on surnomme «start-up nation», notamment en raison de l’écosystème technologique de la métropole Tel-Aviv.

Certes, la stabilité politique d’un pays est un critère important quand vient le temps de prendre la décision d’y investir, mais ce n’est pas le seul qui pèse dans la balance.

Les chefs d’entreprise et les investisseurs analysent bien d’autres facteurs.

Mentionnons la qualité et la disponibilité de la main-d’œuvre, la présence d’une économie dynamique, la prévisibilité réglementaire, sans parler de la taille du marché national – et de sa proximité avec d’autres marchés intéressants.

C’est la raison pour laquelle la mauvaise image que le Canada a pu projeter dans le monde ces dernières semaines ne devrait pas nous inquiéter outre mesure.

Le marché canadien offre un environnement d’affaires très intéressant et dynamique, qui fait l’envie de biens des pays dans le monde, en plus d'être collé sur les États-Unis.

Et ce n’est certainement pas les «convois de la liberté» qui vont changer cette réalité et, surtout, la perception de cette réalité.

 

À propos de ce blogue

Dans son analyse bimensuelle Dans la mire, François Normand traite des enjeux auxquels font face les entrepreneurs aux quatre coins du Canada, et ce, de la productivité à la pénurie de la main-d’œuvre en passant par la 4e révolution industrielle ainsi que la gestion de l’énergie et des ressources naturelles. Journaliste à «Les Affaires» depuis 2000 (il était au «Devoir» auparavant), François est spécialisé en ressources naturelles, en énergie, en commerce international et dans le manufacturier 4.0. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières, et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke.

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