Les défis de l'entreprise familiale


Édition du 14 Décembre 2013

Les défis de l'entreprise familiale


Édition du 14 Décembre 2013

CHRONIQUE. Dépendamment de la définition que l'on veut bien attribuer à ce type de structure, selon le Centre international des familles en affaires McGill-HEC, près de 80 % des entreprises dans le monde sont familiales, et Statistique Canada estime qu'elles correspondent à environ 75 à 85 % des emplois existants au pays. Le Québec n'échappe pas à cette tendance ; parmi les 300 plus importantes PME, les deux tiers sont des entreprises familiales.

Si elles jouent un rôle primordial dans notre économie, les entreprises familiales se heurtent toujours à un certain nombre de difficultés, la principale étant la capacité de savoir séparer les trois entités que sont la famille, les actionnaires et l'entreprise.

Cette réalité, je la vis au quotidien depuis de très nombreuses années puisque non seulement mes quatre enfants, mais aussi mon neveu et mon conjoint font partie de l'entreprise que j'ai fondée et que je dirige, et dont mon frère a fait longtemps partie avant de prendre sa retraite. Si très vite j'en ai apprécié des avantages tels que l'intégrité, la loyauté, l'implication ou encore l'engagement vers des objectifs communs, j'en ai aussi mesuré les innombrables difficultés, la première étant à mon avis le népotisme, cette tendance naturelle à favoriser l'ascension des membres de sa famille dans la hiérarchie au détriment du mérite et de l'intérêt général.

Heureusement, mes enfants ont tous fait des études qui répondaient aux besoins de l'entreprise et même s'ils s'y sont joints de leur plein gré, ils ont tous commencé au bas de l'échelle. C'est par leur travail qu'ils ont pu gravir les échelons. Ainsi, Linda est aujourd'hui la vice-présidente de l'entreprise et la directrice du service de formation, Nawel en est la directrice générale, Amel dirige le service à la clientèle et Kader est responsable de toute la communication sur le Web.

Failli baisser les bras

Si leur implication, leur professionnalisme et leurs compétences m'assurent une grande sécurité et une précieuse tranquillité d'esprit, je fus aussi particulièrement tracassée par les absences successives et très rapprochées de mes filles lors de leurs grossesses. Impossible de recruter des cadres pour de si courtes périodes. J'avais l'immense joie d'être grand-maman, mais j'étais épuisée par d'interminables journées de travail qui ne me laissaient même pas le temps de profiter de mes petits-enfants. Ce fut l'une des rares fois dans ma vie où j'ai failli baisser les bras, et j'aurais pu céder l'entreprise sans l'intervention de celles qui, justement, en avaient involontairement perturbé le fonctionnement. Mes filles ont su me remotiver et se libérer de certaines de leurs contraintes de mamans ou de futures mamans pour être malgré tout présentes. À cette époque, j'ai même aménagé une salle dans les locaux pour y installer confortablement les bébés pendant que leurs mamans vaquaient aux tâches les plus importantes et urgentes de l'entreprise. C'est finalement ensemble que nous avons traversé cette période. C'est ensemble que nous avons réussi.

Si la famille reste le nerf de la guerre, elle est aussi très émotive. La mise sur pied d'un conseil de famille peut être très bénéfique, pour s'entendre sur les valeurs bien sûr, mais aussi pour déterminer qui a la compétence voulue pour travailler dans l'entreprise.

Mais même lorsque l'entente est parfaite, les difficultés demeurent très présentes dans les entreprises familiales. Outre la tendance au népotisme, il faut généralement admettre certaines faiblesses dans la formation en gestion, des problèmes de motivation, d'organisation et de délégation, et surtout le peu d'utilisation de l'expertise externe. Et quand c'est le cas, il faut savoir veiller à l'équité face aux employés et aux cadres. C'est sans évoquer les problèmes de succession et de partage des avoirs... Seulement 30 % des entreprises familiales réussiront le passage à la deuxième génération ! Et que dire du véritable conflit intérieur parfois vécu par une maman présidente ? Comment redevenir une mère aimante et affectueuse le soir après une altercation sévère dans la journée avec un collaborateur ou un cadre qui n'est nul autre que son enfant... Un véritable défi où chacun des deux doit aller vers l'autre en faisant preuve d'une grande force de caractère et, surtout, de beaucoup d'amour et de respect.

Présidente et maman heureuse

Si je n'en suis pas encore à songer à ma succession, j'avoue vivre une situation privilégiée, entourée des miens dans une structure qui ne cesse de se développer. Mes collaborateurs semblent heureux d'évoluer dans une entreprise où ils se sentent respectés et écoutés. Tous s'entendent parfaitement avec mes enfants, qui avouent eux-mêmes s'épanouir dans leur travail et dans une société qu'ils ont choisi de rejoindre de leur plein gré. Je suis une présidente heureuse, une maman et une grand-maman comblée. J'attends toujours avec impatience la fin de semaine pour avoir le plaisir de retrouver toute ma grande famille autour d'une bonne table, où nous évitons autant que possible de parler de notre travail. Je vous avoue avoir hâte de tous les retrouver pour que, ensemble, nous fêtions Noël et célébrions une nouvelle année... que je vous souhaite merveilleuse et remplie de belles surprises. Joyeuses fêtes à tous, et rendez-vous en 2014 !