Le ruban bleu


Édition du 14 Octobre 2017

Le ruban bleu


Édition du 14 Octobre 2017

Le 5 octobre dernier, j'ai eu l'honneur d'être reçue par Catherine Feuillet, consule générale de France à Montréal, à l'occasion de la remise de médaille qui me faisait chevalière de l'Ordre national du Mérite. Institué en France en 1963, cet ordre est, avec la Légion d'honneur, l'un des principaux ordres nationaux français. Il a pour vocation de récompenser les «mérites distingués», de traduire le dynamisme de la société, de donner valeur d'exemple et de reconnaître la diversité.

Je ne vous cacherai pas que mes pensées sont allées vers ma mère, qui aurait largement mérité une telle distinction tant elle a donné sans jamais recevoir, tant elle s'est battue et tant elle a souffert. Je ne vous cacherai pas non plus que j'ai eu une pensée émue pour ce père militaire que je n'ai jamais connu, ce père qui a déserté l'armée allemande au lendemain de la Seconde Guerre mondiale pour finalement servir la France au sein de la Légion étrangère. En recevant cette médaille, j'ai eu l'intime conviction que c'était aussi mes parents qu'on honorait. Si, quelque part là-haut, ils sont heureux pour leur fille, j'aimerais leur dire combien je suis fière de les avoir eus comme parents.

Outre ce ressenti et ces émotions toutes personnelles, j'ai pris le temps de faire une analyse un peu plus factuelle et moins sentimentale. Si c'est avec un immense honneur et beaucoup de fierté que j'ai reçu le ruban bleu lors de la réception organisée à la Résidence de France, ce n'est pas vraiment de moi que j'aimerais vous parler aujourd'hui, mais de tous les symboles que cette médaille représente et des réflexions que cette nomination m'a inspirées.

C'est d'abord une femme que la France honore. Alors qu'au sein des institutions, des entreprises, des conseils d'administration, l'objectif de parité peut encore sembler bien lointain, j'apprécie particulièrement le fait que la moitié des chevaliers de l'Ordre national du Mérite pour des promotions civiles soient des femmes. Cette exemplarité est louable, et nous ne pouvons qu'espérer qu'elle serve d'exemple dans bien d'autres domaines.

C'est aussi une Québécoise qui reçoit le ruban bleu, de la part d'une institution française dont l'un des objectifs est la promotion de valeurs solides et pérennes. Cette distinction émane d'un pays qui a pour devise «Liberté, égalité, fraternité», un message fort qui résonne particulièrement pour la citoyenne québécoise et canadienne que je suis, et que je pense véritablement inspirant en termes d'identité et de valeurs partagées.

Une femme, une Québécoise, mais aussi une immigrée. Il s'agit là d'un aspect qui fait écho au contexte sociétal actuel, où l'amalgame entre multiculturalisme, fanatisme et terrorisme est si courant, et où les positions de nos gouvernements sont parfois difficilement déchiffrables. Je veux voir dans ce symbole de la décoration d'une immigrée un signe que les concepts les plus élémentaires d'intégration et de mieux-vivre ensemble sont toujours d'actualité, et qu'ils sont certainement les meilleurs remparts contre les mouvements extrémistes de plus en plus présents et inquiétants.

Enfin, c'est avant tout une entrepreneure qui est honorée, et donc, d'une certaine façon, tout le monde des affaires dans lequel j'évolue. J'en suis convaincue, les entrepreneurs de notre pays sont créatifs, ingénieux et compétents. Certains d'entre eux rayonnent partout sur la planète, alors que, paradoxalement, ils peinent parfois à être reconnus chez eux. À mes yeux, il est temps que cela change et que notre société mette en valeur son talent en la matière par autre chose qu'un trophée remis au cours d'une soirée de gala.

Dernier élément : bien que je sois parfaitement trilingue, c'est à une francophone, résidente d'une province francophone, que cette distinction a été remise par la France. Cela m'amène à vous rappeler que le français est parlé par 274 millions de locuteurs dans le monde, ce qui en fait la cinquième langue la plus utilisée de la planète, mais aussi la deuxième langue la plus apprise après l'anglais. Alors même que l'Accord de libre-échange nord-américain suscite des inquiétudes au Canada, particulièrement au Québec, et que la diplomatie états-unienne semble plus que jamais incertaine, il est urgent en tant qu'entrepreneurs de porter une attention toute particulière aux autres marchés qui s'offrent à nous et notamment aux marchés francophones. Parmi eux, l'Afrique, dotée de richesses naturelles exceptionnelles, est un continent où le français est parlé par 115 millions de personnes et qui, d'ici 2050, regroupera 85 % des francophones du monde ! Cela a de quoi inspirer...

Vous l'avez compris, je suis très fière d'avoir obtenu cette reconnaissance de la France, mais, que vous soyez femme, entrepreneur(e), québécois(e) ou immigré(e)... ce petit ruban bleu est aussi le vôtre, car c'est ensemble que nous bâtissons notre société et que nous participons à son évolution !

Biographie
Danièle Henkel a fondé son entreprise en 1997, un an après avoir créé et commercialisé le gant Renaissance, distribué partout dans le monde. Mme Henkel a été plusieurs fois récompensée pour ses qualités de visionnaire et son esprit entrepreneurial. Elle a été juge dans la téléréalité à caractère entrepreneurial Dans l'oeil du dragon, diffusée à Radio-Canada.