Restaurateurs, vous laissez de l'argent sur la table!

Publié le 15/02/2024 à 10:35

Restaurateurs, vous laissez de l'argent sur la table!

Publié le 15/02/2024 à 10:35

«C'est non seulement une question économique, c'est aussi une question d'expérience client», estime Daniel Lafrenière. (Photo: 123RF)

EXPERT INVITÉ. Comment dans le contexte économique actuel un restaurateur peut-il se permettre de laisser 5 $, 10 $ voire 15 $ sur la table? Comment un serveur peut-il se permettre de ne pas majorer son pourboire en augmentant l’addition?

Attention, je ne parle pas de vente forcée ici. Je parle de vente suggestive. D’autant plus que lorsque je suis dans un restaurant, je suis disposé à me faire proposer de la nourriture et des breuvages.

Loin de moi l’idée de vouloir faire la leçon à qui que ce soit. Les restaurateurs ont tout mon respect et toute mon admiration. Cependant, je ne peux m’empêcher de constater que certains ratent une réelle occasion en ne proposant ni café ni dessert à la fin d’un repas.

 

Un café et un dessert peuvent-ils faire la différence?

Certains diront que ce n’est pas en vendant un café et un dessert de plus par personne que ça va changer les choses. Sortons notre calculatrice. Imaginons 50 couverts × 2 repas × 10 $ × 6 jours = 6 000 $ par semaine. Ce qui équivaut à 312 000 $ par an. Est-ce moi où ce montant est non négligeable? Et j’ai été prudent dans mes prix. Ça fait belle lurette que les desserts ne coûtent plus 5 $. On parle plus de 8 $, 10 $, voire 15 $ selon l’établissement.

Alors je repose ma question: comment un restaurateur peut-il se permettre de laisser cet argent à portée de main sur la table? Un client au restaurant est semblable à celui qui regarde les voitures (quand la salle d’exposition n’est pas vide!) chez un concessionnaire automobile. Il est là. Il a pris la peine de se déplacer. Il est ouvert aux suggestions et la probabilité qu’il accepte une offre est plutôt élevée. Pourquoi alors si peu de restaurateurs ne présentent pas, ou présentent de façon maladroite ou désintéressée ce qui constitue une fin agréable à un bon repas?

 

L'art d'encourager ou de décourager l'achat

Pour mon travail — je dois me déplacer souvent —, lors de mes vacances et le weekend, je suis souvent au restaurant. Ça va du McDonald’s au St-Hubert, en passant par La Cage, le Café Krieghoff ou le Holder quand je veux me faire plaisir.

Par déformation professionnelle, je ne peux m’empêcher d’analyser les moindres gestes des serveurs, de leur approche et de leur attitude face aux clients, de la façon dont ils suggèrent ou pas de ventes complémentaires. Voici cinq scénarios observés dans différents restaurants d’ici et d’ailleurs lorsque j’ai terminé mon repas principal.

1. Le précoce: Le serveur précoce ne lésine pas sur l’efficacité (#ironie). Il a conclu qu’une assiette sur le point d’être vide signifie qu’il doit se précipiter pour vous remettre l’addition. J’ai vécu cette expérience à maintes reprises dans de grandes chaines américaines de restaurants familiaux (parfois, les choix sont limités lorsqu’on est dans ce qu’on appelle «l’Amérique profonde»). Je suis surpris chaque fois que je vis cette expérience. Et puis pour savoir si on a bien mangé, le serveur me dit «Are you full?», «Êtes-vous plein?» comme si le fait d’avoir une panse sur le point d’exploser est LE critère d’appréciation de l’expérience au restaurant. Seulement aux États-Unis… ;)

2. Le gêné: «Vous avez terminé?» exprimé timidement. Hum, je crois que oui! Mon assiette est vide. Puis il me dit sans façon «L’addition?». Disons que ce n’est pas trop fort sur la vente complémentaire. J’avais peut-être pensé, songé à tricher un peu et à manger un dessert, mais là, je me dis qu’on ne veut vraiment pas me vendre, alors je ne veux vraiment pas acheter.

3. Le poli: Ce troisième scénario est mieux, mais à peine. La phrase «Un café, un dessert?» dite tel un robot par un serveur automate n’a rien pour m’inspirer. De quel café et de quel dessert parle-t-on? Wow, ça me fait vraiment saliver (#ironie). Non. Encore là, on laisse de l’argent sur la table. C’est un peu l’inverse du fameux pouding au pain de l’Arkansas ou de la tarte aux bleuets du Maine qui sont systématiquement offerts à la fin d’un repas dans ces deux états. «Je suis là, sers-moi ton dessert!», me dis-je chaque fois qu’on est frileux sur l’offre complémentaire.

 

 

4. Le sympathique: Bon, là on commence à jaser. «Un bon cappuccino pour conclure ce repas? Nous avons un brownie au chocolat. J’en ai mangé avant le service. On goûte bien l’arôme du chocolat et ce n’est pas trop sucré. La portion est raisonnable. Je vous en sers un morceau?»

5. Le passionné: «Un cappuccino déca comme d’habitude? Si je me souviens bien, vous avez la dent sucrée. On a un brownie au chocolat. C’est absolument dé-li-cieux! Et en plus, ça ne tombe pas sur le cœur. Je vous apporte ça?» OK. Wow, là on jase! Petite mise en contexte pour que vous compreniez ce qui vient de se passer. J’étais dans un restaurant de Québec. La serveuse qui s’est adressée à moi étant auparavant barista à mon Starbucks préféré. Elle s’est souvenue de moi, de mon café préféré et de mon attrait naturel vers le sucre. C’est ce que l’on appelle une expérience client cinq étoiles.

D'après vous, qui aura le plus de chance de vendre un café et un dessert?

 

Les clients aiment les ventes complémentaires

En passant, il n’y a rien de mal à la vente complémentaire, ce qu’on appelle communément «cross-selling» dans la langue d’Anthony Bourdain. Lorsque je suis au restaurant, je suis disposé à me faire offrir quelque chose à manger, à découvrir une nouvelle saveur, et parfois à me gâter un peu. De grâce, parlez-moi de votre cuisine avec passion, faites-moi saliver, donnez-moi le goût d’en manger. Si votre restaurant ne consiste qu’à préparer un repas et à l’apporter de la cuisine à la table, vous risquez de ne pas faire long feu.

L’industrie de la restauration n’a jamais été facile. Les marges sont minces. L’inventaire est périssable. Trouver du personnel est — ou devrais-je dire a toujours été — difficile. On est à la merci de la météo ou d’une pandémie. Bref, tenir un restaurant est souvent une vocation. Et ceux qui s’en sortent le mieux sont ceux qui sont fiers de leurs produits et qui n’hésitent pas à nous faire des suggestions de découverte ou de petits plaisirs pour clore un repas en solo, en couple ou entre amis.

C’est non seulement une question économique, c’est aussi une question d’expérience client.

 

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À propos de ce blogue

De kessé l’expérience client se veut un blogue pour les dirigeants, responsables de l’expérience client, et toute personne qui est en contact direct, ou indirect avec la clientèle. Le but? Démystifier l’expérience client sous tous ses angles. Daniel Lafrenière est stratège en expérience client omnicanale. Oeuvrant depuis plus de 30 ans, il a aussi donné des conférences au Canada, aux États-Unis et en Europe. Il est l’auteur de 10 ouvrages en expérience client, expérience employé et transformation numérique.

Daniel Lafrenière

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