Les amis gonflables

Publié le 19/05/2015 à 11:45

Les amis gonflables

Publié le 19/05/2015 à 11:45

L’usage abusif de Facebook peut rendre dépressif, lisais-je récemment. Une recherche concluait en effet ce que l’on pouvait déjà soupçonner: les «succès» de nos «amis» étalés sur les réseaux sociaux ont l’effet d’un miroir déformant dans lequel on peut contempler une version insipide de sa propre existence.

C’est vrai que notre vie peut paraître un peu drabe quand on passe trop de temps sur Internet. Tiens, elle revient de son 14e voyage en Asie. Ah, lui vient de courir 150 km sur les mains. «As-tu vu ce que je mange pour souper, et ce ne sont pas des pogos?» Et toutes ces photos de familles heureuses tout le temps…

Gang de fatigants! Une chance, j’ai deux ou trois amis qui utilisent Facebook pour partager leurs bobos existentiels, sinon je croirais vraiment que je suis un clochard dans ce monde numérique.

Je n’ai toutefois pas trop de raisons de m’en faire. Les plus déprimés de tous seraient justement ceux qui publient tous leurs exploits, selon l’étude. Facebook serait donc le terrain d’une surenchère alimentée par une bande de névrosés qui veulent se convaincre que leur vie est palpitante.

Voilà ce qui arrive lorsqu'on met à la disposition du primate une telle infrastructure technologique. Mais tant que ça reste sur Facebook, les dommages restent limités. Et une cure de désintoxication suffit souvent pour s’en soigner.

Mais dans la vraie vie, là où il y a moins d’amis, mais de véritables, c’est autre chose. Ce ne sont plus que des statuts et de belles photos publiés sur les réseaux sociaux. Il faut parfois sortir la carte de crédit pour suivre la cadence, et même utiliser sa marge hypothécaire…

Les vraies amitiés, c’est merveilleux, mais elles peuvent être ruineuses, particulièrement en cas d’inégalité économique. Cela arrive souvent dans les relations de longue date. Tout débute avec une partie de hockey dans la ruelle à l’âge de 5 ans. Et les deux garçons ne se lâchent plus. Ils jouent dans la même équipe de soccer à 12 ans, puis ils fréquentent les mêmes bars durant le Cégep. Sauf que l’un va se coucher plus tôt pour réussir son entrée en médecine à l’université tandis que l’autre, non moins brillant, parvient à accumuler les bonnes notes malgré sa propension à rester jusqu’au last call. Ce sera un excellent technicien en télécommunication.

Plus tard, le premier entre sur le marché du travail avec un salaire de 175 000 dollars. Et le technicien peut en espérer 75 000, mais seulement après plusieurs années d’expérience. On convient que les deux amis ne pourront pas soutenir le même niveau de vie, mais les risques que le moins riche des deux soit partiellement aspiré par le rythme de son copain médecin ne sont pas négligeables. Ça commence par une passion commune pour les Bordeaux, puis le plaisir de fréquenter les bonnes tables en ville, et les voyages en couples dans des resorts choisis par la femme du docteur. Et bien entendu, il y a ces parties de poker où on ne joue plus depuis longtemps avec de la menue monnaie.

C’est plus insidieux et subtil que les cocoricos sur Facebook. Car contrairement aux réseaux sociaux qui carburent à l'exhibition, des tabous peuvent s’installer entre vrais amis. L’argent en est un. Même avec ton grand chum, ce n’est pas toujours évident de dire au restaurant « peux-tu acheter un vin moins cher?» Ou de l’inviter à souper avec un rôti de palette et un Bourgogne à 20$ alors que lui te reçoit systématiquement avec du foie gras et du Sauternes.

Pour le moins riche, c’est l’occasion de s’affirmer. Il n’y a pas de gêne à indiquer ses limites, à dire qu’on ne peut pas suivre et à prendre les devants pour faire des propositions d’activité qui cadrent dans son budget.

Mais d’après moi, il revient à la personne la plus en moyen de faire des choix qui ne mettront pas l’autre mal à l’aise et qui ne le forceront pas à puiser dans son REER pour suivre la parade. Même s'il assume la facture, il m’a toujours semblé indélicat, sinon un peu vulgaire, de voir quelqu’un claquer de l’argent dans des extravagances devant des amis moins fortunés.

Une certaine humilité est de rigueur. Mais ça, ça ne s’enseigne pas sur Facebook.

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À propos de ce blogue

Les finances personnelles, ça consiste à gérer son argent au jour le jour en fonction d’objectifs plus ou moins éloignés. En regardant du bon angle, on constate qu’il s’agit d’un instrument pour réaliser ses ambitions et ses rêves. C’est avec humanité et une pointe d’humour que Daniel Germain compte aborder les finances personnelles dans ce blogue, dont l’objectif est de vous informer et de vous faire réagir. Daniel Germain assume la direction du magazine de finances personnelles Les Affaires Plus depuis 2002 et a développé de vastes connaissances sur le sujet.