Endettement: opération (marketing) réussie

Publié le 12/10/2018 à 07:30

Endettement: opération (marketing) réussie

Publié le 12/10/2018 à 07:30

Si vous ne le savez pas, c’est que vous avez négligé les nouvelles cette semaine pour regarder des vidéos de chats. Je vous comprends, elles ne sont pas très bonnes : ça va mal.

Non, non, ce n’est pas la Bourse qui plante ni les taux hypothécaires qui montent. Si vous étiez le moindrement attentif à l’actualité, vous auriez su que vous aviez du mal à payer la note d’épicerie et que vous accumuliez les retards de paiement chez Hydro.

Vous n’arrivez plus, vous croulez sous les dettes.

Selon les résultats d’un sondage publié cette semaine, 52 % des Canadiens ont tout juste de quoi subvenir à leurs besoins. Un sur deux. Près du quart de la population ne sait quoi faire tellement il est dans le trou. Les Canadiens traînent 20 000 de dettes sur des cartes de crédit. N’est-ce pas épouvantable… Pas assez?

•Quatre femmes sur dix ont du mal à payer leurs frais de transport.

•Un tiers des milléniaux en arrachent pour nourrir leur famille.

•Quatre Canadiens sur 10 peinent à payer pour les services publics essentiels.

Là, sentez-vous l’indigence s’agripper à vos chevilles et ralentir votre élan jusqu’au magasin ?

Ce diagnostic accablant vous est offert, quelle coïncidence, par une firme spécialisée en redressement financier et en faillite.

Leurs représentants vous attendent.

***

Vous devriez voir le contenu de ma boîte de courriels. Ça déborde de communiqués de presse et d’invitations à des ouvertures de succursales de n’importe quoi. J’ai observé un phénomène grandissant ces dernières années. On reçoit de plus en plus de résultats de sondages.

Il n’y a pas une semaine qui passe sans qu’une banque, une compagnie d’assurance ou le Groupe Investors ne nous envoie un petit diagnostic sur la condition financière tantôt des jeunes, tantôt des vieux. À petits coups de sondes, ils nous tâtent dans les moindres recoins : l’immobilier, les REER, l’endettement, la retraite, les cartes de crédit, l’assurance, la confiance… ça n’arrête pas.

«Il est où le malade? »

«Il est là-bas, mais il n’est pas malade? »

«Trouvons-lui quelque chose, on a des pilules à vendre!»

De quoi devenir hypocondriaque.

En nous livrant la mauvaise nouvelle, systématiquement, les commanditaires de ces sondages nous proposent, à nous journalistes, de creuser la question et de discuter de solutions avec un de leurs experts. Clé en main.

Autre tendance forte dans la boîte de courriels: les embargos. Cela consiste à fournir de l’information à des journalistes en contrepartie d’un engagement de leur part à ne pas diffuser l’information avant un moment précis. C’est parfois compréhensible et acceptable. Cela peut aussi donner l’impression au scribe qu’il a entre les mains du matériel exclusif. Ça reste la plupart du temps un outil de marketing qui ne sert qu’à coordonner la livraison du message et à créer de l’impact.

Auparavant exceptionnelle, la pratique est devenue la norme. La moindre niaiserie expédiée par un relationniste frais émoulu de l’université est estampillée d’une mention «embargo». C’en est fatigant.

C’est donc sous embargo que nous avons reçu cette semaine les résultats d’un sondage sur l’endettement des Canadiens auquel je fais référence en haut de cette chronique. Pompeusement appelé l’«Indice de l’accessibilité financière [nom du commanditaire]», ce truc venait nous rappeler ce qu’on savait déjà et qui fait les choux gras des chroniqueurs de finances personnelles comme moi: nous sommes endettés, mon Dieu!

Je ne suis pas un expert en enquête de ce genre. Celui que j’ai consulté m’a confirmé que le sondage en question répondait aux standards de l’industrie, bien que la manière dont le message a été livré pouvait être discutable.

Lorsqu’on interroge les gens sur leur niveau d’endettement et qu’on leur demande comment ils y font face, il y a une part de subjectivité. Quand je lis que «52 % des gens ont tout juste de quoi subvenir à leurs besoins», mon réflexe est de me demander si les gens interrogés ont tous la même notion de «besoin».

Quand il est souligné que près du quart des Canadiens ne savent pas quoi faire tellement leurs dettes sont accablantes, il faut se rappeler que la sensibilité des uns et des autres est différente. Mon voisin pourrait être serein avec le double de dettes qu’il me faudrait sur les épaules pour me sentir accablé. Quant à la partie de l'énoncée «ne sais pas quoi faire», peut-être que le répondant se trouve dans un vrai bourbier. Peut-être aussi qu'il est ignorant des solutions qui s'offrent à lui. 

Je ne nie pas le constat général, les gens sont plus endettés que jamais. Le crédit est facilement accessible et tout autour de nous nous incite à dépenser.

Seulement, dans ses traits un peu gras, le portrait porte les marques de son auteur: une firme qui organise des faillites et des propositions de consommateurs.

La plupart des grands quotidiens du pays, souvent repris par la radio, ont beurré leur papier cette semaine «de l’accessibilité financière Machin» et du constat des experts en redressement financier de la firme Machin. On n’y a pas échappé non plus, ici, à Les Affaires.

Il s’agit d’un sondage Ipsos pancanadien mené auprès de 2000 personnes. Combien ça coûte un sondage de même? 10 000? 15 000? Plus?

Qu’importe, c’est assurément une aubaine pour avoir son nom apparaître sous la plume des chroniqueurs les plus respectés du pays.

Bravo à l’équipe marketing.

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À propos de ce blogue

Les finances personnelles, ça consiste à gérer son argent au jour le jour en fonction d’objectifs plus ou moins éloignés. En regardant du bon angle, on constate qu’il s’agit d’un instrument pour réaliser ses ambitions et ses rêves. C’est avec humanité et une pointe d’humour que Daniel Germain compte aborder les finances personnelles dans ce blogue, dont l’objectif est de vous informer et de vous faire réagir. Daniel Germain assume la direction du magazine de finances personnelles Les Affaires Plus depuis 2002 et a développé de vastes connaissances sur le sujet.