Des vendeurs déguisés en conseillers

Publié le 07/06/2016 à 11:33

Des vendeurs déguisés en conseillers

Publié le 07/06/2016 à 11:33

Je pensais avoir fait une rencontre avec une espèce exotique rare issue d’un croisement improbable. L’animal m’a semblé si curieux que j’ai voulu en savoir plus à son sujet, pour réaliser finalement que la bête proliférait. Ce mammifère se terre généralement dans un petit cubicule vitré et climatisé, derrière un bureau surmonté d’un ordinateur.

Il s’appelle «Conseiller en finances personnelles».

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Il s’agit d’un homo sapiens. Lorsque j’en ai aperçu un qui s’affichait comme «conseiller en finances personnelles» la semaine dernière, j’ai d’abord cru à une erreur ou à une usurpation. Les titres dans l’industrie financière sont strictement réglementés au Québec.

Entre autres, les titres qui pourraient confondre un client et le mener à croire qu’il fait affaire avec un planificateur financier sont interdits. Le règlement identifie explicitement les désignations proscrites. Une personne ne peut, par exemple, se présenter comme «conseiller financier», ni «consultant financier». Elle n’a pas le droit non plus de se proclamer «consultant en finances personnelles».

Alors, si je vous demandais si le titre de «conseiller en finances personnelles» est toléré par l’Autorité des marchés financiers, vous répondriez quoi? «Ben nooon!» C’est ce que j’aurais dit aussi avant d’apercevoir un spécimen la semaine dernière.

Tout ça pour dire qu’il y a des conseillers en finances personnelles qui se baladent dans la nature. On en compte 2400 chez Desjardins. Il y en a sûrement beaucoup à la Nationale, je n’ai pas le compte. Ailleurs, ils portent souvent d’autres titres.

D’ailleurs, si vous cherchez un emploi, il y a de nombreux postes à combler dans les succursales des institutions financières. Il faut un diplôme collégial en administration. Une expérience en vente est un atout. Avec un bac, les perspectives d’avancement sont meilleures. Vous devrez par contre suivre un cours pour obtenir votre permis de représentant en épargne collective, ce qui vous permettra de vendre des fonds communs de placement. Vous n'êtes pas tenus de remplir les exigences de l'Institut québécois de planification financière, l'organisme qui délivre les permis aux planificateurs financiers. 

Natacha Dionne, conseillère en RH et en développement organisationnel chez Desjardins, m’explique que le conseiller en finances personnelles est «le partenaire numéro 1 du membre Desjardins». Son travail consiste à «mieux comprendre les besoins du membre et à y répondre avec une offre équilibrée». Quels sont ces besoins? Prêts et marges hypothécaires, produits de placements, cartes de crédit, assurances.

Le conseiller en finances personnelles a un salaire de base auquel s’ajoutent des primes déterminées en fonction de l’atteinte des objectifs. Selon vous, quels sont les objectifs les plus faciles à mesurer? Bien sûr, les ventes. Mme Dionne m’assure que la satisfaction du membre fait également partie des objectifs. Desjardins peut contacter un client pour sonder sa satisfaction.

Remarquez, si le membre est content, ça ne veut pas dire pour autant qu’il a été bien conseillé.

J’ai discuté avec une ancienne conseillère en finances personnelles de la Banque Nationale. Je vais l’appeler Annie, elle ne veut pas être identifiée.

Annie a travaillé auparavant dans le domaine de l’assurance comme conseillère en sécurité financière, «mais je devais faire des "cold call", je n’aimais pas ça», dit-elle. Quelqu’un lui a suggéré de postuler pour devenir conseillère en finances personnelles à la banque où il n’était pas nécessaire de courir après la clientèle, elle venait toute seule.

Annie était animée par une sincère conscience professionnelle. Elle cherchait d’abord à améliorer la situation financière de ses clients. Cependant, ses aspirations n’étaient pas parfaitement alignées avec les objectifs que lui assignaient ses patrons. «Il fallait pousser des produits, qu’importe s’ils convenaient où non aux besoins du client. Chaque année, il fallait avoir atteint des cibles en placements, en crédit et en produits connexes». Les produits connexes, ce sont les cartes de crédit, les comptes bancaires, les assurances sur les soldes. «Ils servaient à attacher le client chez nous», explique Annie.

En général, les employés étaient motivés. À la banque, la gang des commis au comptoir et celle des conseillers en finances personnelles se mettaient au défi; lequel des deux groupes vendrait le plus de cartes de crédit. Let’s gooo!

Comme chez Desjardins, l’octroi des primes reposait beaucoup sur l’atteinte des objectifs de vente. Les évaluations de performances et les occasions professionnelles aussi.

Le conseiller en finances personnelles se situe au bas de l’échelle. Il s’occupe des clients détenant peu d’actifs. Pour monter dans les échelons, accéder à une clientèle plus fortunée, obtenir un meilleur salaire et de plus grosses primes, le moyen le plus facile consiste donc à dépasser les cibles et à faire plaisir aux patrons. Compte tenu des objectifs, un bon employé est avant tout un bon vendeur.

Annie avait peu de chances de monter. Son truc, c’est le conseil, pas la vente. Elle raconte qu’un jour, un de ses clients s’est présenté à la succursale, sa situation financière était mal en point: cinq cartes de crédit remplies à craquer, le type ne voyait plus le bout. «J’ai consolidé ses dettes. Je lui ai fait un prêt personnel avec lequel nous avons remboursé toutes les cartes. Je les ai coupées devant lui», raconte-t-elle.

N’est-ce pas un beau travail de «conseiller en finances personnelles», non?

Non. Son patron lui a tapé sur les doigts, car Annie n’avait pas proposé une nouvelle carte de crédit à son client! De son propre aveu, elle n’a jamais eu d’excellentes évaluations.

Une autre des tâches d’Annie était de favoriser les ventes croisées. Cela consiste à amener le client à prendre de l’assurance et des produits de placement à la banque. Natacha Dionne, de Desjardins, parle plutôt de répondre «aux besoins globaux du membre».

Annie devait donc convaincre le client de rencontrer un représentant en sécurité financière, le seul habilité à vendre des assurances vie. Elle pouvait aussi envoyer le client chez sa collègue Sophie (pseudonyme) qui portait le titre de «conseillère en placement et retraite». C’était son titre à la banque, bien qu’elle avait son permis de planificatrice financière et de représentant en épargne collective.

Sophie était payée entièrement à la commission. Son travail consistait à convaincre le client qui avait des avoirs dans une autre institution de les rapatrier à la banque. «Il fallait passer la gratte, comme on disait». Dans quoi placer cet argent rapatrié? En général, les fonds d’actions sont plus payants pour le représentant, les commissions étant meilleures. Par contre, la banque pouvait encourager la vente de CPG avec des nananes ponctuels dans les moments où l’institution avait besoin de se capitaliser, explique Sophie.

«Je proposais ce qui convenait le mieux aux clients, dit-elle. On pouvait faire son travail consciencieusement. Mais ce n’est pas ce qui était le plus reconnu», raconte-t-elle.

Philosophe, elle explique que les employés qui travaillent près des clients sont en général plus sensibles à leurs besoins. «Ceux qui en sont éloignés ne voient que des rapports et des colonnes de chiffres. Ce sont eux qui mettent la pression.» Selon elle, c’est partout pareil. Quand elle ramenait des portefeuilles de la concurrence, il était clair pour elle que certains n’avaient pas été composés dans le seul intérêt du client.

Sophie a quitté la banque pour se joindre à un cabinet privé au début de l’année.

Elle a imité Annie qui avait fait la même chose, il y a quatre ans.

Que retenir? Que le conseiller en finances personnelles est une sorte d’hybride à forte prédominance vendeur. L’écosystème de l’animal favorise le renforcement de cet attribut.

Et il faudrait penser à l'appeler autrement.

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À propos de ce blogue

Les finances personnelles, ça consiste à gérer son argent au jour le jour en fonction d’objectifs plus ou moins éloignés. En regardant du bon angle, on constate qu’il s’agit d’un instrument pour réaliser ses ambitions et ses rêves. C’est avec humanité et une pointe d’humour que Daniel Germain compte aborder les finances personnelles dans ce blogue, dont l’objectif est de vous informer et de vous faire réagir. Daniel Germain assume la direction du magazine de finances personnelles Les Affaires Plus depuis 2002 et a développé de vastes connaissances sur le sujet.