Masochistes à la pompe

Publié le 04/05/2018 à 06:00

Masochistes à la pompe

Publié le 04/05/2018 à 06:00

À lire les journaux cette semaine, le désordre semblait vouloir s'installer aux abords des stations-service. Allions-nous nous taper dessus à coups de bidon rouge?

«Vite à la pompe!»

«Ça chauffe à la pompe.»

«Quand les prix de l'essence font pomper les automobilistes.»

«Des voleurs d'essence munis de perceuses électriques enflamment les conducteurs.»

Sans blague...

Que se passe-t-il ? Serions-nous en train de siphonner le fond de la dernière réserve connue de pétrole? Non. Le prix de l'essence ordinaire approche 1,50$ le litre.

Catastrophe! Comment allons-nous en sortir, dites-moi?

Ça vous empêche de dormir? Détendez-vous, les prix redescendront. Vous vous souvenez de l'été 2008? Le litre d'essence avait touché le niveau psychologique des 1,50$! Bien, il était revenu sous les 0,80 $ avant Noël. C'est vrai, le système financier s'était entretemps approché de l'effondrement total tandis que les entreprises vomissaient des chômeurs. Tout de même, il y avait quelque chose de réconfortant à l'idée de pouvoir gaver son RAV4 pour moins de 50 $.

Depuis, ça monte et ça descend. Le prix de l'essence a dépassé le cap des 1,40 $ à plusieurs occasions ces dix dernières années. Chaque fois, j'entendais le sympathique chroniqueur à la circulation Yves Desautels, solidaire de ses collaborateurs brûlant inutilement leur carburant sur un pont, exprimer son indignation : «Aïe Aïe Aïe!»

Ça grince à 1,40 $, mais à l'approche des 1,50 $, on atteint un niveau où le prix du gaz fait l'ouverture des émissions de radio et la une des journaux, à la recherche du coupable. C'est quiiii, c'est quiiii? Les cheiks arabes? Les raffineurs? Les distributeurs? Chaque fois qu'un expert s'aventure dans quelques explications, on dirait un sous-Messmer tentant d'exercer son pouvoir hypnotique sur un auditoire récalcitrant, convaincu d'emblée par la thèse du complot.

Quand le prix de l'essence bondit soudainement, on nous rappelle aussi les conseils d'usage pour en consommer moins : lève le pied, embarque avec le voisin, prends l'autobus, pédale... comme si dans des circonstances moins dramatiques, on n'épargnerait pas à brûler moins de carburant. Si on n'arrive pas à le convaincre à 1,30$, ce serait surprenant qu'on puisse amener quelqu'un à troquer son auto pour une mobilette quand le litre touche une pointe de 1,50$.

Ah, l'intérêt pour les voitures économes augmente certes avec les prix de l'essence, mais il descend tout aussi vite. C'était en 2014, ou peut-être l'année précédente, le litre d'ordinaire entrait une nouvelle fois en zone critique. Nous n'en avions alors que pour la Toyota Prius, nous nous excitions des progrès des voitures hybrides et électriques. Les étoiles semblaient alignées pour faire décoller les ventes de ce type de véhicules, c'était du moins l'avis de bien des observateurs de la scène automobile. Il a suffi que les prix se tassent un peu pour qu'on passe à autre chose. On reproche depuis aux voitures électriques leur faible autonomie et leur prix élevé.

Chaque année, le palmarès des voitures les plus vendues est désolant. En janvier dernier, le site AutoMédia.ca a publié la liste des véhicules les plus populaires au Québec en 2017, un marché reconnu pour ses préférences pour les petites cylindrées. Au top 10, on trouvait trois véhicules utilitaires sport (VUS) et trois camionnettes, dans l'ordre : le Honda CR-V, le Toyota RAV4, le Nissan Rogue, le GMC Sierra, le Dodge RAM et, en première position, le Ford Série F. Le constructeur américain a d'ailleurs annoncé qu'il abandonnait la fabrication des petites voitures pour se concentrer sur les segments les plus rentables, les pickups et les VUS.

C'est aussi au cours des dernières années que s'est répandu le financement des voitures sur une période de sept ans. Auparavant, on payait son auto en quatre ou en cinq ans. L'objectif n'est pas de réduire ses mensualités, non non, la formule permet au contraire de s'offrir un véhicule qu'on n'aurait pas les moyens de s'acheter avec un prêt amorti sur cinq ans. Cette capactié supplémentaire n'est pas dévolue à une voiture électrique, mais le plus souvent à un véhicule offrant plus de confort, donc plus gros, plus gourmand.

Par une forme de sélection naturelle alimentée à grand renfort de publicité, le 4x4 tend peu à peu à devenir la norme. À force de voir les VUS se multiplier dans la «jungle urbaine», on finit par craindre pour sa sécurité dans une petite berline. On s'inquiète aussi pour celle du petit Didier-Alexandre, 3 ans, exposé à tous les dangers sur la banquette arrière, avec pas de casque. Alors, on succombe à son tour à ce qu'on aurait avant appelé un camion.

À observer ces nombreux ménages consentir si volontiers à se faire saigner par leurs autos, on finit par croire que ça doit être agréable, d'une certaine façon. Alors, quand on entend tous ces gémissements provoqués par la hausse du prix de l'essence, on en vient à ne plus trop savoir s'ils expriment de la douleur. Ou du plaisir.

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À propos de ce blogue

Les finances personnelles, ça consiste à gérer son argent au jour le jour en fonction d’objectifs plus ou moins éloignés. En regardant du bon angle, on constate qu’il s’agit d’un instrument pour réaliser ses ambitions et ses rêves. C’est avec humanité et une pointe d’humour que Daniel Germain compte aborder les finances personnelles dans ce blogue, dont l’objectif est de vous informer et de vous faire réagir. Daniel Germain assume la direction du magazine de finances personnelles Les Affaires Plus depuis 2002 et a développé de vastes connaissances sur le sujet.