De la banalité de la fraude

Publié le 08/06/2018 à 07:40

De la banalité de la fraude

Publié le 08/06/2018 à 07:40

Plus de 400 $ chez Canada’s Wonderland et quatre livraisons par Ubereats dont le coût totalise 150 $, tout ça en quelques heures à peine, un vendredi de mai. Je ne sais pas ce qu’ils ont fumé, mais les valeureux ont visiblement succombé à une attaque de munchies. Il n’y a aucun doute cependant, ils se sont bien amusés. Avec ma carte de crédit.

Par une drôle de coïncidence, ma collègue et amie Diane me racontait la semaine auparavant que son chum venait de subir un coup semblable, après qu’elle se soit elle-même fait frauder, une première fois par l’intermédiaire d’une carte de crédit, puis une deuxième fois par la nouvelle carte qui venait de remplacer la première.

Peu avant, je relatais ici cette histoire d’une autre amie qui s’était fait vider son compte de banque par des gens qui étaient parvenus à se faire passer pour elle, par téléphone. J’évoquais dans cette chronique le cas plus rocambolesque de Guillaume Roy dont l’identité a été usurpée deux fois dans des opérations de fraude par carte de crédit, dont une malgré qu’il ait placé cette alerte auprès des agences Equifax et TransUnion, destinée à tout créancier éventuel : n’accordez pas de crédit à mon nom sans obtenir mon consentement en m’appelant à tel numéro. Son récit a fait l’objet d’un reportage à l’émission La Facture.

Guillaume Roy m’a contacté récemment après qu’il soit tombé sur une de mes envolées anti-agences de crédit. M. Roy voulait me raconter ses mésaventures dans les détails, détails qu’il a récoltés et consignés au fil d’une minutieuse enquête. Un travail de moine consistant à appeler, à écrire, à poser des questions, à fouiller sur internet afin de reconstituer le modus operandi des fraudeurs et de comprendre les failles du système. Il a contacté les agences de crédit, les émetteurs de cartes, les banques, les magasins. Il a poussé sa démarche jusqu’à traquer les bandits et à obtenir leurs images captées par des caméras de surveillance.

Rappelons ici la nature de la fraude dont il a été victime. Des étrangers ont demandé et obtenu des cartes de crédit à son nom, dont une qui a été émise malgré l’avertissement adressé aux émetteurs. Son histoire relève plusieurs autres faits troublants, à commencer par le processus d’identification pour le moins sommaire utilisé par les émetteurs avant de consentir une nouvelle carte à celui qui en fait la demande. On ne se contente pas ici de faibles mesures de sécurité, on les applique avec un laxisme à faire peur. Les fraudeurs ont pu obtenir des cartes de crédit au nom de Guillaume Roy en fournissant une mauvaise adresse et un faux employeur.

Un autre irritant est l’opacité des agences de crédit, à savoir Equifax et TransUnion. Pour en avoir fait l’expérience moi-même, il est difficile d’obtenir leur collaboration.

Il y a aussi toutes ces clauses, inscrites le plus souvent en petits caractères ou dans une langue ésotérique, dont l’objectif est de dégager les maillons de la chaîne de toute responsabilité.

On finit par comprendre que ce système, et je ne parle pas d’informatique, est configuré de manière à assurer avant tout la fluidité du crédit et du bon roulement des affaires. Pour les magasins, les banques, les émetteurs de cartes, de même pour les agences de crédit, toute mesure de sécurité représente une entrave potentielle. Il faut que ça roule! Chez l’employé, le message est clair. Il est rémunéré à la fin de la semaine par le nombre de cartes de crédit qu’il aura vendues. Me vient en tête l’image de ces étudiants plantés à l’entrée des magasins dont la mission est de distribuer le plus de cartes de crédit possible. Le vol d’identité est le dernier de leurs soucis.

Le calcul n’est pas sorcier. Y a-t-il plus à perdre en resserrant les pratiques de vérification qu’en assumant les pertes générées par la fraude ? Il faut conclure qu’il est plus rentable de dédommager les clients en aval que de prévenir le mal en amont, et que l’équation ne tient nullement compte de l’anxiété et des désagréments subis par les victimes. C’est stressant de constater que des gens se paient la traite sur notre dos, c’est long et parfois laborieux de faire le ménage dans son dossier de crédit à la suite d’une escroquerie.

Pour revenir à mon histoire de Wonderland, je dois reconnaître que la fraude dont j’ai été victime, ma troisième expérience du genre, a été réglée prestement par le département antifraude de ma banque, avec un professionnalisme irréprochable et juste ce qu’il faut de courtoisie. Il n’y a aucun doute que ces gens sont formés et expérimentés, ils traitent de nombreux cas dans une journée. Vous voyez, c’est le genre de professionnalisme qu’on aimerait voir à l’entrée, à l’autre bout, chez ceux qui ont le devoir de s’assurer qu’ils traitent avec les bonnes personnes avant de leur envoyer une carte de crédit.

Après avoir été fraudé une deuxième fois, Guillaume Roy a entrepris des démarches pour qu’Ottawa et les provinces encadrent de manière plus stricte le processus d’identification des clients des institutions financières, et pour que le fédéral serre la vis aux agences de crédit, une bonne fois pour toutes. Inutile de vous le dire, je soutiens pleinement cette initiative.

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À propos de ce blogue

Les finances personnelles, ça consiste à gérer son argent au jour le jour en fonction d’objectifs plus ou moins éloignés. En regardant du bon angle, on constate qu’il s’agit d’un instrument pour réaliser ses ambitions et ses rêves. C’est avec humanité et une pointe d’humour que Daniel Germain compte aborder les finances personnelles dans ce blogue, dont l’objectif est de vous informer et de vous faire réagir. Daniel Germain assume la direction du magazine de finances personnelles Les Affaires Plus depuis 2002 et a développé de vastes connaissances sur le sujet.