Baisser son pantalon pour réduire sa prime d'assurance

Publié le 05/04/2016 à 11:41

Baisser son pantalon pour réduire sa prime d'assurance

Publié le 05/04/2016 à 11:41

Cette publicité d’assurance auto était assez drôle, avouez-le. On y voyait cette conductrice stressée par la présence du côté passager d’une mégère qui, avec une voix de crécelle un peu robotique, répétait «Jeee noote» chaque fois que la conductrice appuyait le moindrement sur le frein ou l’accélérateur.

Et la pauvre conductrice, elle était au bord de la crise alors qu’elle n’était pas encore sortie de son entrée de garage!

La grand-maman pas fine représentait un mouchard. Elle me faisait penser à notre voisine quand j’étais jeune, Mme Higgins. Elle nous épiait par sa fenêtre alors que mes frères et moi faisions nos frasques d’adolescence. Tout le voisinage avait très tôt droit à un compte rendu de nos niaiseries. Et ça finissait par se rendre aux oreilles de mes parents. Comme mon père exécrait tout type de mémères, il s’amusait de l’indignation de la voisine, qui ressemblait physiquement à la matrone de l’annonce.

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Un peu dans le même esprit, la publicité de la compagnie d’assurance se moquait de la concurrence qui offrait à ses clients de réduire leurs primes s’ils consentaient à faire installer dans leur voiture un dispositif télémétrique. Comme une boîte noire, ce dernier enregistre la vitesse du véhicule, les accélération, les décélérations, les virages brusques et les heures de d’utilisation. Les données sont envoyées à la compagnie d’assurance qui ajuste la prime en fonction de la conduite du client.

Je me souviens de la première fois que j’ai entendu parler de ça, il y a une dizaine d’années. La technologie commençait à être implantée aux États-Unis et comme chaque fois qu’il est question de surveillance, on avait brandi le spectre de «Big Brother». Aujourd’hui, bien peu de gens s’en offusquent. J’en connais qui ont fait installer le bidule dans leur auto sous prétexte qu’ils utilisent moins leur voiture.

Je ne sais pas si c’est l’effet de Facebook, mais il me semble qu’on est moins sensibles aux enjeux qui touchent les informations personnelles et la vie privée. Par exemple, je ne dis pas qu’elles le font, mais en installant un mouchard dans votre voiture, les compagnies d’assurance pourraient savoir à quelle vitesse vous rouliez au moment d’un accident. Et cette information pourrait donner lieu à une contestation au moment de la réclamation. Je ne sais pas pour vous, mais moi, l’idée m’irrite un peu.

Mais ce genre de surveillance paraît bien dérisoire comparée à ce qui s’en vient.

Imaginez maintenant qu’après avoir fait sa place sur le siège du passager, Mme Higgins entre dans votre pantalon! Pire: dans votre corps. L’image m’écoeure.

La télémétrie commence en effet a faire son entrée en assurance de personnes grâce aux bracelets de sport et aux montres connectées. Ces petits appareils servent à jauger votre activité physique en comptant vos pas, en mesurant les distances parcourues et en enregistrant votre fréquence cardiaque. Certains évaluent aussi votre sommeil. Et bientôt, cela ira plus loin encore. On s’attend à ce que ces bracelets puissent mesurer le niveau de glucose dans le sang sans en extirper une seule goutte de votre corps.

Cette technologie a été conçue pour motiver les sportifs qui veulent améliorer leurs performances et les moins athlétiques qui désirent se prendre en main et se mettre en forme. Mais voilà, elle commence à être récupérée par l’industrie de l’assurance.

Pour réduire leurs cotisations d'assurances collectives, beaucoup d’employeurs mettent sur pied des programmes de mise en forme destinés au personnel. Chez Les Affaires par exemple, on rembourse une partie du coût d’inscription à certaines activités sportives. Et un «comité santé» dépose à l’occasion des bananes encore vertes à la cuisine.

Aux États-Unis, certaines sociétés vont plus loin en encourageant leurs employés à porter des bracelets de sport. Le secteur corporatif est devenu le créneau de croissance des entreprises comme Fitbits, Jawbone et autres Garmin.

De nouvelles compagnies d’assurance mettent sur pied des programmes entièrement basés sur la collecte de données biométriques. Les primes sont réduites pour les assurés qui portent un détecteur, et ceux qui accomplissent un certain niveau d’activités sportives se voient récompenser par des dollars à dépenser chez Amazon, par exemple.

Le phénomène s’est aussi manifesté en Europe, où AXA offre des dollars de médecine douce à ceux qui acceptent de porter un mouchard. Au Pays-Bas, des employeurs qui ont incité des employés à porter des bracelets connectés se sont retrouvés dans le collimateur d’organisme de protection de la vie privée.

À ma connaissance, ce n’est pas encore arrivé ici. Selon un rapport sur les nouvelles technologies dans l’industrie financière publié par PwC, Blurred lines: How FinTech is shaping Financial Services, il s’agit encore d’une tendance émergente. Mais l’expérience passée me dit que ça pourrait bien débarquer ici. [Mise à jour: Manuvie a annoncé plus tôt cette année des rabais sur les primes d'assurance vie à ses clients canadiens qui portent un bracelet].

Les pionnières dans le domaine se défendent en disant que ces dispositifs sont déployés avec le consentement des clients (ça me rappelle le philosophe Michel Foucault, la panoptique et la morale sanitaire). On se trouve alors avec deux classes de clients: ceux qui acceptent d’être épiés en échange de cadeaux et rabais, et les autres.

Qui peut garantir que dans un deuxième temps, les compagnies d’assurance ne puniront pas ceux qui ne bougent assez?

Madame Higgins, sortez de ce corps!

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À propos de ce blogue

Les finances personnelles, ça consiste à gérer son argent au jour le jour en fonction d’objectifs plus ou moins éloignés. En regardant du bon angle, on constate qu’il s’agit d’un instrument pour réaliser ses ambitions et ses rêves. C’est avec humanité et une pointe d’humour que Daniel Germain compte aborder les finances personnelles dans ce blogue, dont l’objectif est de vous informer et de vous faire réagir. Daniel Germain assume la direction du magazine de finances personnelles Les Affaires Plus depuis 2002 et a développé de vastes connaissances sur le sujet.